Tarabusquer.

J’avais un groupe d’amis à la pétanque, il y en avait pour toutes les rigolades.
Avec eux, j’avais l’impression de prolonger ma profession jusque dans le loisir. Outre mes rééducations de la lecture, je pratiquais largement celle du langage aussi.

Les amis parlaient entre eux sans retenue et aucun ne se rendait compte des libertés qu’ils prenaient en s’exprimant. Ce n’était d’ailleurs pas libertés, ils trainaient encore toutes les approximations et les distorsions sur lesquelles s’était construit leur langage.
Ils avaient traversé l’école et les années sans trop se préoccuper de leur parler… Ils se comprenaient, c’était bien l’essentiel.

Cela m’amusait beaucoup de les écouter. Je ne les dérangeais jamais sauf lorsque l’un d’entre eux me soupçonnait d’avoir relevé une maladresse de langage et m’interrogeait sur sa formulation. Je m’en fichais totalement, bien plus que ça, cela me donnait des idées.

Surtout l’idée de me faire artisan des mots qui parlent tout seuls, qui ont la définition incluse ou infuse sans ouvrir un dictionnaire pour la découvrir.

Lorsque vous entendiez Francisco dire à un interlocuteur : « Oui, c’est ça, toi tu jectes, tu jectes et tu jectes tout l’temps », on comprenait instantanément que l’homme interpellé était plus que bavard. Il parlait même pour ne rien dire, s’épanchait en idées vaines. Je l’adorais ce Francis qui prenait courage et renforçait sa remarque s’il détectait dans mon œil un signe d’encouragement. Il m’arrivait de le pousser à déclencher son « Tu jectes » sans modération. Il était emballé par son expression sans se douter que ce n’était pas la bonne. C’était entre nous, un jeu magique.

Un autre, à côté, racontait que lors d’une soirée trop arrosée, il avait été malade à gerber, un vrai « geyger » disait-il. Ce n’était pas un accident ponctuel, il aimait bien le mot et se plaisait à rappeler cette aventure. C’était une trouvaille et ne se privait pas de raconter inlassablement son anecdote rien que pour le plaisir de refourguer son vocable. Vous imaginez, « geyger » est plus lubrifié que geyser dans le dire, et doit propulser ses rejets plus franchement.

Un autre, coureur de jupons invétéré, m’avait demandé quel vocabulaire user pour la drague. Je lui avais suggéré de complimenter la callipyge, il était tombé en amour avec le mot, se montrant aux anges et rêveur quant à l’effet qu’il produirait sur la gente féminine. Il cherchait par tous les moyens à le placer et un jour, ne se souvenant plus, il m’avoua qu’il n’avait pas osé car il avait oublié le nom. Il se souvenait de Calli mais la suite ne venait pas. Il me demanda si c’était callipage. Callipyge ! lui dis-je, tu piges. Il avait en prime le moyen mnémotechnique pour le retenir.
Les donzelles de son giron ignoraient la définition et ne se doutaient guère d’avoir de belles fesses.
Ça le faisait rire. J’ignore si la pêche fut bonne, à voir son humeur joyeuse cela devait lui convenir.

Le plus robuste des joyeux drilles, un colosse, cela n’a rien à voir dans l’affaire mais cela vous plante le personnage, était un turfiste étonnant. Il avait le sens inné du jeu du turf avec une réussite surprenante. Incapable de dire correctement le nom d’un cheval, il les estropiait tous.
Dyslexique notoire, il avait du mérite à lire Paris-Turf avec ses noms de chevaux improbables, tarabiscotés, à coucher dehors. Entre lui et lui, il se comprenait et cela entretenait sa lecture. Il ne fallait pas se hasarder à lui demander le nom du galopeur ou trotteur sélectionné par ses soins, vous ne l’auriez reconnu que lorsqu’il franchissait la ligne en vainqueur, le bougre avait le don de bien analyser une course et bien faire le papier, comme on dit en langage turfiste.
En parlant de son nouveau four de cuisine, récemment acquis, il ne tarissait pas d’éloges. Il le trouvait formidable, « A pilise et anti-nettoyant ». A pyrolyse, auto-nettoyant, vous avez rectifié.
Il était fier de son achat !
Pour les approximations à venir, il annonçait « grossi-modo » ou « grosso-modi », non pas à l’humeur mais à l’hésitation du moment.

