Noces d’or.

Fraîchement débarqué de ma Navaggia natale, je fréquentais l’université niçoise.
Je découvrais la vie et ses plaisirs nouveaux en accorte compagnie. Accortes demoiselles en apparence, des étudiantes plus délurées que moi, profitaient de mon côté candide, tombé de la dernière pluie.
J’étais vaguement SDF, ne sachant jamais où j’allais dormir, hébergé par des amis, j’avais choisi une forme d’errance et de liberté pour ne pas empiéter longtemps sur leur vie.

Il fallait que je sorte au plus vite de cette galère car j’y perdais mon âme et c’est à ce moment que je fis la connaissance d’Annie.
Elle vivait, non loin de la promenade des Anglais, en colocation avec une copine dans un studio cossu. Sa colocataire était la petite amie de mon meilleur copain, c’est ainsi que je pus faire intrusion.

Ce ne fut pas conquête facile. Annie n’appréciait pas du tout mes tentatives de séduction, demandant à sa copine de ne plus me convier à des visites au studio.
Mes tours de magie et mes anecdotes la rebutaient au plus haut point, je n’osais même plus faire des avances, condamnées dans l’œuf à la moindre tentative.

Je m’étais résigné apparaissant moins souvent et me montrant plus discret.
Un soir de cinéma, nous avions la même approche d’un film et cela me fit gagner un petit point dans son estime. A force de papillonner, j’avais pris du retard dans mon mémoire de sociologie que je devais rendre au plus tôt avant disqualification. J’eus la bonne idée de lui demander de le lire afin de corriger mes fautes et là, je suis monté en flèche sur l’échelle de l’intérêt porté à quelqu’un.

Annie était plus souriante, conversait plus facilement avec moi, elle se montrait docile et attentive.
Un soir, alors que nous étions tous les quatre au studio, elle se retira dans la cuisine pour un prétexte quelconque et au bout de quelques secondes poussa un cri d’effroi.
Sans masque de Zorro, sans épée et sans cheval, j’ai volé à son secours. Elle était paralysée à la vue d’une grosse blatte. Je l’ai prise sous mon aile pour la protéger me gardant bien d’écraser le cafard providentiel, je lui devais bien cette mansuétude. Nous nous sommes regardés dans les yeux, et comme au cinéma, ce fut notre premier baiser.
Elle se montrait très attentive, équilibrante, contente de me voir arriver sans prévenir et jamais contrariante si je repartais à des heures suspectes.
Elle terminait ses études, je venais de purger mon sursis militaire, nous avions hâte de partir à l’aventure.

Ses parents ne la lâchaient pas sans mariage, nous fûmes très prompts pour organiser noces au plus vite. Nos familles, très croyantes, ne concevaient pas que le mariage fut civil, seulement.
J’étais agnostique, Annie avait emboité le pas, nous cherchions un curé qui accepterait de nous marier sans confession ni communion. J’avais l’impression de trahir ma conscience en passant par confesse alors que j’acceptais cette union religieuse par conformisme pour ne pas déranger nos ascendants. Nous écumâmes toutes les paroisses niçoises sans succès.
Je ne sais plus comment, nous poussâmes nos investigations jusqu’au village d’Aspremont dans l’arrière pays niçois et là, bingo ! Le curé accepta nos conditions sans la moindre hésitation.

Lorsque nous pénétrâmes dans l’église, des chants s’élevèrent dans la nef. Une chorale chantait pour nous, j’avais la chair de poule, des humains, des femmes à l’unisson, nous accueillaient en chœur qui allait crescendo. C’était magnifique et poignant à la fois. Je ne me souviens plus de la messe mais ces voix chantent encore dans ma mémoire.

Le repas se tint dans un restaurant tout proche de l’église. Un étudiant s’était présenté avec une guitare pour animer notre après-midi en chantant le répertoire de Georges Brassens. Ce fut également un joli coup inattendu et joyeux. L’animateur tira son chapeau, chacun y versa ses pièces ou ses billets, il sortit du restaurant à reculons en nous saluant bien bas.

Le soir, nous étions sur le bateau, le vieux Napoléon filait vers la Corse.
Le gros de ma famille nous attendait au village natal pour une rebelote festive. Fourbus par tant de belles choses d’un seul coup, nous nous sommes couchés tôt dans la chaumière de mon enfance, totalement isolée au plus bas du village.

