J’irai sur la banquise…

L’affaire était pliée de longue date, dans sa tête, largement mûrie.
Il avait réuni sa famille pour annoncer sa décision..
Atteint d’une maladie grave, incurable qui allait en s’aggravant, le faisant souffrir atrocement, il voulait en finir avec sa douleur et celle de ses proches.
Il n’avait plus d’avenir, plus d’espoir, il parcourait, dans son fauteuil roulant électrique, le chemin de la non vie et ne supportait plus cette existence devenue spectacle de souffrance et de désolation.

Ils étaient partis de bon matin pour aller voir la mer. Il désirait passer son dernier jour face aux flots en regardant vers l’horizon.
Un vent frisquet venait du large, ses cheveux gris en bataille flottaient sous le souffle chargé d’humidité salée. Sa famille, la partie qui l’accompagnait jusque là, se tenait derrière lui, sans doute pour ne pas croiser son regard. Il scrutait intensément le lointain, le visage impassible, presque figé dans l’indifférence.
Des idées circulaient dans sa tête, le film de sa vie se déroulait sans partage. Parfois fronçait les sourcils comme s’il cherchait à comprendre l’autre rive. Personne n’osait lui parler, tous ignoraient quelle serait sa décision, ils attendaient la tombée de la nuit. Un temps pénible à vivre, s’éternisait.
C’était son souhait, un dernier jour complet face au sac et au ressac des vagues sur cette arène déserte qu’il parcourait allègrement lorsqu’il était jeune enfant..

Un soleil rouge commençait à décliner à l’horizon, passant à l’orange au moment de plonger dans la mer, là-bas, au loin, où finissent les jours pour faire place à la nuit.
Le ciel était sans nuage.
L’angoisse commençait à nouer la gorge de ses proches, des regards inquiets se croisaient, chargés d’interrogations.

Lorsque l’astre qui fait naître les jours se noya dans les flots, André se souvint du premier livre qu’il avait lu.
Igloos dans la nuit.
Une vieille inuit sentant la fin proche, s’était éloignée sur la banquise, abandonnant sa famille. Elle se fondit dans le paysage blanc, se laissant endormir par le froid glacial…

Sans se retourner vers les siens, André ouvrit le poing de sa main droite et doucement, dans un mouvent infini, porta la gélule à sa bouche, prit une gorgée d’eau au goulot de la petite bouteille posée à son côté droit. Il leva la tête au ciel, resta figé un long moment, le visage au vent. Sa silhouette s’éclairait vaguement de paillettes lumineuses, les étoiles se miraient dans l’onde.
La mer dansait au rythme d’une musique visuelle, cadencée par les reflets d’un vif argent, engagée jusqu’au bout de la nuit sous un faible frémissement de vaguelettes.
Quelques astres lointains clignotèrent, d’autres s’éteignirent.
Une flèche décrocha, une autre plongea au firmament comme un trait fatal.
C’était un signal, la tête d’André s’inclina lentement puis se pencha sur son côté gauche.
Au loin, aux confins de la voute céleste, une étoile clignota vivement attirant le regard de chacun.
Une âme venait de s’installer dans un autre monde au cœur de l’Univers…

Un regard encore triste se portait sur le monde d’ici-bas…


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