Mousses.

Plus je remontais le cours et plus les mousses étaient abondantes, sur les troncs, sur les rochers.
Je surveillais les rais pour capter un peu de lumière sur les éponges vertes et jouer à minima sur les couleurs de l’hiver.

Attiré par la redécouverte des ruisseaux, je remontais le cours comme si j’étais aspiré par l’appel d’un monde végétal mystérieux. Je jouais à la marelle pour éviter les embûches, les pierres glissantes savonnées par le givre de février. Les racines des aulnes, apparentes, élevées au-dessus du sol en petite mangrove, tissaient un réseau tortueux, s’entrelaçaient pour piéger les chevilles. Parfois ballerine, faisant des pointes, j’évitais un entrelacs piégeur qu’un trappeur aurait posé là pour réveiller les étourdis et les imprudents. Parfois une branche nue presque invisible, tendue par mon passage, fouettait mon visage. Des ronces décharnées, déshabillées pour l’hiver, s’agrippaient à mon jean de ville et me scarifiaient le mollet à travers le tissu. Ma doudoune légère et fragile, trop tendre sous les griffes des ronciers, risquait à tout moment de finir en lambeaux.
Il n’était plus raisonnable de poursuivre plus loin, c’était trop risqué, je m’étais éloigné dangereusement de la route. Mes vieux os, pourtant courageux m’imploraient pitié afin que je rebrousse chemin. Conscients des risques que je prenais, mes neurones me guidaient, toujours en mode danseuse légère et pourtant personne massive, dirigeaient mes pas. La raison avait repris le dessus.
Je suis revenu à mon point de départ en jetant un regard rétrospectif sur le chemin où les chausse-trappes, nombreuses, traînaient parmi les broussailles.
Ma prothèse de hanche l’a échappé belle, à tout moment elle menaçait de se déboîter. La moindre contorsion, la plus simple glissade, m’auraient mené directement à l’hôpital à condition que l’on me trouvât encore en vie.
Mon goût pour les contrastes, pour le risque, me guidait vers la mésaventure… une fois de plus évitée.
Je m’étais retrouvé dans cet endroit presque par hasard, je n’avais aucune intention de faire ce chemin en tenue de ville.
J’avais succombé à l’appel des mousses…