Vers minuit, nous fûmes réveillés par un son de guitare. Un son pur et métallique s’éleva dans la nuit étoilée. La voix cristalline de Piuleddu, reconnaissable entre mille, emplit le silence de la nuit sur un air de Cobra. Tout avait été organisé, nous n’avions rien vu venir.

Une semaine plus tard nous partions à l’aventure, à la conquête de Paname avec une valise et quelques sous. Nous débarquâmes au 55 bis de la rue Montparnasse dans l’appartement bourgeois d’une tante de mon épouse.
Afin que nous puissions profiter de nos fraîches épousailles, elle s’éclipsa, s’organisant des vacances à Nice.
Nous vécûmes une semaine comme des pachas, dépensant sans compter entre cinéma et restaurant. Complètement plumés sans le moindre revenu, il fallait songer au plus vite à trouver travail.

Une idée lumineuse traversa mon esprit, le cousin germain de mon père était président du conseil de Paris, faisant office de maire.
Séance tenante, nous mîmes le cap sur l’hôtel de ville.
Encore habitué à la campagne, comme si Paris était San-Gavinu di Carbini, j’ai sollicité un entretien avec l’édile du coin. On me signifia gentiment qu’il fallait un rendez-vous pour cela, on me tendit un imprimé pour que j’inscrive nom, prénom et motif de la visite.
Lorsque l’huissier de service découvrit mon nom, il se dépêcha de porter le papier et revint presque en courant nous disant :
– Monsieur le président, vous attend dans son bureau.
Les retrouvailles furent une bénédiction, et me voilà aussitôt avec un énorme cigare au bec pour donner des nouvelles de toute la famille…

L’affaire était vite pliée, deux jours plus tard je débutais ma carrière au secrétariat de l’Inspectrice Départementale de Versailles, Annie, plus diplômée que moi, commençait dans un collège en tant qu’auxiliaire, une semaine plus tard.
Nous étions sur les rails, à nous de réussir à tous nos examens, ce fut chose presque facile, sans doute ce coup de pouce nous avait, d’emblée, dirigés sur la bonne voie.

Cinquante ans plus tôt, jour pour jour, le 28 août 1971, le curé d’Aspremont bénissait nos alliances en or blanc, aujourd’hui nous fêtons nos noces d’or.

Il nous reste encore un bout de chemin avant le The End de notre histoire.
La bobine tire à sa fin mais tourne encore.
Sans viser les noces de diamant et encore moins celles de platine, notre aventure se poursuit. Seul le curé d’Aspremont doit connaitre la fin de notre parcours, s’il est dans la confidence, bien entendu, et si Dieu ne lui a pas tiré les oreilles de nous avoir épargné confesse et communion 🙂

Aujourd’hui c’est champagne !

Comme disait mon père : « Pari un prifettu !  »
(On dirait un préfet)
Il ne manque que la casquette et les gants blancs.
J’avais été habillé de pied en cap par mes beaux parents, aujourd’hui un tailleur de renom m’aurait sponsorisé 😉
Allez savoir !
Sortie de l’église d’Aspremont.

11 Comments

  1. Magnifique !
    Encore tout plein d’anniversaires pour vous deux, je trinque de loin à votre santé et à votre bonheur et si c’est permis, je rajoute une bise à chacun d’entre vous.
    Belle journée !

    1. On m’avait habillé de neuf, ça change un personnage.
      De presque sdf, je devenais préfet 😉
      Merci, bonne journée Chat. 🙂

  2. Bonsoir Simon,
    Merci de partager avec nous ce moment de votre intime.
    Une belle aventure qui perdure…. rare aujourd’hui.
    Mes parents fêteront bientôt leur anniversaire aussi : 60 ans. Enfin, quand je dis fêter, j’exagère car leur état de santé (celui de ma mère, en particulier, rentrée depuis peu à domicile, après 7 mois d’hospitalisation), n’est guère brillant et ne permet, hélas pas, les retrouvailles familiales au restaurant, comme cela avait été le cas, il y a 10 ans).
    A titre personnel, je ne crois pas que le destin ait prévu un aussi long chemin…
    Soyez heureux tous deux et continuez de savourer ce fol amour qui renforce si bien le cœur et l’âme. 🙂
    Belle soirée.
    Catherine

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