Je n’ai jamais été un foudre de guerre en matière de drague.
Je voulais bien mais je ne savais pas comment m’y prendre. Il n’y a pas plus gourmand que celui qui ne sait comment faire pour déclarer sa gourmandise.
Il se pourlèche les babines en rêve, que dis-je, les « blabines » c’est plus musical, son imagination foisonne pour pallier le réel.
Je débarquais du néant de ma Navaggia profonde tout au fond de mon village, pour atterrir dans une grande ville.
Nice était une découverte, la vie s’accélérait, les lumières clignotaient, les filles y étaient plus dégourdies que les garçons. J’avais cette impression.
Ah ! Les jolies demoiselles, pimpantes, « plimpantes » même.
Je m’imaginais à la Saint Laurent au mois d’août lorsque les estivantes débarquaient du continent en masse, à la fête du village. Jolies, fraîches, enjouées et scintillant de couleurs vives. On aurait dit des bonbons mais ça ne s’achetait pas chez Mme Idda la marchande de friandises, pour quelques centimes de franc !
Je fréquentais la fac et traversais le campus presque incognito. J’avoue que je ne connaissais personne dans mon amphi et le monde estudiantin m’ignorait. On ne prête pas attention à un être éteint, totalement effacé, qui file la tête basse à la fin des cours. Personne ne s’imaginait qu’un monde fourmillait sous ma voûte crânienne où virevoltaient les pensées. Des idées ruminées, triturées, rejetées puis reprises pour une autre réflexion.
J’allais dans le temps, accablé, comme si le monde pesait sur mes épaules. C’était triste, surtout pour moi qui fuyais perpétuellement.
Mes moments de solitude apaisée, je les passais au bar « Chez Jacques » où se restauraient les étudiants, au déjeuner.
Je vivais un peu au jour le jour. Je fréquentais le café situé sur le chemin de Carlone pour meubler mon ennui.
Les propriétaires avaient bien compris mon mode de vie du moment, c’était une entente tacite, ils se montraient, discrètement, très attentifs. Ils me réservaient une table dans un coin de la salle, un peu à l’écart, avec deux chaises, une pour moi et l’autre pour un éventuel visiteur. Dès qu’ils me voyaient arriver, ils savaient que c’était un blanc doux suivi d’un œuf mayonnaise avec un peu de salade autour. Un seul œuf, coupé en deux, je disais deux œufs mayonnaises à tort. C’était tout ce que je pouvais payer.
Parfois, ils me servaient une blanquette de veau sans prendre mon avis, c’était mon jour de cocagne. Tout se faisait sans un mot, juste un regard, un sourire et rien d’autre. C’était cadeau, je sentais que j’existais et cette attention me réjouissait.
Un jour, sortant du bar, je remontais vers la fac en fixant mes chaussures pour ne voir personne, une blondinette en descendait. On ne s’était jamais parlé mais nous nous connaissions de vue.
Nous nous croisâmes sur un trottoir en forte pente, je m’en souviens encore.
Je grimpais, la tête basse, le visage d’une tristesse infinie…
« Alors on bêche ? » me lança-t-elle en marquant un arrêt.
La fille aux cheveux d’or, demoiselle libérée, n’avait pas détecté ma timidité.
« Je bêche ? », mon père bêchait et un jour je bêcherai aussi. Comment savait-elle cela ? Sans doute une voyante éclairée.
J’étais un candide dans toute sa splendeur. Un triste candide qui a tout devant lui et ne sait par quel bout commencer. En outre, malléable, un rien me surprenait, m’étonnait. Je ne connaissais pas encore le second degré des autres, je ne savais pas le sens décalé des mots d’un campus. L’argot, par exemple, était pour moi du chinois.
J’étais tout frais, pas encore fini sur la communication, un pur produit bio, brut, difficile à aborder. Un être tout blanc comme neige immaculée, tout neuf et fragile comme un œuf. Un candide qui espérait une couleur sans la chercher, il attendait qu’un pot de peinture lui tombe sur la tête pour paraître en technicolor. J’étais un jeunot plein d’envies réfrénées.
Je prenais ma revanche avec mes amis. En leur compagnie, j’étais un tout autre personnage.
Un vif histrion capable d’amuser son monde une nuit entière sans jamais manquer d’inspiration. Dans ces conditions intimes et particulières, j’étais le roi de la fête.
J’ai toujours préféré que les femmes s’engagent, la facilité me direz-vous !
Ben, la timidité ça vous met sous l’éteignoir. Au bal que je fréquentais sans grande illusion, j’attendais le quart d’heure américain, j’espérais la yankee qui ne vint jamais. La gente féminine, il fallait la débusquer, aujourd’hui c’est plus risqué.
Un jour, il a fallu que je m’émancipe. Celui qui m’avait emmené sur la Côte d’Azur dans ses valises, m’avait trouvé une place dans un hôtel sur la voie principale Jean Médecin, non loin de la gare. Une petite chambre au dernier étage, pas très chère que je pouvais payer avec mes menus travaux. Balayer des escaliers, vendre des savonnettes à domicile, sans grand succès, quelques sous envoyés de Corse que j’appelais « Baisers maman ».
« Baisers maman » était le petit mot que ma mère inscrivait invariablement pour signer le mandat arrivé par la poste, un pécule que j’engloutissais dans la journée avec les amis qui me soutenaient.
Les premiers temps, j’étais content de me retrouver seul avec mon ipséité, de rester moi-même sans avoir à composer avec des contraintes. Je ne gênais plus personne, je n’étais plus à la charge de celui qui m’avait sorti de mon trou. Je m’étais promis de rester éternellement reconnaissant à celui qui a donné une direction nouvelle à ma vie.
