Baignade, incognito.

DSC_2223Ce soir, bien après la brunante, nous irons voir flotter la lune.
(En cliquant sur la photo, on devine bien qu’elle aime les œufs mollets.)
Ce soir, je me suis laissé surprendre par la nuit. J’ai oublié de fermer les poules.
Je file au jardin, ma petite fille me suit. Elle aussi avait oublié.
Juste devant la barrière, à travers les branches basses du noyer, une lampe m’éclaire le visage. C’est inhabituel. Aussitôt, je m’écrie : « Regarde la lune est tombée dans le bassin ! ». Un moment de silence, puis un éclat de rires : « Il faut la sauver ! » lâche Anna Livia. Elle sait que je rigole et elle aime ce jeu. Elle m’appelle « coquin missiaù », d’ailleurs.
La lune est vivante et semble avoir froid. Elle frissonne, tremble, parfois se fractionne sous les coups de rames des rainettes. On dirait qu’elles sont intriguées de voir cette lumière pâle éclairer leur bassin de l’intérieur.
C’est le moment de s’arrêter sur les marches qui conduisent au bas du jardin. Les grenouilles ont cessé de chanter, le calme est revenu, seule la surface de l’eau ondule sans faire de bruit pour bercer la lune. Inutile de parler, de dire, il suffit de regarder et de s’évader. Je laisse l’imagination d’une petite fille se perdre dans un monde que je ne connais pas.
Cette image l’intrigue. C’est la première fois qu’elle découvre un élément céleste qui se baigne en cachette la nuit en croyant que personne ne le verra. Elle se tient le menton, pensive. La vue s’est accommodée à l’obscurité. On devine les rainettes à leurs yeux globuleux, elles attendent qu’on parte pour dédier leur chanson à la nuit étoilée.
Là-haut, au-dessus de nos têtes, l’original est immobile. Dans un mouvement de va et vient entre le ciel et l’onde légèrement vaguelée, le regard d’une enfant se fabrique des souvenirs. Je ne dis rien. Elle invente ce qu’elle veut. Elle seule sait jusqu’où vagabondent ses idées. C’est son secret, son secret pour plus tard… peut-être.
Je sais que ces moments qui n’existent pas dans les villes, qui sont rares, qui sont inattendus, se fixent au plus profond de soi. Pas tous, chacun fait sa sélection. J’espère, et je m’attarde sur ces situations, exprès, en croyant donner les clés à une imagination féconde. L’inconscient garde en secret ce moment imprévu… Un jour peut-être, un lieu, un clair de lune ou même une pluie d’automne déclencheront le rêve d’un soir sur le chemin d’un poulailler. Le disque qui flotte décrochera un sourire pendant qu’un regard se perd dans le monde mystérieux d’une autre galaxie… un regard qui se souvient des moments heureux.
L’imaginaire est magique, c’est lui qui met le réel en perspective.
La bobine enregistre un parcours de vie. Lorsque la lumière s’éteindra pour laisser place au projectionniste des rêves… qu’en restera-t-il ? C’est la part d’ombre sur le chemin d’une vie puisque l’acquis est trié au passage… comme un semblant de liberté.
Peut-être un peu de liberté. L’inconscient choisit ce que le conscient néglige et comme un interrupteur « va et vient », ils jouent à éteindre quand l’autre allume.
La lune blafarde a peut-être installé un clignotant dans un coin de la mémoire d’une fillette. Je crois que j’ai toujours fonctionné de la sorte avec la chance d’avoir connu plusieurs lunes qui m’éclairent chaque soir devant mon clavier.
Eh ! Missiaù ! Faut pas oublier de fermer les poules !

 

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