Au fil de l’eau.

Le bombardement a déjà commencé et va durer longtemps.

La période présidentielle qui est celle d’un choix, d’un changement de cap possible entre les mains des électeurs, devrait être une période sereine et joyeuse. C’est tout le contraire qui se produit. C’est la guerre ouverte entre tous les courants.
A la télé, on dirait que les candidats sont les journalistes. Leur rôle devrait se limiter à laisser chaque prétendant à la fonction suprême exprimer ses idées et ses intentions afin que tout électeur choisisse qui lui semble convenable. Loin de cela, ils s’évertuent à faire dérailler ou à flatter dans le sens du poil selon qu’ils interrogent le « mauvais » ou le « bon » serviteur à leur sens. De la sorte, ils rendent un travail mâché comme si les électeurs-auditeurs n’étaient plus capables de ruminer convenablement.
Devant la télé, on choisit sa chaîne préférée, celle qui prêche le mieux ses propres convictions comme l’on choisirait sa chapelle. Les débats ne mènent à rien sinon à conforter chacun dans ses convictions et ses partis pris, loin de convaincre l’autre, l’un se réfugie dans son credo.
La période est pénible, d’autant que les réseaux sociaux censés rassembler des amis virtuels se transforment en tribunes politiques laissant peu d’espace pour les échanges joyeux.
Le « penser par soi-même » est confisqué : « Fais comme je te dis, j’ai tout compris, ce sera mieux pour toi et pour tous… »
On s’épie, on se méfie, on s’injurie… bref, c’est temps mauvais.
Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, les législatives suivront dans la foulée de ce déjà trop long périple. Avec le quinquennat, la campagne revient souvent et s’étale avec les primaires présentées comme la panacée. Visiblement, elles ne servent pas à grand-chose. La comico-tragico-politique florissante bat son plein.
Finalement, on se demande si cette pléthore d’informations jetées à bassines, à la figure de tous, sans avoir le temps de souffler avant le prochain rinçage, n’est pas la pire des choses.
On dira que c’est normal et que cela fut toujours ainsi, soit !

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Pour me changer les idées, j’ai décidé de dériver au fil de l’eau.
Ce sera l’occasion de vous  montrer quelques belles images de la nature au bord des ruisseaux.
Imaginez vous à la bonne saison. Au début du printemps.
Il n’y a pas si longtemps, je filais souvent à la rivière, au fleuve, u fiumu dit-on, chez nous. Dès la veille, la musette était prête. Un saucisson encore un peu vert du dernier cochon, un ficateddu également séché, des œufs frits des deux côtés bien poivrés et logés dans un demi pain fendu dans le sens de l’épaisseur, du fromage sec et a zucca (la gourde confectionnée par grand-père avec une courge ronde aplatie sur deux faces) pour s’abreuver.
Le départ était toujours très matinal, pré-auroral même. Selon les endroits visés, il nous arrivait de démarrer vers trois heures du matin pour être aux alentours de six heures au bord de la rivière. La météo n’était pas fonctionnelle à cette époque, il fallait juger au dernier moment. Le village était endormi, pas de poêles au feu dans les chaumières, seuls des rapaces nocturnes en fin de chasse bouboulaient leurs derniers appels avant d’aller dormir. Il fallait quelques bonnes minutes pour s’habituer à la nuit encore sombre et devenir un tantinet nyctalope. De la sorte, il nous arrivait d’identifier l’origine d’un bruit qui survenait sur le passage.
Un sanglier encore en vadrouille non loin des maisons grognait d’un ronflement rauque manifestant sa mauvaise humeur avec ce dérangement, alors qu’il était en plein labour toutes défenses plantées dans le sol, fonctionnant comme un soc de  charrue. Il raffole des racines encore tendres et des tiges souterraines gorgées de sève, juteuses à souhait, en plein épanouissement printanier. Gourmand de gros vers, aussi.
Un hérisson fouillait les buissons à la recherche d’un scarabée endormi ou d’un lombric prenant le frais, avant de s’enfouir sous des feuilles pour profiter de l’humidité durant les heures chaudes. Parfois, des bonds, détectés au bruit, signalaient une grenouille en approche d’un point d’eau. Mais, ce que nous redoutions le plus c’était une rencontre avec un taureau sauvage surtout dans un sentier étroit avec le maquis très fourni sur les côtés. Ce furent nos plus grandes frayeurs avec les plongeons réflexes dans les arbousiers, les genêts ou les bruyères les plus denses afin de laisser libre passage à la bête contrariée. Sur le chemin, les surprises étaient légion. L’imagination, jamais en sommeil, nous inventait des fantômes, des extraterrestres à l’approche du ruisseau.