Non, non, je vous assure, je ne me moquais de personne, j’étais habitué, jamais surpris de tomber sur un mot tordu ou une expression inédite. Ces moments passés à la pétanque était des instants de plaisir renouvelé, en poussant les discussions, les découvertes étaient incessantes.

En fait, je trouvais leurs mots, riches et bavards, on dit parlants. Cela m’avait donné des idées. Lorsque j’écris un texte, il m’arrive de me laisser aller à ce jeu magnifique des mots inventés qui parlent mieux que les originaux ou qui leur ajoutent un goût intéressant. D’ailleurs en écrivant ce texte, je me lâche totalement comme si j’étais avec mes copains et ne me préoccupe ni de syntaxe, ni de sémantique, j’écris comme ça vient.
Je crois que c’est au contact de ces amis que cette idée a germé.
En outre, les côtoyer m’apportait toujours un plus pour mes interventions auprès des enfants dont les structures de langage prenaient le même chemin. C’était une sorte de formation permanente sur le tas. Je connaissais leur milieu, leur parcours aussi.

C’est ainsi que beaucoup de mots éphémères ont poussé dans mes textes. Avec « Se requincler » et ses clochettes joyeuses au bout du mot, on se requinque dans la joie, en musique.
« Flapoter », pour une masse gélatineuse, cela va de soi, vous voyez ce que je veux dire.  
« Messoyer », pour un curé qui multiplie les offices en différents endroits dans la même journée, vous comprenez aisément. Tant d’autres termes jalonnent mes textes, apparaissent pour le besoin du jour puis disparaissent, reviennent parfois.

Le mot qui a déclenché l’écrit du jour est « Trarabusquer ».
Je vous assure que je ronronnais, à moitié endormi lorsqu’il m’est apparu sans prévenir.

En réalité même lorsque je sommeille, je cherche quelque chose mais sans chercher vraiment. C’est une vieille habitude, je suis le Soubirous des mots-bonbons. Ils viennent à moi sans s’annoncer puis me secouent : « Allez ! Allez ! Réveille-toi, je te tends une idée ! »

En fait, l’idée m’a semblé un peu exagérée. Venir me débusquer dans ma léthargie pour me tarabuster sévèrement, avouez que ce n’est point agréable !

Voilà comment naissent les mots tordus.
Aller cueillir quelqu’un qui paresse dans un coin tranquille, pour l’embêter, n’est-ce pas le tarabusquer ?
Hélas ce n’est point une trouvaille, le mot existe bel et bien, il est synonyme de tarabuster mais d’un usage peu courant.

Elle est dure la vie lorsqu’on va chercher nourriture si loin…
Pas du tout, je vous assure que je ne fais aucun effort, je pense et j’écris donc je suis.

Je suis ? Serais-je et suivrais-je encore longtemps ?
C’est une autre histoire, je verrai bien !

Mon mardi a été fécond, j’ai pioché, charrié du fumier… je prépare déjà le printemps 2023, il parait qu’on va déchanter en fin d’année… Je me fais fourmi, sait-on jamais ce que l’avenir nous réserve par ces temps devenus fous…

Je n’avais pas de quoi illustrer ce papier, j’ai choisi le criquet qui me regardait passer ce matin dans le jardin. C’est un criquet sans doute encore juvénile, pas encore fini et non une sauterelle verte qui a les antennes fines et très longues.

Et outre le criquet, on me surveillait :
Hè ! O Simò ! Vituparatu !

4 Comments

  1. La tomate en arrondit les yeux tant vos propos l’étonnent comme un lapin d’Alphonse 😉

    1. Oui, elle était très étonnée, elle a même lâché un soupir me voyant déjà travailler au jardin.
      J’ai bien progressé, je reforme tout en prévision de nouvelle sècheresse, ce sera plus simple et mieux irrigué.
      Dans une semaine, j’aurai terminé. 😉

  2. une très joyeuse découverte..un très grand plaisir de vous lire..une très agréable .
    j espère continuer à vous lire..MERCI. c est plein de soleil ..

    1. Il y a de quoi lire, du bon et du moins bon…
      Fouillez donc dans ce blog dès que vous le souhaitez, vous y trouverez plein de sourires…
      La source coule en abondance, 2800 textes, je crois…
      Merci, soyez la bienvenue. 🙂

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