Les choses de la vie…

… sont-elles si mystérieuses ?

La vie est faite de banalités, de choses prévisibles si nous avions la faculté d’analyser toutes les données d’un évènement avant qu’il ne se produise. Une vision au-dessus des capacités humaines comme un esprit supérieur détaché des contingences d’ici-bas et en mesure de faire sereinement la part des actions qui vont entrer en connivence ou en conflit. L’homme n’est pas, ou très peu souvent, spectateur préalable des heurs et malheurs de son existence. Il subit et donne un sens aux péripéties, après coup. Chacun avec sa sensibilité y verra un signe du destin, la nécessité, ou bien restera indifférent acceptant ce qu’il lui arrive sans y voir une intention de la fatalité ou de la bonne fortune.

Il y a quelques de temps, une cousine que je découvrais, ou plutôt qui me découvrait, me contactait en se présentant afin de demander mon amitié facebookienne. Après quelques échanges pour mettre de l’ordre dans les liens parentaux, j’ai dû faire l’évocation qui suit.

En lui rappelant qui étaient ses oncles, je me suis souvenu d’un moment de la vie de mon père.

Il n’était plus très loin de la fin de son parcours mais rien ne l’indiquait encore. C’était la première et la dernière fois qu’il venait chez moi à Versailles passer un bout de l’hiver avec ma mère.
Il découvrait les domaines du Roi Soleil, c’était plus l’occasion de se dégourdir les jambes que de s’instruire, peu lui importaient les fastes de l’ancien Versailles.
Sortir à l’air libre l’intéressait plus que tout.
Des cousins installés dans la région parisienne étaient venus lui rendre visite dans l’intention de lui faire découvrir le château. Ce jour-là, il avait les pieds enflés, totalement hors de mesure, de sorte que ses mocassins refusaient de le chausser. En sortant sur le palier, il avait repéré les charentaises du voisin absent la journée. Sans rien dire, il enfila les chaussons garés à côté de la porte palière et partit en balade en sifflotant… A son retour, il n’eut point besoin de faire de créneau pour ranger les pantoufles dans le parking à chaussures, à leur place habituelle.
Personne n’a rien remarqué.

Il sentait bien, sans se plaindre, qu’un déclin s’était installé dans son corps, la nostalgie le gagnait peu à peu. Un soir, sans que personne ne se doute de rien, il m’avoua qu’il aimerait revoir son frère Jacques – visible sur la photo en titre – fixé en Corrèze depuis plus de dix lustres (cinquante ans). Ils ne s’étaient plus revus depuis. Puisqu’il était sur le continent, sans notion de la distance entre Versailles et Uzerche, il me demanda de lui préparer le voyage. Nous convînmes d’appeler son frère au téléphone le soir même. Il avait son numéro en poche ce qui trahissait la préméditation. C’était un projet secret bien gardé. Lorsque son frère décrocha au bout du fil, sans trop me présenter, je lâchai :

– Allo, Jacques ?
– Oui !
– Ne quittez pas, votre frère voudrait vous parler.
– C’est une plaisanterie, je n’ai pas de frère…

Le numéro n’était pas celui de son frère mais celui d’un cousin germain qui portait le même nom et le même prénom. C’est très fréquent chez nous car les prénoms des aïeux rebondissent sur les descendants. C’était (c’est ?) une tradition. Ces deux cousins germains se connaissaient bien pour avoir vécu leur enfance ensemble. L’un était ministre et mon père retraité de la voirie au village natal. L’élu de la république est décédé trente-six ans plus tard et m’a raconté leur enfance quelques mois avant de quitter cette terre comme s’il me transmettait un témoin. Bref.

Je lui ai donc préparé le voyage en direction d’Uzerche sans prévenir personne. Mon père se montrait tout en joie de faire la surprise, l’homme était facétieux, toujours porté vers le sourire et la bonne humeur. Parvenu au bout de son périple en gare d’Uzerche, il prit un taxi pour se faire conduire au domicile de son frère dont il connaissait l’adresse. En arrivant à proximité de la maison, il remarqua qu’il y avait du monde dans la cour. Son frère était décédé, c’était le jour de ses funérailles.

Papa n’était pas superstitieux et se posait très peu de questions sur les évènements de sa vie. L’homme était là, sur terre, et cela suffisait à son bonheur. Oh ! Il avait bien quelques pensées bien arrêtées sur l’idée de dieu… Très croyant, il s’en remettait au divin sans chercher à comprendre, en totale confiance d’être en des mains charitables.

Triste de ne pas avoir revu son frère depuis tant d’années et de voir échouer son effet de surprise de si peu , il n’en fut pas plus affecté par les choses de la vie. Il se savait sur un fleuve pas trop tranquille et ne s’encombrait pas d’explications énigmatiques, ni de signes venus d’ailleurs qui épatent toujours ceux qui les recherchent en spéculant quelque intention mystérieuse.

Je n’y vois aucun inconvénient, chacun habite sa vie comme il l’entend.
Tout le reste est accessoire ou littérature a-t-on l’usage de dire.

Un homme simple mais heureux. On le voit ici avec son premier petit fils qui porte son nom et son prénom. Le jour de sa naissance annoncée par téléphone, il sortit le vieux mousqueton italien de la dernière guerre et tira une salve en l’air depuis la fenêtre de sa chambre.
Les gens du quartier savaient la naissance imminente, chacun comprit par SMS (Sur Mode Sonore) qu’elle était effective, ce matin-là… c’était une tradition, locale du moins.

Photo en titre : Le frère Jacques avait fondé famille en Corrèze et n’est plus jamais retourné dans son village natal de Corse.

6 Comments

  1. alphabétisme ou analphabétisme ? qu’importe……. et finalement il a pu dire au revoir à son frère, c’est fabuleux malgré tout !

    1. Analphabétisme, a son importance.
      J’ai vécu dans ce milieu et ce fut ma chance car j’ai beaucoup ri et beaucoup appris de la vie 🙂
      Quand vous saurez que ma mère m’aidait parfois à faire mes devoirs et qu’ils se révélaient faux en arrivant en classe, ce n’est pas anodin, on peut s’effondrer et cela m’a mis debout 🙂
      Oui, être là au bon moment, ce fut un coup parfait. 🙂

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