Emile.

Ah ! Emile !

C’était un merlan à la retraite, vous avez deviné, un coiffeur.

Il jouissait d’une petite pension car il était ouvrier chez un patron. Son épouse Lucile, secrétaire à la CGT durant de nombreuses années, jamais déclarée, ne touchait aucune retraite. Disons les choses comme elles étaient, elle s’en plaignait souvent mais sans virer de bord.
Une amertume tenace envers ses employeurs mais toujours très vive à défendre l’ouvrier.
Je me souviens d’un coup de fil lorsqu’elle était seule dans une maison de retraite, son époux parti depuis longtemps, à 102 ans, elle me criait dans l’écouteur avec une voix tonitruante « Je suis entourée de vieux, je vais chercher quelque chose ailleurs ».
Elle ne lâcha prise qu’à 106 ans.

Ils débarquaient de la région parisienne à Céreste dans les Alpes de Haute Provence.
Ils mettaient toutes leurs économies dans une villa au milieu des chênes.
Emile était aux anges, il n’avait jamais entendu le chant des cigales. Il était heureux bien plus que Lucile, branchée sur le social.
On disait villa puisque cela y ressemblait, elle en avait toute l’apparence mais c’était un abri agréable et joli, avec des murs peu épais qui demandaient beaucoup au poêle l’hiver, très gourmand en bois de chauffage.
Une maisonnette isolée qui faisait leur bonheur.
C’était une découverte !

L’été, nous passions dans le coin et leur rendions visite. Ils étaient heureux de revoir leur nièce, mon épouse, c’était l’occasion de faire banquet sous les chênes.

Oh, lala ! Emile était aux anges. Il adorait raconter sa vie et faire plaisir !

Le gigot barbecue c’était son dada.
Régaler, était son bonheur, son expression ces jours de bombance, et pour régaler la galerie, c’était agneau de Cisteron, tout proche.
Très matinal, le jour de gala, il passait des heures à tourner la broche au-dessus d’un brasero pendant que moustiques et moucherons, attirés par le fumet aromatisé aux herbes de Provence, venaient tournoyer dans la fumée entêtante, avant de s’abattre en masse sur le croustillant.
J’avais bon œil.
La partie extérieure toute noire sans être brûlée puisqu’enrobée de multiples cousins et cousines anophèles, moucherons et moucheronnes grillés, faisait l’admiration de tous.

Ah ! Le gigot d’Emile ! Voyez cet art du croustillant, on s’en léchait les babines par avance !
Oncle Emile lévitait, tout en joie, flatté de tant de considération lorsque les invités venaient lui taper sur l’épaule pour le complimenter de cette odeur qui n’attirait pas que les moustiques, circulant en sous-bois pour réveiller l’appétit des convives.
Le gigot d’Emile ! On en parlait même à Noël.
Ce Mimile, le roi de la broche tournante !
Vous ne pouviez pas faire mieux pour le mettre en joie débordante qu’en claironnant son art du barbecue.

A table, déjà chauffés par le pastis ou le rosé, les invités se trémoussaient sur le banc, se frottaient les mains en s’apprêtant à faire chanter les papilles.

Salades d’été, tomates, olives et anchois, œufs mimosa étaient engloutis en un rien de temps.

Emile donnait les derniers tours de manivelle et venait, triomphant, poser son gigot tout chaud au milieu de la table sous les applaudissements de toute la tablée.

Rires et vivats saluaient les premières tranches qu’il présentait à la cantonade.
Ceux qui aimaient la partie cuite et réclamaient la croustille, ne se rendaient pas compte de cet enrobage « moucheronneux ».  
Thym carbonisé et insectes brûlés se confondaient dans un ensemble bien grillé, très engageant.  
Le rosé abondant, bien frais et les parlottes qui précédaient le repas autour du barbecue anesthésiaient toute faculté d’observation.
Personne n’avait rien remarqué, et tous se délectaient allègrement sans savoir qu’ils avalaient une quantité considérable de bestioles boucanées.  
Je raclais la partie « moustiquée » mais n’avais aucun dégoût pour accompagner les autres dans ce méchoui original, salé et poivré à point, sentant bon l’herbe de Provence.
Je les observais se pourléchant les babines et se suçant les doigts.
Cela se terminait toujours dans l’allégresse générale et la promesse d’un prochain méchoui.

Ah cher Emile, je t’aimais bien, tu sais !
Ton plaisir était si grand de nous voir autour de toi que tu étais le phénix des hôtes de Céreste.

Un homme heureux de donner plaisir à ce monde estival, émoustillé par les vacances, en roue libre pour mieux profiter des joies de la vie…

Sans doute, les cigales du coin « cymbalisent » encore en ton honneur, sans jamais t’avoir connu !

4 Comments

  1. Fameux souvenirs 🙂
    Emile était un précurseur, on parle de plus en plus de nous faire manger des insectes et autres joyeusetés comme des vers de farine, hum ! J’en salive d’avance 😉

  2. sympa Emile, me rappelle mon papa qui s’appelait comme ça ! mais côté cuisine papa ne faisait qu’une seule chose : il savait réchauffer à la casserole son café quand il en voulait 😀 la toute petite casserole en alu qui tenait à peine sur la grille de la gazinière…… il avait compris que s’il ne s’y mettait pas ils n’aurait pas de café dans la journée en dehors de la première mouture du matin. Ah si, j’oubliais : il faisait aussi tourner le moulin pour moudre la matière qui deviendrait son précieux breuvage !

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