Olinte Ange.

C’est l’histoire d’une enfance et d’une amitié, un clin d’œil aux enfants d’aujourd’hui… qui ne passeront jamais par ici.

J’étais quasiment le seul à connaître son vrai prénom. On l’appelait Alain.

Notre amitié a débuté très tôt. Tout jeune, je me réfugiais chez lui le plus souvent possible. Il régnait dans sa famille une chaleur agréable… Chez nous, nous étions dispersés entre grands parents, parents et tante. Sa mère nous gâtait. Je me sentais « au chaud » au-dessus d’un café au lait, un quatre heures accompagné de tartines beurrées ou confiturées. Alain avait l’habitude, pour moi ces moments étaient nouveaux et marquants. Je n’étais pas envieux, nous étions tellement en phase l’un envers l’autre qu’il n’y avait aucune place pour ce genre de sentiment.

Je me souviens du sourire de Françoise, sa maman, très heureuse de nous voir ensemble. Elle nous regardait de loin, l’œil attendri, et semblait fondue devant notre complicité. Très active, elle prenait sa part dans l’entretien de notre amitié, fraternité, vous êtes des frères, pensait-elle.
Son père, Aldu, souvent parti sur les chantiers, rentrait tard pour un repos bien mérité et se montrait plutôt taiseux. Il prenait son repos devant sa cheminée et s’évadait dans de futures entreprises, il révisait ses plans, cherchait inlassablement la meilleure manière de conduire son projet.
Une douceur tranquille se dégageait de son regard, je me sentais accepté et cela me rassurait. 

Nos meilleurs moments de jeunes adolescents, nous les passions dans sa chambre, au grenier. Une chambre que je trouvais vaste à côté de la mienne de six mètres carrés. La sienne occupait la moitié de l’étage supérieur que nous appelions « u suvaghjolu », le grenier. Cela n’avait rien à voir avec le nôtre qui répondait à tous les critères d’un endroit reculé où l’on entassait toutes sortes de vieilleries, d’objets dont l’état et l’âge rappelaient le moyen âge. Normal, leur maison était toute neuve, pas suffisamment boucanée et dont la pierre de taille qui la composait trahissait le granit fraîchement taillé. J’avais annoncé que ma maison serait construite par les soins d’Aldu, si un jour j’avais la possibilité d’en construire une. Ce fut fait, j’ai tenu promesse.

Alain possédait une malle remplie de revues, d’Akim, Bleck Le Roc, Sylvain Sylvette…et bien d’autres dont je dois chercher le nom. I Nous ne rations jamais la suite d’une histoire qui paraissait une fois par semaine chez Joseph di Z’Angella à l’Insorito, le marchand de journaux et de bien d’autres affaires.
Pendant que nous lisions nos aventures préférées, une odeur très forte et très agréable de pommes Starkinson, nous troublait.
La deuxième partie du grenier en était remplie à tel point qu’on ne pouvait poser un pied sans risquer d’en écraser une. C’est là qu’elles finissaient de mûrir. Etalées à même le sol, elles embaumaient le dernier étage nous appelant à la croque irrésistible. Notre sens olfactif titillait le gustatif et nous conduisait à en croquer une bien juteuse que nous choisissions parmi les plus mûres. Nous fermions les yeux pour mieux savourer ce parfum incomparable de la pomme rouge récoltée dans le jardin familial.

Nos premières bêtises, histoire de construire notre indépendance, nous les avons commencées au « Casino ». Notre nouveau refuge, hors du cocon familial, était la dépendance désaffectée d’une petite maison souvent inoccupée au beau milieu du quartier. Nous l’avions baptisée « Casino » car tout y faisait penser. Cigarettes, paquets de cartes, bougies ne manquaient jamais pour une atmosphère cabaret, feutrée, nous rêvions de p’tites pépés.  

A l’adolescence avancée, ce furent les séances de cinéma et les entraînements de course automobile après minuit, au sortir d’un film. Nous rêvions de faire le rallye de Corse, un jour.
Mon ami aux commandes et moi copilote.
Alain avait appris à conduire très jeune, il était très doué pour le volant, un virtuose de l’accélérateur et du frein. Nous prenions des risques inconsidérés pour effectuer le parcours Zonza/Lévie (une dizaine de km) en cherchant à maintenir une moyenne proche de 60 km/h. Nous partions de Levie en pédale douce, le départ s’effectuait depuis le monument aux morts de Zonza, presque un symbole lugubre.
Alain maîtrisait parfaitement sa Dauphine et j’avais une totale confiance en lui. Le nez plaqué sur le pare-brise, je donnais le ton, l’encourageais à couper chaque virage. A cette heure tardive, la route était déserte et les phares allumés nous informaient d’une probable rencontre qui ne vint jamais.
La seule fois où j’ai eu peur, c’est moi qui commis la faute. Nous ne négligions rien, jusqu’au contrôle de passage pour faire tamponner la feuille de route. L’arrêt pour effectuer cette opération se situait dans notre quartier, l’Olmiccia. Je devais sortir du véhicule, faire mine de tamponner la feuille sur le mur qui faisait fonction de table de contrôle, et regagner l’habitacle en un temps record. Ce soir-là, j’eus la mauvaise idée de sortir avant l’arrêt du véhicule… cela m’a valu quelques tonneaux, pas mal de coup de crâne sur l’asphalte et une belle frayeur sans grande conséquence. Je n’ai pas perdu ma lucidité, nous sommes repartis sur les chapeaux de roue.

