Le mot pour l’écrire.

Le plaisir de l’écriture est dans le mot qui touche, dans le mot qui fait mouche. Le mot jaillit sans qu’on le cherche et s’épanouit dans le texte comme une fleur de printemps au milieu d’un récit qui ronronne.
C’est le mot pour dire qui décroche un sourire lorsqu’on s’y attend le moins, le geste habile d’un pinceau qui frétille dans le coin d’une toile.
C’est le mot qui chante et qui claque pour fêter la couleur dominante ou brandir le trait de caractère d’un humain.

Je me suis souvenu de mes mots perdus dans les écrits qui traînent dans ce blog.
En voici quelques souvenirs.

En évoquant Tinu, homme orchestre au village, non pour faire de la musique mais pour assurer la pratique de plusieurs métiers en même temps, je me faisais plaisir aussi.
Personnage haut en couleurs, au fort caractère, ennemi de la langue de bois plutôt porté sur la volée de bois vert.
Il tonnait ses sentiments en cinéma scope avec des mots hautement technicolors à qui voulait l’entendre.
C’était bien lui, l’homme qui avait l’habitude d’anticiper en manifestant sa colère bien avant l’agression, toujours en avance sur ses détracteurs.
Aucun autre n’aurait pu être habillé de la sorte.

A propos de l’argent qui ne fait pas le bonheur mais parait-il y contribue : Le nerf de la guerre n’est pas tressé de neurones comme les autres. Ses synapses embrouillent les esprits, font tourner les têtes et perturbent l’entendement.

La dame était bonne. Non pas bonne à tout faire, ni bonne pâte, encore moins bonne à rien, elle était bonne comme du bon pain.
Femme généreuse, croustillante, craquante et moelleuse à la fois.
Une femme de la campagne à la croute sonnante et au cœur fondant, chaud comme la mie d’une miche à peine sortie du four.
Bref, elle était bonne à croquer et faisait craquer.

J’étais assis sur les marches qui mènent au fond du jardin, à flanc de bassin.
Dans la nuit estivale, la pleine lune éclairait presque comme un matin pâle, les étoiles s’étaient évanouies dans tant de clarté, totalement effacées, fondues dans le flou d’une laitance qui flottait autour de Séléné.
Le concert de grenouilles battait son plein, s’interrompait au moindre crépitement dans l’air puis reprenait à l’injonction du timbre grave d’un imperturbable chef d’orchestre. Je ne voyais pas les musiciens malgré l’éclairage blafard mais je devinais ces gosiers élastiques qui se gonflaient comme des vessies de baudruche et se dégonflaient pour coasser de plus belle au rythme des battements des sacs à vocalises.
La douce nuit berçait mon imagination perdue au fin fond d’une galaxie inconnue.
C’est ainsi, en sérénade improvisée, que je visitais d’autres mondes.

Impalpables, invisibles mais imaginables ici comme ailleurs, elles sont silencieuses et introuvables pour mieux exister. Elles vivent dans nos esprits ou notre imaginaire pour entretenir le doute entre être et exister.
Les âmes existent puisqu’on les pense, saura-t-on un jour si elles sont essence c’est à dire nature constitutive et invariable d’une vie ?

La barbe en broussailles, pull taché d’huile, l’ensemble douteux et peu soigné, le futur psychologue au derrière aplati par les années d’études, bardé de diplômes, cachait son manque d’assurance en sautillant sur un trampoline de salon en jouant à Cupidon.
A chaque rebond, il faisait mine de décocher une flèche à l’adresse de sa formatrice dont il avait succombé au charme.
Son zézaiement d’enfant attardé ne convenait pas pour déclarer une flamme, alors il déléguait ce pouvoir au Dieu grec de l’amour dont la représentation très juvénile correspondait bien au puéril du personnage. »

Elle avait perdu mémoire.
Ses yeux fixes regardaient sans voir.
La mort avait empoigné sa gorge et l’étouffait sans précipitation.
Sa poitrine battait au rythme d’une respiration difficile, sa tête ballotait de droite à gauche cherchant un peu d’air.
Par moments, elle fixait intensément mon visage devenu image.
La profondeur de son regard semblait fouiller des souvenirs perdus, creusait une mémoire qui n’existait plus.
Une vague idée la torturait inutilement sans qu’elle puisse interroger, la parole désormais interdite.
Son corps et son esprit étaient en divorce, l’un luttait encore, l’autre abandonnait progressivement la bataille cherchant à s’évader là où tout est fini, peut-être là où tout recommence.
Bientôt ce sera le silence ici, elle ne saura plus, ne sera plus, je crois…
La voilà figée, l’âme s’est envolée laissant un visage serein, un corps abandonné enfin apaisé.
Maman s’en est allée.

Voilà quelques mots pour le dire…
C’est en fouillant, en pénétrant au cœur des choses sans trop creuser, mais en demeurant perméable à la musique des mots, que l’on fait trouvailles de nos plus belles pépites.

Vipérine.

10 Comments

  1. Et pour nous , lecteurs, parfois il n’y a pas de mots pour rendre l’expérience du voyage.
    Un banal : c’est beau ou c’est trop bon !
    Souvent il y a aussi, le « tiens, idem », le partage, la sensation d’une compréhension, jusqu’à pour des « coups de foudres », un nouvel ami qui vous aura aidé à grandir, à déplacer le point de vue, à enrichir votre vie.
    Le « montage » de l’écrit du jour réussit à nous faire faire le voyage dans chacun des tableaux, et sans douane, passer du sourire à la tristesse belle quand c’est le pays de l’âme séparée que nous traversons.

  2. Merci d’avoir trouver les mots pour le dire ….
    Belle journée
    Gérard

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