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L’air était plus frais sous les aulnes. Un vent frisquet remontait le cours d’eau et nous obligeait à rajuster la veste militaire assortie au treillis que nous enfilions pour aller à la pêche. C’était le moment choisi, adossé à un rocher, pour préparer la canne et se sustenter avant de commencer à pêcher. Cette collation très matinale était fort appréciée. Un moment privilégié, du haut de nos quatorze ou quinze ans, nous avions l’impression d’avoir passé un cap. Nous refaisions exactement les mêmes gestes que nos pères, parfois fumant une gauloise sans filtre. C’était bien le signe que nous franchissions une étape importante. Pour assurer ce statut, il ne fallait surtout pas rentrer bredouille.
Nos appâts ? Nous choisissions souvent les œufs de saumon. L’achat était onéreux pour les modestes portefeuilles familiaux mais c’était presque l’assurance de bonnes prises. Pour faire des économies, nous ajoutions un peu d’huile dans le pot afin de conserver le reste des œufs. Une huile retirée la veille d’une nouvelle partie de pêche pour que le contenu, sans couvercle, sèche durant la nuit. De la sorte nous avions des appâts de bonne tenue. Moins fragiles, ils ne se vidaient pas et duraient plus longtemps. Personne ne consommait d’œufs orangés au village, pas à ma connaissance du moins. A l’ouverture de la pêche, chaque épicier se fournissait en « couvée saumonée » avec la certitude d’épuiser son stock saisonnier à bon prix.

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Il fallait rester vigilant car le garde pêche ne faisait pas de cadeaux aux plus faibles. Les jeunes, surtout. On me notifia trois-cent-soixante francs d’amende (environ cinquante-cinq euros) en 1969 après un passage au commissariat de Nice où j’étais étudiant, puis devant le juge. Par chance, une élection présidentielle (G. Pompidou) amnistia tous les petits délits, j’avais de quoi m’habiller de neuf avec cette bonne nouvelle.
Nous étions rentré pour un week end de pêche avec mon ami Alain. Nous avions notre permis de pêcher, seuls les appâts « œufs de saumon » étaient prohibés…
Le garde préposé aux ruisseaux était sportif, rompu aux astuces, le fromage « vache qui rit » le faisait rigoler, le truc était éculé depuis belle lurette. Inutile de lui dire que nous pêchions au fromage. Il nous faisait vider le pot dans la rivière avant de nous laisser repartir avec des vers de terre récoltés sur les rives humides.  Avec ce caviar offert au cours d’eau, c’était matin de festin pour les truites chanceuses de s’être postées là .
Ce jour-là, nous savions qu’en amont une autre personne influente du village, à qui mieux valait ne chercher noise, avait les mêmes appâts que nous, nous avions échangé quelques mots, un peu plus tôt. Le gardien de la macrostigma nous affirmait l’avoir contrôlée avec du fromage. Rien n’a changé depuis la nuit des temps, la loi du plus fort est toujours la meilleure.

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Un autre jour, alors que j’étais seul, très loin du village, j’ai fait une prise surprenante. Un peu las, je m’étais assis à l’aplomb d’un lac assez large. L’esprit envolé dans un coin du monde, je rêvais sans trop me soucier du fil à la dérive. Mon hameçon dévala l’autre cascade pour explorer le deuxième lac. Le courant s’était fait pêcheur à ma place et prospectait à sa guise. Le fil s’est tendu brusquement, une secousse soudaine me tira de ma torpeur. Je vis sauter une truite de superbe taille. Elle cherchait à cracher le fer crochu planté dans sa mâchoire. Des ondulations puissantes et nerveuses au-dessus de l’eau menaçaient de casser la ligne à tout instant. Je me demandais comment j’allais remonter les deux cascades sans perdre ma prise. Une bonne trentaine de mètres de fil reprit sa place, progressivement, dans le moulinet avec moult précautions. J’ai réussi à ramener sans trop d’encombres la truite jusqu’à moi. C’était une belle prise de plus de trente centimètres. Un coup chanceux qui m’a laissé re-rêveur un bon moment. Totalement coupé du monde, j’ai repassé toutes les étapes comme un film, je n’en revenais toujours pas d’avoir réussi ce coup inespéré sans rompre la ligne. Je crois que j’ai passé mes meilleurs moments d’adolescent à la pêche. J’y ai connu mes plus belles frayeurs aussi car je ne savais pas nager.

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Le printemps prochain, à quelques encablures, va arriver plus vite qu’on ne le pense, une autre pêche va s’ouvrir.
Deux gros poissons vont se retrouver dans la coulée présidentielle à l’issue d’un premier tour de scrutin.
Le 24 avril 2022, vous aurez tout loisir de ferrer l’omble qui vous fait rêver, il frétillera sous vos yeux pendant cinq ans avant que vous puissiez le frire façon meunière, s’il ne vous roule dans la farine.
Puis ce sera une autre aventure avec la nouvelle truite enchantée à défaut de flûte ou de pipeau…  
Equipez-vous bien pour l’occasion.
Je vous souhaite bonne pêche.

Le petit plus des hiboux martiens.

4 Comments

  1. Superbe billet, avec beaucoup d’à-propos 😉
    La télé et les réseaux sociaux ne sont pas obligatoires, pour la télé, je n’en ai pas et je ne vais jamais sur les réseaux sociaux, ce qui n m’empêche pas de suivre mais de loin.
    Magnifiquement racontées, ces parties de pêche, on se sent transporté dans un autre monde qui j’espère, existe encore un peu…

    1. Il y a quelques minutes, je me disais, « Le jour où Almanito, ne viendra plus par ici, il sera temps de fermer ma porte. »
      J’y reviendrai un jour, plus précisément, car le sens de ma réflexion n’est forcément évident en lisant mon commentaire.
      C’est tout un symbole de ma façon d’être.
      Vous comprendrez un jour 😉

    1. La rime est parfaite, riche même, on devine la poétesse 😉
      Je suis de votre avis, j’étais au calme loin des brouhahas de ce monde en réseaux.
      Bonne soirée Gyslaine.

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