Ce matin, je faisais un petit tour dans le passé.
Rien de surprenant ! me direz-vous.
Je revivais certains passages dans les écoles que j’ai fréquentées en revisitant quelques vies qui se déroulaient sous mes yeux.
J’évoluais dans un milieu exclusivement féminin. Dans mon équipe rééducative, il n’y avait que des femmes et dans les écoles, la gente féminine dominait largement. D’ailleurs, les quelques hommes que je croisais ne signalaient quasiment jamais d’enfants en difficulté. Ils n’admettaient aucune intrusion dans leur classe et prétendaient se débrouiller tout seuls.
Pour avoir une certaine crédibilité mieux valait garder ses distances. Trop de proximité nuisait à la bonne conduite de notre travail et le risque était trop grand de se faire phagocyter. Les personnes en difficulté de vie dans le foyer ou dans la classe, déversaient sur vous toute leur angoisse. De la sorte, on s’englue facilement dans les travers des autres.
Il n’était donc pas question de faire copain/copain sous peine de sombrer avec celles qui cherchaient support solide pour s’agripper…
Je ne connaissais que rarement le prénom de la personne avec qui je travaillais, seulement identifiée d’un madame, suivi du nom de famille. On m’appelait monsieur D. et c’était très bien ainsi.
En tout début de carrière, j’ai côtoyé Mme Giraudon, une directrice d’école plus que rondelette qui se contrefichait de son image molletonnée. Elle assumait et assurait sa direction en femme accomplie, sans chercher à compenser quoi que ce soit. Un jour, elle m’avait prêté un de ses pantalons, j’avais craqué le mien en jouant au foot avec les élèves. Ce fut l’occasion d’une vaste rigolade car à l’époque, j’étais plutôt gringalet. Un Laurel transformé en Hardi c’est toujours rigolo.
Mme Marcandella qui avait débuté dans le métier d’institutrice l’année où je suis né, était vieille école mais très efficace dans sa classe. Elle avait une certaine tendresse pour le débutant que j’étais. Elle me regardait toujours d’un œil attendri, le sourire légèrement dessiné sur ses lèvres et l’éclat de rire sous-jacent. Rien qu’en débarquant du train le matin, j’avais l’impression d’apporter un peu de joie dans l’école. Les sourires s’épanouissaient spontanément. Intrigué d’inspirer l’amusement sans rien faire et sans piper mot, il m’est même arrivé de m’observer longuement devant une glace pour tenter de deviner ce qui provoquait la presque hilarité soudaine. Vaine inspection, mon visage ne présentait rien de comique qui puisse engendrer le rire, au prime abord.
J’ai donc imaginé que cela devait provenir d’une attitude particulière que j’adoptais sans en être conscient, une posture capable de dérider le plus sérieux des personnages.
Elle était très sérieuse Mme Marcandella !
Trop, sans doute, mais c’était une brave femme qui prenait son métier à cœur. J’avais quelques dons particuliers pour faire le clown et parait-il, j’imitais notre inspecteur à la perfection. Il me suffisait de tenter quelques mimiques et la voilà qui partait en éclats de rires irrépressibles. Parfois, je tapais à sa porte et aussitôt que mon visage apparaissait dans l’entrée, elle fuyait dans le couloir en disant « Non, non, pas devant les enfants, je vais perdre mon autorité ! » Je venais juste de tordre un œil pour imiter notre supérieur. Une mimique à peine esquissée et voilà qu’elle se bidonnait déjà. J’ai sans doute raté une vocation de comédien, allez savoir !
Ah ! que c’était agréable de rencontrer des gens d’une telle simplicité qui versaient facilement dans la complicité ! Je n’oublierai jamais cette dame à la fois joyeuse et sur la retenue.
Quelques années plus tard j’avais changé de statut, je devais garder quelque distance pour les raisons invoquées plus haut.
Une autre Mme G. qui donnait facilement du Monsieur D. à mon adresse, était également une institutrice vieille école. Elle menait rondement sa classe sur un mode militaire mais veillait à ce que tout son monde dégage son épingle du jeu. Elle les tirait tous vers le haut jusqu’à en tomber malade si l’un d’entre-eux ne suivait pas la progression qu’elle souhaitait. Elle était fragile sous une apparence de sergent chef, me racontait tous ses malheurs en s’attardant sur les plus lourds.
