Je revenais sur mes pas d’adolescent lorsque je remontais les ruisseaux avec ma canne à pêche.
La démarche n’est plus la même, je me méfie à chaque pas, une glissade serait fatale presque à coup sûr.
J’écoute le clapotis de l’onde, je me souviens.
Je me souviens de ma musette, de mon insouciance, de ma témérité. Je sautais, j’enjambais, je m’enfonçais au plus profond du maquis pour remonter le cours du ruisseau.
Je m’inventais des merveilles, des surprises, des sauts de truite au-dessus de l’eau. Une nerveuse, combattante, qui refuse de rester pendue à l’hameçon, qui se révolte, se contorsionne, se débat farouchement, crache le ardillon puis se libère, file au fil de l’eau en me toisant sous la coulée vive. Dans un brusque coup de queue, elle volte face et s’abrite sous un rocher. Elle reprend ses esprits, s’apaise, et jamais plus ne se laissera tenter par une larve de teigne. Jamais plus, c’est ce qu’elle croit…
Inlassablement, je revenais à la charge, un autre matin. Etait-ce elle encore qui tirait sur ma ligne ?
Je n’en sais rien.
Grand-mère était fière de moi lorsque je vidais ma musette sur la table de la cuisine.
– Tout ça ? disait-elle, et elle souriait.
Une plaque de lard pendait au plafond de la cuisine, à portée de visage. Elle en raffolait. elle adorait son croustillant grillé à bonne distance de la braise de sa cheminée.
Elle en coupait des tranches fines qu’elle introduisait dans le ventre de la macrostigma. Elle salait, ficelait, embrochait et faisait cuire dans l’âtre en tournant la broche méthodiquement. Le gras suintait sous la chaleur et oignait la peau de la truite à chaque tour de broche, un mélange délicat, de sel mêlé au gras porcin, délivrait une saveur divine. Grand-mère fermait les yeux et faisait claquer sa langue. Elle détachait des lambeaux de chair blanche, les suçait un instant, se léchait les doigts pour accompagner la mâche qui conduisait sa bouchée jusqu’au fond du gosier. Elle était heureuse en se délectant de ce moment divin, de cette offrande de son petit fils qui devenait un homme.
Elle m’imaginait dans un futur lointain…
Voilà vers quel souvenir joyeux me renvoya la visite du jour au bord de l’eau.
A suivre : Mousses !
Que de belles photos et d’agréables souvenirs.
Hier, ce texte a été traduit en corse et lu sur la radio corse RCFM France bleue.
C’est une coïncidence que vous en parliez aujourd’hui. 🙂