Lorsque le vent m’emporta.

Dans la plénitude et la beauté des choses.

L’insouciance encore mais il est tard.
C’est déjà le crépuscule.
Le soleil baisse à l’horizon, ses rayons s’orangissent et se kumquatisent alors qu’ils citronisaient, il y a quelques minutes seulement.
Ils sont plus doux, moins acidulés.
Moins vifs, ils n’agressent plus.
Le regard se fait contemplatif en essayant d’imaginer, derrière la lumière du couchant, s’il existe une autre lumière.
Bleue, azurée, apaisante ?

Rien ne laissait deviner la suite.
Tout était calme, la pénombre douce et la nuit s’annonçait accueillante lorsqu’une bourrasque soudaine venue de nulle part m’arracha comme un fétu de paille.
Une force inouïe me déracina et me fit plume légère au vent.
D’abord, ce fut un survol tranquille des toits, des arbres, puis une accélération soudaine m’entraîna dans le lointain.
Je n’eus pas le temps de réfléchir, un autre arrachement, plus puissant, me convoya dans le ciel.
Un moment suspendu, que l’on dit transitoire entre vie et mort.
Tout le film de la vie se déroula en un instant, je voulus dire des choses enfouies, une autre rafale plus brutale, ne me laissa pas le temps.
Trop tard, il fallait s’exprimer avant, personne ne saura jamais.
Je sentis une accalmie, le vent venait de me déposer sur un stratus.
Était-ce une étape dans l’ascension finale ?
Un observatoire entre ciel et terre, un dernier repos pour un dernier regard avant l’ultime envol ?

De là, je voyais les étoiles dans la nuit sidérale. Rien de nouveau. L’univers clignotait sans surprise et le mystère restait entier. Quelques filantes décrochèrent puis disparurent.
Dans quel endroit secret ont-elles plongé ? Je n’en sais rien.
Elles passaient comme elles ont toujours passé. Décrochaient, s’enflammaient, traçaient et puis s’évaporaient.

Sous les nuages, la terre demeure en perpétuel remue-ménage.
Des hommes ont inventé des systèmes, des lois qu’ils croyaient solides.
Les effets pervers de leur inconséquence, des corollaires mauvais, jamais anticipés, dirigent le monde.
La science fait des pas de géants, la génétique livre ses secrets, les apprentis sorciers veillent et tirent des plans insoupçonnés sur des comètes qui vont leur tomber sur la gueule.
Tout s’accélère, les découvertes, les bavardages sur les réseaux sociaux, parfois asociaux, le chacun qui sait tout, l’individu qui se pose en voix universelle…
Un lot d’effets contrariants, totalement ignorés jusque-là, répond en échos pervers.
Il dérange ce que l’on voulait arranger.
Sans avertissement, le monde découvre ses errements ; les uns se réveillent et les autres ricanent.

Le rural se ruralise de plus en plus. Les médecins sont devenus des commerçants ordinaires. Le week-end et après dix-neuf heures vous pouvez mourir tranquille. Le Numerus Clausus censé améliorer la qualité de la médecine engendre une pénurie de praticiens compensée par des docteurs venus d’ailleurs, au cursus moins pointu.
C’était ainsi avant la pandémie, le covid les a vidé.
Hippocrate a déchiré son serment.

Les gouvernements passent et trépassent, tous sans exception.
L’avenir de la jeunesse est opaque. La rue gronde.
On ne sait plus sur quel pied danser. La France à bout de nerfs ne voit plus comment sauver le pays. Des dirigeants s’annoncent, pleins d’espoir mais un espoir prononcé à la langue de bois. On se demande ce qui les pousse tous, à y croire vraiment ou faire semblant… le monde est en dépression, il gronde, la guérison n’est pas pour demain.
Peut-être au bout d’une explosion planétaire faudra-t-il reconstruire sur des ruines ?

Le bon sens a déserté la Terre.

Tiens, là-bas, dans le coin d’une rue, une dispute.
Deux potes se chamaillent :

– Arrête ! J’ai toujours pensé que tu étais un peu marteau !
– Ça m’étonnerait fort, je n’ai jamais planté un clou de ma vie !

Entre premier et deuxième degré on ne sait plus à quel étage se situer. Être marteau utile pour enfoncer des pointes ou toc-toc ? On se côtoie, on se croise, il y a toujours un coin d’ombre, quelque chose d’insaisissable qui vous renvoie dans les cordes, une esquive qui empêche la rencontre.

Posé sur les nuages, loin de tout, j’ai le sentiment de dominer et de comprendre.
Un sentiment, c’est plus facile, il est à l’abri du réel et de l’action.

Une rafale impressionnante s’annonce un peu plus bas.
Je vois ce tourbillon qui prend son élan, cherche sa vitesse terrifiante, je suis prêt à partir je ne sais où…
Bientôt je serai loin, très loin dans l’infini.
Que restera-t-il du chemin d’ici bas?

Soudain, un énorme fracas.
Le vent vient d’emporter quelque chose qui traînait dans la cour.
Je me réveille en sursaut.

Assis sur le lit dans la pénombre, je ne sais plus.
Je ne suis plus sûr de rien.
Me voilà de retour dans la barque chahutée par les flots au gré du vent d’un monde débridé.