« Qu’il est gentil, ce Monsieur D ! » disait-elle.
Evidemment, M. D était piégé en prêtant trop l’oreille. J’étais à deux doigts de devenir son confident, elle se serait blottie dans mes bras si j’avais été plus présent, heureusement, je ne faisais que passer dans son secteur. C’est elle qui m’a ouvert les yeux sur les relations à tenir avec ses collègues chargés de classe.
La dame était fataliste de surcroît. Il lui arrivait d’accuser le temps de la mettre en difficulté lorsqu’elle était de service dans la cour.
Un jour, je me présentais plus tôt, l’enceinte était déserte, il neigeait. Elle m’accueillit avec son petit fichu sur les cheveux, trop petit pour abriter toute sa chevelure, la tête penchée sur le côté, accablée de malheur, le visage triste des mauvais jours…
« Vous voyez, je le savais, il fallait que ça tombe sur moi ! Aujourd’hui je suis de service ! Les enfants vont courir dans la neige, vont se battre à coup de boules, je ne vais pas m’en sortir ! »
La pauvre maîtresse courait après tout le monde pour éviter un accident, pensait-elle…
Le soir après la classe, elle était sur les rotules et malgré cela, ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Quel métier, celui d’enseignant !
Dans la même école, une instit plus jeune, à peine un peu plus âgée que moi, faisait des ronds de jambes pour se faire remarquer. Rien n’était plus vexant pour elle que l’indifférence à son égard. Si vous négligiez sa présence malgré tous les effets qu’elle produisait pour signifier « Coucou, je suis là », vous deveniez l’homme à abattre. Elle s’en prenait à vos chaussures de maquereau, à votre moustache trop prétentieuse, ses copines m’en informaient un jour ou l’autre.
La chère mignonne, pomponnée, farinée et fardée comme une miss avait pris mari ingénieur juste pour le standing. Le pauvre homme qu’elle disait bardé de diplômes, paradait comme elle l’avait décrit, très distant, peu disert, fumant une pipe recourbée qui tombait sur le sternum, pour se donner une contenance. On l’imaginait facilement dans le carcan de ses apparences qui camouflaient manque d’assurance.
Ma collègue psychomotricienne, femme célibataire libérée, très olé olé s’était fait un plaisir de les inviter chez elle, un soir. Elle riait sous cape et avait une idée derrière la tête. Comme dans une fable de la Fontaine, elle les mit face à leurs contradictions. Sans les prévenir, elle leur avait confectionné un couscous à consommer assis par terre et avec les doigts. Privés de couverts et obligés de tremper leurs menottes dans le même caquelon, ils déglutissaient avec peine. Les pauvres invités ne s’y attendaient pas et parait-il passèrent une très mauvaise soirée, étouffant de névrose sans que l’hôte d’un soir ne s’en émeuve le moins du monde. Bien au contraire, elle était ravie de les avoir placés devant ce miroir impitoyable.
Que c’est difficile d’être, d’exister et de paraître aussi !
Un vieil ami, le vieil Aussage, si sage, si posé et très âgé, soupirait devant la moindre difficulté : La vie n’est pas simple !
Puis esquissant un sourire énigmatique, on ne savait plus s’il s’en plaignait vraiment ou s’il ironisait. 🙂
Je me contente de vivre tranquillement sans « faire valoir », sans fanfreluches ni faux semblants, l’amour de la vie me suffit amplement.
Ce passage ici bas est si bref qu’il est grand dommage de se perdre en esbrouffe comme en lamentations… Puisque le rire est le propre de l’homme, mieux vaut en profiter !
Sourire est sans doute plus aisé… j’en fais grande consommation 😉
C’était le petit monde étriqué des enseignants d’autrefois, heureusement que certains sortaient du lot comme vous ou la petite dame replète, mais les autres, peut-être étaient t-ils trop jeunes et avaient-ils du mal à trouver le comportement adéquat, qui doit toujours être celui du naturel et de la simplicité, quelque soit le milieu.
J’adore les deux photos et leurs légendes 😉
Je me suis construit à ces contacts…
Les photos, je les modifie à ma guise pour les faire « parler. 😉