Les bottes.

Un récit modèle de digressions.

C’était un jour de pluie. Alors, je suis resté à l’abri à m’inventer de quoi nourrir mon blog quelques minutes, c’est un agréable passe-temps.

Tout de suite, l’idée des bottes m’est venue à l’esprit, rien d’original pour mon esprit vagabond, quoique la pluie aurait pu inspirer la plage ensoleillée par contradiction ou par réaction. De la sorte j’ai déjà volé quelques mots pour étoffer un peu le texte. L’habiller d’inutile, de banalités qui prennent un peu de place dans un récit.

Je vais vous catapulter, une fois de plus, quelques grosses de poignées d’années dans le passé.

Lorsque nous étions gamins nous traversions des modes. C’est naturel, c’est normal, un enfant rêve de belles choses qu’il n’a pas, et son imagination est suffisamment fertile pour tenter de s’approcher de la réalité.

Une année, nous rêvions de bottes.
Le facteur, résident de Piazza di Cuddu, qui distribuait le courrier dans le village voisin en portait de belles, bien cirées, brillantes et d’un noir rutilant, des chausses de bonne facture. Il habitait le quartier, nous le voyions tous les jours.
Dès que sa moto à trois roues ronronnait sur la place de la Navaggia, nous accourions pour le regarder partir vers l’église, avant de virer vers Carbini son lieu de distribution. Un personnage énigmatique, peu loquace, toujours la tête haute et bien droit sur son engin dont il prenait grand soin.
M. Tramoni était très prudent. A cette époque, les fonctionnaires fonctionnaient comme des fonctionnaires. Ce n’est pas une boutade, ni un pléonasme, c’est la stricte vérité et il n’y a pas meilleurs mots pour décrire cet attachement à la fonction. Il démarrait pépère, jamais sur les chapeaux de roue, les habitants de Carbini et des environs immédiats attendaient leur courrier, il ne fallait prendre aucun risque pour mener à bien sa mission. Malgré, sa lenteur légendaire, son train-train de sénateur, nous étions admiratifs et nous le regardions filer tout droit avant de disparaitre dans le tournant de Pilili. C’était ce virage qui marquait la frontière entre la Navaggia et le reste du village. Chaque quartier pouvait presque se suffire à lui-même tant le nombre d’artisans, de magasins, était important et les jardins florissants.

Après le virage de Pilili, notre facteur attaquait la montée vers la gendarmerie qui plus tard abritera la famille d’un tailleur. Un tailleur pas un couturier. Un homme souriant, souvent de bonne humeur. Il avait ses manies aussi. Je me souviens qu’il rangeait ses cigarettes dans une petite boîte métallique, plate, juste la quantité pour sa consommation journalière. Une lame Gilette rangée dans la même boîte, lui servait à couper ses clopes en deux. L’homme était précautionneux, économe et mesuré. Lorsqu’il jouait à la belotte, il sortait sa petite boîte, coupait sa cigarette et fumait sa portion du moment avec une grande délectation. Il savait la faire durer en tirant modérément et faisant séjourner longtemps la fumée en bouche. Il expulsait les volutes par les narines et le reste par les lèvres pincées pour accentuer l’effet locomotive à vapeur. Parfois en parlant pour imiter la fumée d’un feu étouffé ou un brouillard montant de la vallée. Cela m’avait impressionné. Son amour protecteur pour la famille lui avait ôté toute envie de gaspillage. C’était sa marque de fabrique. Plus tard, lorsque j’avais pris de l’âge, il me disait : « Simonu, quandu voli, ti fò un bello vestitu ! » (Quand tu veux, je te fais un beau costume) Je me souviens de cette phrase comme s’il l’avait prononcée hier. Je retrouvais son caractère, son estampille, lorsqu’il se déplaçait en mobylette, toujours très prudent, tenant sa droite à la perfection. Un homme difficile à prendre en défaut, un père de famille exemplaire.

Rinaldu à gauche avec mon père et son âne Roland qui prenait la relève de Campo.

– Oh ! Simon, tu t’égares là !
– Qui a dit ça ? Non, je voulais faire un clin d’œil aux enfants du tailleur qui demandent encore des nouvelles du village. Il était italien et a dû retrouver sa région d’origine, j’imagine, mais je n’en suis pas certain. On l’appelait Rinaldu par ici…

Donc, les bottes du facteur nous fascinaient.

