Une allure de chef d’orchestre, à n’en pas douter.
Ô Isabella bellacina…
Nous étions sous le grand pin de la Cuncuruta, en formation chorale, le regard dirigé vers Carbini et Oronu. Les mentons bien levés afin de maintenir la tête haute,
Monsieur de Lanfranchi, notre professeur de français, d’histoire, de travail manuel, c’était la désignation de l’époque, et de musique aussi, dos tourné à A Taciana, nous apprenait à chanter en chœur.
Les fous-rires étaient vite réfrénés, il veillait, ne tolérait pas les pertes de temps, les sanctions tombaient sans tarder.
« Hou ! Hou ! C’est le vent de chez nous… », cette autre chanson réveillait A Cuncuruta bercée par le doux souffle qui montait de la vallée.
Les voix, modulées au rythme de ses gestes de chef d’orchestre, s’élevaient ou s’assourdissaient sans grand apprentissage tant cela semblait aller de soi sous sa baguette endiablée et son geste magistral.
A l’automne, comme au printemps, les cours de dessin ou de peinture se déroulaient dans la nature. C’était l’occasion de nous exercer au récit, à la rédaction descriptive en créant des passerelles entre les disciplines. Ses interventions étaient d’une précision chirurgicale. Il nous connaissait tous individuellement dans nos moindres recoins. De la sorte, il conduisait un enseignement adapté à chaque personnalité et ne lâchait jamais sa prise. Inlassablement, cent fois, il nous remettait à l’ouvrage, nous poussait à produire le meilleur de nous-mêmes. Chaque aptitude était encouragée de sorte que personne ne se sentait inférieur aux autres. Il existait toujours un domaine où l’on se trouvait à la bonne hauteur.
Je n’étais pas un foudre de guerre à cette période, il m’avait valorisé en me nommant capitaine de l’équipe de foot USEP. Je me souviendrai toute ma vie de la cuisante défaite contre Porto-Vecchio, 8 à 0.
A cette douloureuse, je m’étais nommé « Capitaine de naufrage » !
Evidemment, d’autres élèves vous parleront des cours de bibliothèque que je redoutais, de reliure aussi.
Des vieux livres étaient remis à neuf avec un soin et une précision frisant le professionnalisme.
Rien d’étonnant si l’un d’entre nous, s’est épanoui en littérature ou traine encore du côté de l’édition…
Comme tout autre humain, il avait quelques duretés, comment vouliez-vous qu’il en fut autrement !
« Ô Isabella, bellacina… Boung et wah wah wah … »
Notre professeur a formé un grand nombre de collégiens à l’observation, au goût des choses bien faites, à l’apprentissage de la vie et de ses exigences. Il nous incitait à la précision mais aussi à découvrir le monde et ses précieuses composantes.
Il a prolongé sa carrière en devenant archéologue de renom, il fouillait et fouillait encore pour découvrir le nouveau monde à l’ombre de l’ancien.
Sans doute trouvera-t-il de quoi meubler l’éternité en grattant les moindres recoins de l’Eden à la recherche du péché originel… tant il était assidu, inlassable dans le labeur.
Après un long voyage, il aura bien son lopin de terre, son petit carré archéologique quadrillé, l’éternité aussi, pour peut-être découvrir et dévoiler les coins secrets d’Adam et Eve, ces vestiges jusque-là restés dans l’ombre.
Vaste projet devant l’Eternel.
Il avait cette passion, cette soif inextinguible du comprendre et du savoir !
Cher professeur, bon voyage à travers ciel !