Un autre monde.

Ce récit est véridique, c’est-à-dire qu’il est conforme à la réalité. Rien n’a été inventé malgré l’extrême abracadabrance qui caractérise le contenu des anecdotes, je les relate avec une grande fidélité.
On baigne dans une extravagance surprenante que l’on a très peu de chances de rencontrer une seconde fois dans sa vie.

C’était une matinée tranquille, j’étais dans un petit village de Corse du Sud, assis sur le pas de la porte d’un bar. Un homme, tout ce qu’il y a de plus banal en apparence, s’était posé à côté de moi. Visiblement, la curiosité l’avait poussé jusque-là pour faire connaissance.
Le dialogue était en corse et donc plus croustillant, il perd une bonne part de son craquant après traduction.

– Alors ami, d’où êtes-vous ?
– De Lévie.
– De Lévie ni, Livia ! Vous connaissez Chirac ? C’est un ami…

C’est ainsi qu’il amorça la conversation, en me demandant, dans un premier temps, si je savais où se trouvait le trésor de mon village. Devant mon étonnement, il m’assura que dans tous les livres qui font référence à un lieu habité, il existe des indications à condition de savoir lire entre les lignes. Il me demanda de lui porter, la prochaine fois, un ouvrage sur le village et il me montrerait les indices cachés pour localiser le secret.

Avec le plus grand sérieux, l’homme me raconta ses accointances avec le président Chirac encore aux affaires du pays. Une amitié de longue date, précisa-t-il.
Il le décrivait comme un personnage fourbe, pas très catholique et surtout vénal. Pour mieux me convaincre, il me narra un passage révélateur du penchant présidentiel pour le sonnant et trébuchant. La description qu’il faisait de l’endroit ressemblait à une maison de campagne comme on en voit beaucoup par ici.
Il était invité à déjeuner et bavardait dans la cuisine avec le président en train de préparer une salade de tomates , lorsqu’il fut attiré par les miaulements insistants d’un chat qui grattait la terre dans la cour, de manière ostentatoire. Jacques venait de s’absenter, parti à la cave pour choisir une bouteille de bon vin.
Notre ami était persuadé que l’animal insistait pour qu’il aille voir, ce qu’il ne tarda pas à faire. C’était évident pour lui, l’animal cherchait à l’informer de quelque chose.
Peut-être une révélation.
Profitant de l’absence présidentielle, il se rendit à l’endroit du grattage et découvrit, à peine enfouie sous la terre, une marmite remplie d’argent, de pièces d’or surtout, enterrée à l’endroit précis indiqué par le « miaou ».

Pendant un moment, l’homme se tut et me regarda longuement en attendant une réaction.
Il me sondait, sans doute pour savoir si le croyais.
Rassuré de me voir coi devant ce récit, il poursuivit ses élucubrations jusqu’à épuiser tout le stock de ses histoires.

J’eus droit à un festival de fariboles toutes plus folles les unes que les autres, toujours de la même veine et toujours avec un animal pour personnage principal.

Il me racontait que la veille, il avait été surpris par un serpent de deux mètres, au fond de son jardin. C’était une vieille connaissance qu’il n’avait pas reconnu de suite, la bête avait pris de l’âge. Durant l’occupation, les allemands patrouillaient dans le village. Il s’était rendu compte qu’ils avaient peur des serpents. Notre homme, alors jeune enfant, se promenait avec une petite couleuvre dans sa musette qu’il leur balançait dans les pattes – c’était son expression – pour les effaroucher et les mettre en déroute. Le serpent devenu vieux, résidant au fond du jardin, l’avait immédiatement reconnu et s’était jeté dans ses bras en pleurant (sic). De tendres et poignantes retrouvailles, si j’en juge par l’émotion du moment.

Il sauta allègrement sur un autre épisode de sa vie niçoise. Il habitait non loin de la Promenade des Anglais. Une murène lui rendait visite tous les soirs à la même heure, vers vingt-deux heures. Un soir, il était grandement inquiet car elle était très en retard. Il se rendit sur la plage à sa recherche et fut surpris de voir des touristes qui se donnaient la main, formant une chaine pour l’empêcher de se rendre à son domicile…
« Aghju presu un biaculu, je me suis emparé d’un bout de bois solide, et j’ai commencé à taper dans le tas pour qu’elle puisse passer. Si tu avii vistu u scapa scapa ! »  (Si tu avais vu la débandade !)

Cela a duré plus d’une heure.
Il y eut l’énorme truite pêchée dans le ruisseau tout proche, qui a nécessité le transport en camionnette, d’autres truites faisaient des ronds dans l’eau pour indiquer l’endroit d’un autre trésor… Des histoires surprenantes comme on n’en raconte jamais. Une fois lancé, il ne se souciait même plus de voir ma réaction, notre mythomane hautement diplômé en balivernes était intarissable.

J’étais tellement surpris par ses récits totalement abracadabrantesques qu’aucun rire ni fou-rire ne m’échappa.
Je me demandais s’il ne se moquait pas de moi, quel intérêt puisque nous étions seuls et sa sincérité dans le récit me semblait réelle…
A part l’énormité de ses propos, son comportement et sa manière de parler ne présentaient aucun signe qui puisse le distinguer de monsieur tout le monde. Peut-être sa faconde plutôt que manière de parler.
Sans doute habitait-il un autre monde et vivait-il heureux dans une autre vie.

« Je vais t’apprendre à lire entre lignes, les secrets sont toujours inscrits entre les mots, pense au livre la prochaine fois que tu viendras. » Me dit-il au moment de le quitter.
J’étais ravi de devenir un jour devin éclairé et sans doute illuminé…

Je vous avoue, que je suis resté dubitatif un bon moment, ce sont mes amis à qui je rendais visite qui m’ont assuré de la réalité du personnage. Il n’étonnait plus grand monde dans son village, devenu une figure du paysage, il ne surprenait que les gens de passage.

Il eut été dommage de troubler son onde,
Il vivait dans un autre monde
Où l’animal est roi
Et où, seuls, ses comportements font loi…

Quelques années plus tard, parti vivre en ermite, il montra un tout autre visage.
Devenu irascible et violent, mieux valait ne pas trop s’approcher de son refuge…

9 Comments

  1. Dommage pour lui que sa fin ait été aussi pénible car il s’était forgé un monde qui le rendait heureux probablement, mais il était presque certain que ça finirait tristement…

    1. Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un tel personnage !
      Avouez que de telles anecdotes sont surprenantes.
      L’histoire du serpent qui se jette dans ses bras après l’avoir reconnu, c’est rarissime, ça doit être la première et seule fois que cela soit arrivé à quelqu’un. Non ? 😉
      Bon dimanche Gyslaine 🙂

  2. Bonjour,
    Les êtres décalés ont toujours quelque chose à nous dire… Même à leur insu, car il n’est pas de rencontres fortuites. Elles sont même le signe que le monde est encore bien vivant.
    Merci pour cette belle histoire.

    1. Bonjour Béatrice,
      Je crois que cette histoire doit être unique dans le genre.
      Très surprenante.
      Bonne journée.

  3. Dans le genre, certainement. J’en ai vécu pour ma part de très surprenantes et édifiantes et que j’ai aimées. J’ai beaucoup appris, beaucoup. C’est fabuleux…
    Bonne journée aussi.

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