Certains étaient admiratifs des molletières de leurs pères. A défaut, de bottes en cuir trop onéreuses, certains paters portaient des protections en toile renforcée, très solide, pour aller trimer aux champs. Un des enfants, bien avant que je sois né, en était tellement amoureux fou qu’un jour il déclara : « Si papa meurt à la guerre, je vais mettre ses molle…tières ! » Ceci chanté sur un mode joyeux difficile à faire entendre en écrivant. Bon, j’ai osé raconter cette anecdote car aujourd’hui mieux vaut tourner sa langue dix-sept fois dans bouche avant de parler, de la sorte, on a toutes les chances d’oublier ce qu’on voulait dire…
On pense vivre une époque libérée mais mieux vaut garder bouche cousue le plus souvent possible. Les bien-pensants veillent au grain et usent facilement du panpan cucul.

Je m’égare encore ? Non, je me promène avec vous, c’est agréable vous ne pensez pas ? J’ai l’impression que nous sommes côte à côte et que nous devisons agréablement en musardant sur les sentiers de la Navaggia. Vous voyez ces fleurs, vous sentez ces parfums ? Oui ? J’en étais sûr, il suffit de se laisser guider…

La vipérine a envahi les berges du ru de Funtanedda tout au fond de la Navaggia.

Avec nos envies et notre imagination fertile d’enfants peu gâtés, nous avions trouvé le moyen de nous fabriquer des bottes sur le champ.
C’était l’été, nous étions en short et en sandales. Un ru musardait juste devant Funtanedda qui alimentait la source au passage, de son eau fraîche. La chaleur saisonnière l’avait un peu assoupi, nous avions remarqué qu’un endroit très glaiseux assez profond était resté humide. Nous ôtions nos spartiates puis nous nous enfoncions progressivement dans la glaise jusqu’au genou. Après un effet ventouse qui nous amusait beaucoup avec son bruit d’aspiration, nous ressortions nos jambes chaussées de bottes, de taille et de pointure parfaites. Les plus courts en pattes, dont je faisais partie, se confectionnaient des cuissardes. Nos gambettes fraîchement glaisées, nous nous séchions au soleil. Pendant une bonne partie de l’après-midi nous profitions de notre nouvelle acquisition en déambulant dans les parages comme si nous étions sur un podium de mode. Nous prenions soin de nos chausses toutes neuves avant de rentrer chez nous.

La première fois, nous fûmes reçus vertement car cela compliquait la tâche à la maison, il n’y avait pas d’eau courante pour nous laver.
Nous avions retenu la leçon.
Nous nous attardions plus longtemps du côté de la petite fontaine pour porter nos bottes un bon moment. Nous avions tout loisir de les admirer avant de passer nos jambes sous le filet d’eau fraîche, non pour les effacer…
C’était notre manière de les ranger jusqu’au prochain rendez-vous « di Funtanedda ».

Je doute fort qu’il y ait, de nos jours, un chausseur sachant chausser mieux que le ru di Funtanedda naguère… Il délivrait toutes les pointures sur mesure.

4 Comments

  1. Réjouissant ce récit au fil des souvenirs, merci Simonu la promenade fut agréable 🙂

  2. Merci Simonu !
    Tu as bien saisi le personnage qu’était notre père.
    C’est bien vrai que son cheval de bataille était la phrase “quando vuoi ti faccio un bel vestito “.
    En fait, il n’a jamais dû faire l’effort de parler corse ou français car en s’exprimant dans sa langue natale les Lévianais le comprenaient parfaitement.
    Il était parfaitement intégré sans devoir modifier sa personnalité.
    Dans les années soixante l’intégration n’était pas un problème car les gens arrivaient pour travailler et mettaient leur savoir-faire au service de la communauté.

    1. Merci à toi Joseph de confirmer mes propos.
      C’est agréable d’évoquer ces moments de notre enfance.
      Rinaldu était très respectueux avec tous, y compris les enfants. Le rencontrer au passage devant l’ancienne gendarmerie ou descendre avec lui du village était un plaisir.
      Bonne journée. 🙂

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