C’était une institutrice comme on n’en voit plus.
Formée à l’ancienne, elle se souciait beaucoup du niveau de ses élèves et en faisait tant qu’elle finissait par les exaspérer.
Un de ses élèves, que je suivais un peu pour la soulager, me disait :
– Elle me casse les pieds avec son bordel !
Evidemment, il évoquait le Bescherelle objet de tous ses supplices.
Il en avait oublié le nom et le nommait bordel en toute sincérité, il est facile d’en comprendre le lapsus. Elle le gavait d’exercices pour remonter son niveau, toujours convaincue de sa bonne méthode.
Relever le niveau général de sa classe était son sacerdoce et tous les moyens étaient bons pour cette mission, souvent impossible pour l’uniformité.
Elle avait la foi, en Dieu comme dans ses interventions scolaires quitte à s’en désoler lorsqu’elle réalisait ses coups d’épée dans l’eau.
La maîtresse était très fataliste malgré sa volonté farouche de sauver chaque enfant et cette faiblesse se devinait dans toutes ses interventions.
– Que voulez-vous, je n’en peux plus ! me disait-elle.
J’allais dans son école très tôt le matin et lorsqu’elle était de service, j’avais droit à toutes ses misères.
Une brave dame pourtant, exaspérante qui ne parvenait pas à m’exaspérer. Je l’écoutais sans intervenir et cela la ravissait. Elle s’épanchait beaucoup en réalisant sa psychothérapie, son analyse, sans que je pipe mot. Jamais, elle ne rencontrait si grande écoute.
Je l’avais compris et la laissais s’épancher, j’étais persuadé que cela lui faisait du bien. Je n’en parlais à personne, juste aujourd’hui plus de quarante ans plus tard. Bref, elle m’adorait et m’appelait Monsieur Dominati. Jamais de la vie, elle ne m’aurait tutoyé ou appelé par mon prénom.
Un matin, elle me narrait son inquiétude, sa coloscopie, une grande aventure. Jules Verne l’aurait racontée mieux que moi, un voyage au fond de ses entrailles entre colon et seuil de l’intestin grêle. L’explorateur des tréfonds, heureusement, n’avait rencontré aucun polype, l’iléon était nickel, tout juste a-t-il détecté une diverticulose simple. Qu’une dame anxieuse souffrît de l’abdomen cela n’avait rien d’extravagant.
Une autre fois, tant que nous étions seuls, elle se lâchait, elle était très émue. Très remuée et sans doute sa journée était gâchée. Elle venait de croiser un ancien élève dans une sente, il s’était arrêté pile devant elle et lui avait craché au visage. Elle ne put s’empêcher d’informer toute l’école.
Un jour de février, il avait neigé. Je la vois de loin, fidèle au poste avec un foulard sur la tête, noué sous le menton. J’ai tout de suite compris qu’elle devait être dans tous ses états. En effet, elle s’agitait alors que deux ou trois enfants seulement étaient déjà là. Elle imaginait la suite :
– Vous vous rendez compte, je le savais, aujourd’hui il neige, je suis de service, ça me tombe dessus !
En outre, elle venait de faire une permanente, elle protégeait sa chevelure des flocons humides, avec le foulard. Tout lui tombait dessus, elle s’en plaignait, la fatalité était son leitmotiv… et la rassurait malgré tout.
Elle n’y était pour rien, tout tombait du ciel et cela atténuait toute responsabilité l’incombant. Rien n’était de sa faute, le monde lui en voulait et cela la poursuivait.
Elle m’adorait, vous disais-je. Lorsque je croisais sa classe dans le couloir, la tête bien haute, avec l’assurance d’un sergent chef, elle ordonnait :
– S’il vous plait les enfants, laissez passer M. Dominati. Les deux rangs s’écartaient, je traversais la haie d’honneur sans broncher, elle me faisait un grand sourire lorsque je la saluais et remerciais les enfants…
Elle n’a jamais osé me faire un clin d’œil ! 😉
Risquer de me froisser eut été grand sacrilège !
Que dire… La pauvre 🙂
🙂