Un grand « Ouf ! » de soulagement :
Vivre encore un peu dans la tourmente lorsque l’on croit au néant.

Plutôt la vie chaotique que le vide ou le rien.
Le néant n’est ni le vide ni le rien, il est ineffable, inimaginable, inconcevable.
On le dit, c’est un mot. Comment le définir ?
On peut le penser, l’inventer, l’habiller de faux, c’est un monde qui n’existe pas. C’est un concept, un abstrait.
Le néant est invention pure et ne s’imagine qu’ici-bas… Après il sera trop tard.
Comme l’absence de mouvement sans connaître de repères qui lui donnent un sens, le néant est-il absence de tout et de lui même ? 
Parler de vide, évoquer le rien, on a une vision… parler du néant c’est dire des mots sans voir, sans savoir, sans comprendre…
Imaginez vous le néant ?

Rêver sur la vie, oui… l’outre tombe n’est que l’ombre des vivants.

Ma chance, que l’on dira égoïste, c’est de vivre loin de tout ce brouhaha…
Dans mon aratasquie, j’y aurais coulé des jours heureux.

Je m’en irai tout neuf et tranquille dans un autre monde dont j’ignore tout, un monde de silence éternel, de néant peut-être, où l’onirisme n’existe pas…

Des flagelles dansaient devant moi et m’invitaient à lâcher prise.
Là-bas tout au bout de l’horizon, je devinais une autre terre, peut-être un autre monde…

11 Comments

  1. La vérité que je devine à travers ce beau texte onirique, c’est que ce petit monde très agité ferait bien de prendre de la hauteur comme vous sur votre stratus et se donne le temps de réfléchir où il va.

  2. Bonsoir Simonu,
    En ce jour anniversaire de ma fille (ma douce désormais majeure…), je vous souhaite de trouver l’ataraxie.
    Bonne soirée.
    Catherine
    PS : j’aime énormément l’effet fondu aquarellé. S’agit-il d’une peinture que vous avez réalisée ?

    1. Ataraxie, difficile d’y parvenir mais je suis sur le chemin, c’est ce vers quoi je tends.
      Les images sont des photos que je modifie, surtout lorsqu’elles me semblent ratées. Celles-ci trop sombres, prises un matin avant le lever du soleil montraient des gouttes de rosée au bout de feuilles de graminée et deux coquelicots au deuxième plan, floutés par la grande ouverture de diaphragme.
      J’ai imaginé un ailleurs.
      Un bon anniversaire à la désormais majeure.
      Bonne soirée Cat.

  3. Bravo, très réussi Simon !
    Cet ailleurs me plaît, tout autant que les beautés naturelles de Dame Nature. 🙂
    Dualité perpétuelle… mais pas contradictoire (de mon point de vue, du moins ;-)).
    Je n’ai malheureusement qu’un petit automatique, aucune connaissance technique, ni formation en matière. Comme j’ai horreur de parcourir les notes techniques, je n’ai pas encore lu celles de l’appareil qui m’a été offert, il y a 2 ans, par ma famille (qui me trouve un talent, là où d’autres ne voient que de banales photos, comparées à des experts dont c’est le métier. ;-)).
    Belle journée.
    Cat

    1. Bonjour Cat,
      Le plus souvent j’utilise un compact de poche (9cm/6cm) et je revisite les clichés ratés sur un ordi.
      Un compact qui ne quitte jamais ma poche, me permettant d’intervenir à tout moment.
      Je ne promène le réflex que pour des sorties ciblées.
      Avec les nouveaux téléphones portables les photos se prennent sans notice et sont de meilleure facture que celles sorties d’un réflex.
      Ce qui fait dire aux ingénus qui postent leurs images sur les réseaux sociaux « attention, cette image n’est pas retouchée ». Ils en tirent fierté alors qu’ils n’y sont pour rien, c’est l’appareil qui fait tout et parfois améliore même le cadrage. Un portable ça trompe énormément y compris l’utilisateur…
      Bonne journée.

      1. Cela dépend, à mon sens, de la nature du téléphone portable 😉
        Personnellement, je trouve que la qualité des photos, réalisées avec mon petit Sony, est meilleure (notamment pour un zoom).
        Belle soirée.

  4. Les personnes qui ont été réanimées, qui un instant ont été en chemin vers l’autre côté, racontent la fulgurance que vous contez.
    Toute l’agitation du monde humain ici bas est bien dérisoire, futile, illusoire à l’échelle de l’espace temps, du néant inconnaissable.
    Il est heureux que l’homme y voyage de temps en temps dans cet infini, se joue de se laisser emporter comme une plume au vent. Il n’est pas beaucoup plus en somme.
    S’offrir sans retenir, se faire envoler en paix, d’où nous venons, nous allons, s’y abandonner tout entier, petite partie qui rejoint le Tout, le voyage c’est encore aimer.

    1. En somme, vous m’avez compris.
      D’autres, ailleurs que dans ce blog, engoncés dans le premier degré, me font les gros yeux en me disant leurs certitudes sur l’au-delà.
      Je souris et les laisse à leur satisfaction… que puis-je pour eux ?

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