Ni bure ni soutane.

Tante Marie, avec qui je vivais, était sacristine, une dévote en communication permanente avec le divin.
Jour et nuit, elle pouvait à tout instant décrocher son téléphone imaginaire pour faire une demande, adresser une prière afin que le tout puissant intervienne dans les affaires d’ici bas.
Connue sous le pseudo de Maria vint’un’annu, un surnom qu’elle tenait de son père, également sacristain, petit de taille, ce qui laissait planer le doute sur son âge. A sa majorité, il affirmait à qui voulait l’entendre, qu’il avait bien vingt et un ans. Simonu vint’un’annu était un sobriquet naturel, souvent, les comportements ou les dires étaient repris pour identifier une personne.
C’était mon grand-père paternel dont je porte nom et prénom.
Les histoires de ce genre étaient légion à l’époque, aucune famille n’échappait à l’usage intensif du surnom.

Marie s’affairait beaucoup autour de la sacristie et de l’autel.
Bien avant la messe, elle allumait les grands cierges, inaccessibles à bras,  avec une mèche au bout d’une canne puis à la fin de l’office, les éteignait avec l’étouffoir en forme de chapeau chinois. Un filet tremblant de fumée s’élevait jusqu’au plafond, mêlant une odeur de cire chaude à celle de l’encens, imprimant une fragrance typique à notre église paroissiale.
Elle veillait sur le réservoir de l’encensoir, remplissait les burettes, essuyait le calice, remettait le claquoir sur la première marche qui menait à l’autel, plaçait le lutrin à gauche du tabernacle, tout était prêt pour l’apparition du prêtre.
Elle n’avait pas accès au tabernacle qui abritait le ciboire rempli d’hosties, heureusement car elle se serait gavée de pastilles blanches dont elle raffolait.  Le corps de Dieu était le meilleur médicament de tous ses maux. Point besoin de comprimés, de compte-gouttes pour soigner ses rhumes ou ses toux, l’évocation du corps du Christ constituait un puissant placebo à l’efficacité redoutable.
En dehors des communions dominicales après être passée par confesse, elle se contentait des chutes d’hostie qui traînaient dans la sacristie, qui pour elle, avaient même valeur, même effet que l’original. Elle était une inconditionnelle de la confession. Je me demandais de quels péchés elle pouvait bien se débarrasser. Je la soupçonnais plutôt de vouloir accéder plus souvent à la communion pour plaquer contre le palais une hostie fondante difficile à déloger. Certains bataillaient discrètement pour décrocher la pastille collée au plafond sans trop tarabuster le corps divin.

Sa spécialité était le glas. Elle avait succédé à ses parents dont on m’a toujours vanté la virtuosité cordes en mains pour actionner les cloches. Parait-il, mes grands-parents savaient distiller les sons des différents airains : la volée, la haute volée, le glas et faire tinter le bourdon mieux que quiconque. Lorsque la modernité s’est invitée dans le clocher, tante Marie a semblé déboussolée, triste de la « suppression » des cordes. Elles étaient restées en place mais ne servaient qu’en dépannage lorsque le clavier installé dans la sacristie tombait en panne.
Un petit clavier que Marie appelait le piano, disant « Hélas je ne sais pas jouer du piano ! »
Le curé avait tenté avec elle une approche du clavier, mais depuis la sacristie le son n’était plus le même.
Elle jugeait la justesse du son à l’oreille comme en tirant sur les cordes et imprimant un rythme particulier à chaque annonce. Une corde était enroulée à sa jambe droite, une à chaque bras, trois à la fois pour tirer des sons différents en harmonie, rendez-vous compte de l’affaire ! Il lui a fallu un certain temps pour qu’elle retrouve le tempo et le sourire du même coup. C’était elle qui annonçait urbi et presque orbi chaque décès survenu dans le village.

Sur la cheminée, elle avait posé une veilleuse à huile dont le luminion était vif en permanence.
Il représentait la lumière de ceux qui vivaient loin de la famille et ne devait jamais s’éteindre. Dans la chambre trônaient  portraits de la Sainte Vierge, crucifix, herbe de l’Ascension, croix et palme de Pâques. Dans sa poche, un chapelet qu’elle sortait à tout moment de la journée dès lors qu’elle était désœuvrée. La nuit, elle s’endormait très tard après d’innombrables prières adressées à Dieu pour qu’il protège tous les siens et lui fasse, enfin, trouver le sommeil. Elle était insomniaque et très matinale, aussi.

Comment vouliez-vous, dans une telle atmosphère, passer à côté du Tout Puissant et de tous ses saints ?