Dans mon autonomie soudaine, j’avais gagné une liberté, celle d’évoluer à ma guise. Je sortais beaucoup sans savoir ce que je faisais ni où j’allais promener les pieds. Vers minuit, ou bien après, c’était mon heure, je rentrais chez moi pour retrouver ma solitude. Dans la journée, je produisais du vent sans jamais sentir le souffle passer.
Les toilettes, pour si peu chère la chambre, étaient sur le palier à l’étage inférieur. J’avais remarqué qu’une jeune fille se cachait dans un WC et sortait chaque fois que je rentrais, comme par hasard pour me dire bonsoir de fort jolie manière. Sans doute, cherchait-elle à engager un dialogue. Cela m’intimidait, avec mon léger handicap auditif, je craignais toujours de ne pas tout entendre si j’entrais en discussion, alors je filais en me persuadant que j’avais rêvé. Filer, me défiler était mon attitude favorite. Une fois rentré dans ma chambre, habitué au râteau, je m’étonnais et cherchais à comprendre: « Ce n’est pas possible, elle a dû se tromper de personne… ». A la quatrième ou cinquième fois, je commençais à y croire. Le doute n’était plus permis. Je me sentais de plus en plus hardi : « Cette fois-ci, j’y vais !» pensais-je en signe d’encouragement, vous imaginez si mon cœur palpitait !
J’ai toujours pensé que j’avais eu de la chance dans ma vie. Une grande chance, ce jour-là, s’offrait à moi comme une opportunité tombée du ciel. Au passage suivant j’étais prêt. La fille, toujours décidée, me salua. Je marquai un temps d’arrêt avec un sourire doublé d’un « bonsoir » franc et courageux. Vous voyez le film ? C’était la première fois que je répondais à une drague évidente. Je suis rentré dans ma chambre sans m’attarder avec des idées plein la tête mais point encore suffisamment hardi pour engager conversation.
Le « pauvre homme » ! pensez-vous ? Pas du tout, il me fallait du temps pour digérer ce passage de l’ombre à la lumière mais en mon for intérieur, j’étais plein de vie et de ressources toutes neuves, jamais gaspillées.
Dans chaque chambre, il y avait un téléphone interne pour communiquer avec la réception.
Il sonna dès que je fus rentré. Le patron de l’hôtel me demandait si j’avais rencontré une fille en grimpant les étages, puis dans la foulée, il me balança : « Ne faites pas attention, c’est un travesti… »
Quelques secondes plus tard, je vous jure que c’est vrai, quelqu’un frappa à ma porte et lorsque j’ouvris, c’était la jeune fille avec son petit sac, ses ongles vernis, le visage pomponné, bien maquillé parfaitement glabre. Une finesse de minois évidente, je n’aurais rien détecté sans cette mise en garde. La presque concomitance des évènements, coup de fil et apparition, m’avait déstabilisé au point que je ne savais plus s’il fallait dire « il ou elle ». J’ai balbutié mon refus de la recevoir, assez vertement, un peu affolé… La réaction de ma future ex copine fusa : « Oh qu’il est méchant celui-là ! » puis elle s’éclipsa sans attendre la suite. Longtemps, j’ai imaginé ma première découverte, ma réaction au moment de se livrer tout nu… J’aurais eu une sacrée belle histoire à raconter aujourd’hui pour améliorer celle que je viens de vous narrer.
C’eut été une expérience abracadabrantesque sortie d’une pochette surprise aussitôt refermée dans son emballage. Mes rêves étaient autres et le sont toujours aujourd’hui.
La seule personne qui m’avait dragué jusque-là, ne m’a jamais tenu dans ses bras.
Ma chance a été de rencontrer ma femme. Une personne douce qui m’a repoussé dans un premier temps avant de me découvrir et de m’accepter. Si je n’étais pas un Adonis de rêve, par bonheur j’avais un peu d’esprit, de l’humour à revendre, sans doute un soupçon de malice dans des yeux toujours souriants et parfois rieurs. Annie était tolérante et ne se souciait guère de mes errances, de mes vagabondages. Contente de me voir arriver, pas dérangeante en me voyant partir. Elle a été mon équilibre pour longtemps et ce n’était pas facile de supporter un vagabond… Aujourd’hui, nous vivons des jours heureux avec nos enfants et nos petits- enfants.
Je partirai serein en l’espérant heureuse de notre histoire. Mon départ que je souhaite avant le sien, ne sera qu’une chose de la vie.
Merci chérie de ne pas m’avoir dragué, je venais de comprendre que c’était aussi mon affaire…
Mais je dois être franc, ce fut avec l’aide d’une blatte, la providence se cache parfois sous l’apparence d’un cafard…
Image en titre :
Dans le coffre de la voiture de Denise la copine d’Annie.
L’histrion de service, dans les environs immédiats de Nice. (Janvier 1970)
Bonsoir ,
J’ai rattrapé le » petit » retard qui me séparait de vos écrits , eccu ghje fatta 😊
Toujours ce style enjoué , l’enfant béni des dieux ! Merci pour ces souvenirs qui sont si proches des miens .
Bona sera 😊
Mdr ,j’ai adoré alors on bêche 😄
« On bêche ? », j’en ris aujourd’hui mais à l’époque, je ne comprenais ce qu’elle voulait dire.
Merci P.
C’est agréable lorsqu’on reçoit de la sympathie piu tostu che biacculati ! 😉
Bonne fin de soirée !