L’expérience de la vie qui conduit à la maturité ou à la bêtise éternelle m’a transporté tout droit vers la jeunesse. Je ne vieillis plus, je rajeunis. J’exagère à peine, disons que j’exploite au mieux la vivacité de mes vingt ans, mais celle de l’esprit seulement. L’autre n’est plus tellement de mes envies, je commande très peu sur ce registre-là. Sauter à la corde, piquer des sprints sur cent mètres quand ça me prenait comme faire des parcours de pêche en passant par des parois escarpées ou par de longs tunnels de sanglier sous les ronciers au risque de me trouver nez à nez avec un solitaire… ça non, je ne peux plus.
Le plus difficile est de croiser le miroir. Il ne ment pas, il s’en fiche, il n’est que glace et de glace. Il n’est pas le seul. Le pantalon, la chemise, la veste, tous se liguent pour ce moment de vérité cruelle. Je sens bien qu’aller au jardin n’est plus une sinécure, monter à l’échelle non plus…
Alors, je me vois autrement en évitant de me regarder dans tout ce qui réfléchit une image. Je ris facilement, je plaisante beaucoup, j’exerce mon esprit, je l’exploite à fond. Je le flatte, lui fait croire qu’il est dans le vrai. Il est encore capable de prouesses, plus encore qu’avant. Il a vingt ans et toute sa verdeur. Et moi, je préfère l’écouter, l’encourager puis le suivre.
Je promène ces vingt ans dans ma tête et ailleurs. Ma mémoire est vive, l’ancienne comme l’antérograde*, vous savez celle qui, défaillante, annonce le plongeon dans la sénilité « inventée » par Alzheimer. Peut-être a-t-elle déjà pris racine et commence à produire les mycorhizes* d’un futur esprit décadent ? On verra bien, là également ce n’est plus de ma volonté.
C’est une esquive de plus à ma botte mais un D’Artagnan finit toujours par avoir le bras qui tremble.
Je suis devenu jeune et c’est ainsi que je voudrais partir, la peur au ventre, plein de regrets et de larmes, une émotion très forte au moment de quitter la vie… et puis, savoir enfin tout ce que j’ai perdu lorsque mon esprit et mon âme, mon corps suivra facilement, auront basculé sous d’autres tropiques.
Cet instant de basculement conscient et intense entre la vie et un « je ne sais quoi » appelé mort… Un dernier instant puissant qui n’est brusquement plus rien (?) Un moment où vous regardez les autres, la beauté des choses à travers la fenêtre une dernière fois. Le moment le plus difficile d’une existence et qui n’a pas de nom. Un moment très bref qui s’effacera en un éclair mettant fin au point CV. Ce Condensé de Vie que l’on parcourt très vite pour tout emballer dans la conscience qui vous reste, et partir avec son paquetage, presque à la sauvette, dans l’espoir de garder le souvenir de l’autre côté du miroir.
Je passerai vous dire… je passerai vous dire que je ne sais toujours rien !
*Mémoire antérograde = mémoire récente, retenir des évènements nouveaux.
*Mycorhize = Résultat d’une symbiose entre les racines d’un arbre et un champignon. Truffe par exemple. Dans mon image, le résultat n’est pas si réjouissant puisque ces truffes sont toxiques.
Très beau texte, mais il faudrait un peu penser à autre chose, hein 😉
Je pense à plein de belles choses et celles-ci, pour moi, en sont. 😉
Ne vous inquiétez pas Al, j’attire ceux qui aiment la vie.
Demain ce sera pire encore « Les mots blancs » mais il y a toujours la lumière quelque part.
Je me souhaite un bon dimanche et à vous aussi 😉
Je pense personnellement que j’ai appris à aimer ce que je deviens et passer devant le miroir ne m’émotionne plus du tout.
Il y a un temps pour tout non ?
Bonne soirée 🙂
Il y un temps pour tout et ceux qui préfèrent ne pas voir 😉