A force de fréquenter l’église avec elle, je ne ratais aucune messe, la maîtrisant du début au « ite missa est », la messe est dite.
J’étais un enfant de cœur modèle, bien mécanisé, capable de placer un « corpu dominus » ou « Jesu Cristu » au bon moment. J’avais intégré une bonne partie de l’office et pour lui faire plaisir, je redisais la messe à la maison. Tata était aux anges et m’avait installé un autel sur la cheminée. Nappe en dentèle fine de sa confection, deux quinquets à pétrole sur les côtés, une croix en bois au beau milieu et un chapelet pendant sur la gauche de l’âtre dont la petite croix, dans le vide, ondulait et frémissait au moindre souffle venu du conduit. Tante baissait la tête au bon moment, faisait une génuflexion, bref, elle m’admirait dans cette fonction au-dessus de toutes.
Qu’est-ce qu’elle était fière de moi, Tante Marie ! U me prituchju ! disait-elle (Mon petit curé)

Elle m’avait promis une robe de bure pour me voir, au moins, habillé en moine. On ne brûle pas les étapes, on ne devient pas curé comme ça… on verrait plus tard, elle visait le séminaire à l’évêché d’Ajaccio..

Je baignais dans la foi ambiante, un petit couvent à la maison aurait fait bonne figure. Quant à savoir s’il fallait appartenir à l’Ordre de Saint Bruno pour être Chartreux, bénédictin fidèle à Saint Benoît ou franciscain de l’Ordre des Pauvres l’importait peu… La foi, une bure et de l’hostie à domicile de quoi satisfaire ses vieux jours… et la combler totalement.

A cette période, je devais tourner autour des dix ans, j’étais plus branché église qu’école. Je ne savais pas encore lire disons que j’ânonnais plus que je ne lisais. Répéter les prières et les cantiques était plus abordable pour moi qu’appliquer une règle de grammaire ou conjuguer un verbe à bon escient. En revanche, je crois que j’avais déjà ce regard aiguisé qui m’a beaucoup servi par la suite. La mémoire, aussi, elle est encore fraîche et cela m’amuse pleinement de me retrouver tant d’années en arrière comme si c’était aujourd’hui.

Quand j’évoque cette période, je m’y vois encore : j’ai dix ans. J’évite de trop me regarder dans la glace pour que cerveau et corps ne se trouvent en contradiction frontale et décevante 😉

Je n’ai jamais vu la robe de bure. Les circonstances ont voulu que la commande s’avère difficile à réaliser et puis je me trouvais à une croisée des chemins. L’école commençait à m’intéresser, ma pensée se transformait. Je me questionnais sur des contradictions majeures dans les dires et les faits de certains pratiquants assidus.

Après la messe matinale, j’avais, grosso modo, cinq minutes pour gagner l’école. Je partais en courant, l’appel de la communale se faisait plus fort pendant que je devenais coureur de fond pour arriver à point.
Souvent, je m’asseyais à ma place « spulmunatu », essoufflé avant de retrouver mes esprits rationnels devant un exercice de mathématiques.

« Chi diu ti binidiga ! » me disait-elle souvent, « Que dieu te bénisse ! », je crois bien qu’il a tout entendu et qu’il a exaucé son souhait…
Elle l’aimait tant ! Et moi donc ! Elle m’adorait !

Maria vint’un’annu sacristine et livreuse de télégrammes à domicile au village de Lévie, au milieu du siècle dernier.

L’image en titre est une sorte d’allégorie. Elle évoque mon tiraillement entre l’église et l’école à un moment incertain de ma vie. Les deux bâtiments semblent converser.
A Tasciana que l’on voit en fond, fait face à ma maison, c’est mon Fuji-Yama que je vois tous les matins en ouvrant ma fenêtre.

8 Comments

  1. Je connaissais déjà l’histoire de votre tante Marie, vous avez effectué une belle mise en forme avec une écriture fournie et vive, de l’humour discret entre les lignes et beaucoup de tendresse, magnifique morceau d’anthologie. Belle image aussi pour illustrer le tout 🙂

    1. Je reprends quelques textes écrits en premier jet, je deviens plus précis.
      Il y a un gros orage qui se prépare au-dessus de Lévie, le ciel est noirissime. 🙂
      Je file, ça va disjoncter.

    1. L’herbe de l’ascension est une herbe que l’on cueille le jeudi du même nom avant le lever du soleil.
      Elle est accrochée au mur avec une ficelle et continue à vivre jusqu’à fleurir, c’est bon présage, elle protège les habitants de la maison. Si elle ne parvient pas à fleurir, c’est mauvais présage.
      En fait, rien de mystérieux, c’est une succulente, plante grasse, bisannuelle.
      La première année les racines ont une fonction de nutrition et gorgent les feuilles de réserves.
      La deuxième année, les racines perdent la fonction nutritive et n’ont plus qu’une fonction de fixation, entre les pierres d’un mur par exemple. Que la plante reste en place ou fixée par une ficelle c’est kif kif bourricot.
      Les réserves stockées dans les feuilles nourrissent une inflorescence qui se développe et fleurit.
      Les feuilles se vident, c’est la fin du cycle la plante sèche et meurt.
      Le phénomène surprend car personne ne cherche à comprendre, certains refusent carrément toute autre explication que celle d’une action divine.

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