Le bac en poche, nous visâmes l’université.
Ses parents louèrent une grande chambre pour que nous soyons à l’aise . J’étais le cuisinier, Alain se régalait des navarins d’agneau aux légumes nouveaux en début de printemps, que je lui préparais. C’était ma contribution à l’aventure, contribution qui ne pouvait être pécuniaire.
Mon ami adorait humer le contenu de son assiette en posant une serviette sur la tête pour bien emprisonner les saveurs comme l’aurait fait un amateur d’ortolans.

Une nouvelle aventure s’offrait à nous, je n’en dévoilerai pas le contenu ici. Une vie d’adultes débutants façonnée par des rencontres nombreuses, surprenantes et trop faciles pour des jeunes habitués à compter…

Une fois par mois, je recevais un petit pécule vite retiré avant midi à la poste du coin, vite avalé aussi avant quatorze heures au restaurant le plus proche. Ce fut ma seule contribution sonnante et très trébuchante de tout mon parcours estudiantin.

Nous avons poussé l’amitié jusqu’à nous faire pincer par le garde pêche local alors que nous étions rentrés au village pour trois jours seulement. Nous avions un permis acheté pour l’occasion mais les appâts, des œufs de saumon, étaient prohibés. De retour à Nice, nous fûmes convoqués au commissariat pour signer le procès-verbal devant un officier de police. Le tribunal nous condamna à une amende de 36 000 francs, une saignée insupportable pour le porte-monnaie familial… Voyez comme les temps ont changé !
Une grave agression sur une personne âgée vous vaut, aujourd’hui, un rappel à la loi, plusieurs mois plus tard…
J’étais absent, Alain avait attendu mon retour pour qu’on se rende, ensemble, au rendez-vous avec une semaine de retard.

C’était l’époque des deux mousquetaires, Athos et Aramis, point de Porthos ni de D’Artagnan, l’un pour l’autre et l’autre pour l’un dans les bons comme les mauvais moments.

Et puis nos chemins se sont séparés… C’est avec un grand plaisir que l’on se retrouve aujourd’hui comme si le temps s’était contracté et avait sauvegardé les traces de notre amitié. A chaque rencontre nos yeux pétillent, un sourire nous interpelle : « Tu te souviens, tu te souviens ? »
Et le passé revient au présent, au grand galop pour revivre notre « bon temps ».

Sur la photo en titre, il venait de m’apercevoir en train de le photographier et ses bras se levèrent sur le champ !

Cette photo a dix ans.

11 Comments

  1. Belle évocation, je vous souhaite de passer de bons moments ensembles, une amitié si longue, c’est si rare !

  2. Merci pour ce texte et belles photos de mon père❤️ et mes cousines ❤️❤️une amitié de toujours que vous décrivez tellement bien, que l on ressent les instants, les émotions, à travers vos mots

    1. Merci Claudia, j’imagine…
      Normal nous étions des vrais amis et comme je le disais plus haut, je n’ai aucun souvenir de mauvaise humeur entre nous.
      Je me souviens d’un soir difficile, tout le monde avait fui, j’étais à ses côtés, il me prit par l’épaule et me dit :
      Toi, tu es là ! tu ne m’as pas abandonné… J’ai pris ma part de torgnole mais nous sortîmes vainqueurs ! 🙂
      Quelle belle aventure que la nôtre…

  3. Merci Simon pour tous ces moments très émouvants,que tu décris avec justesse et qui me font monter les larmes aux yeux.
    Je replonge dans mon enfance ,et je suis très touchée par votre belle amitié qui durera toujours.
    Ti ringraziu e ti basgiu.

  4. Oui c’est bien moi ,étourdie que je suis ,j’ai oublié de signer ! 😀
    J’en profite pour te dire que j’ai adoré ton livre qui m’a fait passer des rires aux larmes!!
    Que de souvenirs de notre jeunesse dans notre beau Levie d’antan..
    Basgi

    1. Merci pour les compliments, cela me fait plaisir.
      Un jour je te raconterai la génèse de ce livre, elle n’est pas commune.
      Un autre est sur le point d’être édité, il y a juste quelques points à discuter, je serai fixé lundi.
      Et deux autres devraient suivre dont un préfacé par l’académicien Erik Orsenna, après lecture du manuscrit, le thème le ravit, c’est lui qui me l’a promis.
      J’attends la suite.
      Encore merci, bonne journée chère Zaïra !
      Je t’embrasse.

  5. Félicitations ! J’en suis ravie pour toi!
    Tu mérites ton succès car tu as en plus d’une mémoire sans faille ,un incroyable talent de conteur.
    J’ai lu ton livre avec délice et je pense qu’il en sera de même pour les prochains !
    Bonne continuation Simon et le bonjour à ton épouse.
    Basgi a vò dui.

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