Grands espaces, un air de plaisir en liberté.

Le plaisir bien plus que le bon sens est la chose au monde la mieux partagée. Personne n’en est privé et chacun le trouve, à sa manière, là où ses sens frissonnent le plus. Même l’abbé Pierre et mère Theresa prenaient leur pied dans l’humanitaire quand d’autres se roulent dans les paillettes et le vacarme.

Il existe une sorte de hiérarchie dans le crescendo du plaisir. Le sourire, le rire, la joie, la jouissance, l’orgasme et l’extase semblent des jalons dans l’escalade, en passant par toutes sortes de nuances telles la surprise, le frisson, l’émoi, la boule au ventre et l’angoisse légère, prémices au sentiment joyeux. Un contraste nécessaire comme le sel est exhausteur de goût.

J’ai connu une personne qui prenait son plaisir en se faisant peur. C’était un lycéen interne qui dormait dans la couche basse de lits superposés. J’occupais celle du haut. Certains soirs, calculés de manière qu’ils paraissent aléatoires, il décidait de faire le « scandale », vers minuit. Il se mettait à crier très fort comme s’il poursuivait des sangliers, dans le but de réveiller les autres pensionnaires et le surveillant de service. Ce dernier cherchait le coupable fixant les visages avec sa lampe. Ceux qui s’étaient réveillés, parfois surpris en pleine hilarité, avaient du mal à défendre leur innocence. Le vrai coupable « dormait » sur ses deux oreilles, un comédien né. Quelques fois, le lendemain, il me demandait si j’avais apprécié ce moment de folie. Il faisait son spectacle tout seul et savourait cet instant de pagaille nocturne, tout seul aussi. Il n’en parlait à personne craignant une trahison, il me prévenait parfois au coucher pour que, dormant juste au-dessus de lui, je ne sois surpris. Un jeune homme sérieux, au-dessus de tout soupçon. Personne n’a été dans la confidence. Ce comportement inhabituel, original, très étrange, m’avait beaucoup étonné.

Un lit dans un dortoir, quel rapport avec les grands espaces ?
C’était une digression dont je suis coutumier.

Je regardais des chevaux sauvages parcourir de grands espaces en un rien de temps. Un vent de liberté soufflait sur le plateau, les nuages s’amusaient aussi, batifolaient dans un ciel d’azur. Ce spectacle dans un décor complice évoquait en moi le plaisir débridé.

Lorsque l’étalon amorçait un pas de trot, sa crinière ondulait sur son cou ou flottait comme une bannière. Sa queue, en panache joyeux, se balançait avec une élégance naturelle. L’allure aérienne, légère, sautillante, exprimait le plaisir équin dans toute sa grâce, sa fougue aussi.
Parfois piaffant, piétinant des antérieurs, il caracolait, paradait comme s’il se donnait en spectacle.
La liberté, le plaisir et les grands espaces s’étaient rassemblés là, entre verdure et raidillon rocailleux. Une brise un peu soutenue, parfois fouettant en rafales, jouait à Zingaro* guidant un court galop vers le sommet puis suggérant quelques ruades balancées dans le vide.
Tous semblaient se déplacer au hasard de leurs gambades pour exprimer leur joie ivre d’un air trop vif et entêtant.
Pour souligner le tout, un ruisseau paisible paressait dans son cours tranquille, dessinait des méandres pour ne point s’ennuyer. L’onde prenait sa part d’oisiveté presque en hésitant comme si elle ne voulait pas quitter cet endroit de rêve. D’ailleurs, elle s’endormait dans des pozzines, des sortes de nids où l’eau se repose pour mirer toutes les facéties d’un ciel devenant tour à tour, azur, azurin, céruléen, bleu maya, électrique ou turquoise. Un ciel qui se ferme soudain dans un miroir laiteux, gris souris, parfois plus ombrageux.
C’est dans ce miroir aquatique, autour de lui en courses folles, que se tenait un spectacle ravissant, il me semblait que tous les plaisirs du monde s’étaient rassemblés dans la quiétude du Cuscionu, un plateau paradisiaque.

C’est ici, nourri de bols d’air vif, de couleurs, de gambades, l’esprit totalement rasséréné, apaisé par la fatigue, que je me ressourçais, croyant avoir trouvé la paix disséminée dans ces grands espaces, en harmonie avec le ciel.
Je croyais tenir la liberté, je cultivais le plaisir absolu en pianotant sur tous mes sens.

Il faut des mots pour le dire, des mots qui passent.
Je cultive le plaisir comme on cultive son jardin…

*Zingaro=Théâtre équestre (tzigane en italien) créé par Bartabas. 

Chevaux sauvages.

7 Comments

  1. Qu’il est bon ce petit vent de liberté et d’insouciance qui passe les distances pour venir nous combler de plaisir à travers nos écrans ! 🙂

  2. Oh !!
    Dans quelle merveilleuse balade vous nous emmenez aujourd’hui …
    Rien qu’en vous lisant, bien avant de voir vos magnifiques photos, j’etais transportée au Cuscione, endroit magique pour amoureux de nature, qui fait appel à tous nos sens ….
    Merciiiii 🙏
    J’adore vos mots bleus de ce jour ! 😉

    1. Vous voyez Fleur, les choses de la vie sont une exposition de contrastes.
      Si c’est bien aujourd’hui, c’était moins apprécié hier et demain ?

  3. Vos mots nous portent jusqu’au plateau du Cuscione, et nous en sommes presque à ressentir ce vent de liberté…
    Merci pour votre recit, et bravo pour votre talent d’écrivain 👍.
    A très bientôt Simonu
    Ps :A quand un recueil de vos récits ?

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