En photographiant ces clous rouillés dans un trou de muraille, instantanément, j’ai songé aux « Canons de Navarone » puis, en deuxième intention, aux canons de la beauté…
Les canons de la beauté qui déterminent les traits parfaits pour être considéré « en beauté » sont un effet de mode.
Ce n’est pas de cela que je traite ici mais d’un sentiment qui secrète une perle au bout de son expression et cette perle scintille ou clignote d’étincelles, exprime le beau intrinsèque ou à venir.
Une beauté ressentie au-delà du visuel immédiat.
Une sorte de plénitude en germe, la satisfaction admirative d’un moment qui passe en dégageant d’autres perspectives, annoncées pour plus tard, tout aussi agréables et pleines de plaisir.
J’y vois une beauté à venir, le beau différé.
C’est au jardin que nait généralement ce sentiment, pour moi, bien entendu.
Je nettoyais une planche envahie par les herbes folles. Un travail de surface en prévision de prochaines plantations.
A mesure que je ratissais, je prenais conscience de cette terre féconde, noire et débarrassée de ces gourmandes entassées dans un coin pour qu’elles finissent en terreau nourricier. Plus j’avançais et plus j’avais le sentiment de communiquer avec le passé et le futur en même temps, le plaisir dans l’ici et maintenant.
J’étais là, je revisitais le jardin de mes grands-parents et me projetais dans le temps des cerises et celui des récoltes estivales.
Il me semblait vivre un moment intemporel, un instant fondu en éternité.
Une sorte de permanence qui absorbe passé, présent et futur rendus concomitants.
Je m’arrêtais de râcler, appuyé au râteau, je regardais la terre, elle me renvoyait l’image de la beauté, là où d’autres n’y verraient que labeur éreintant, mal au dos ou fatigue inutile.
Un autre beau. Quelque chose d’ineffable, quelque chose qui n’arrive qu’à soi et que je cherche à exprimer ici sans être certain d’en communiquer tout le volume et toute l’émotion. Ni la moindre miette.
Un beau bien personnel éloigné des canons admirés.
Une image m’a traversé l’esprit à cet instant.
C’était il y a très longtemps, un jour de lever matinal.
Les éboueurs, sans doute en retard, vidaient les poubelles de Versailles, dans leur benne avec une hâte inhabituelle.
Je les regardais à quelques pas, non pour les observer à l’ouvrage mais parce que j’avais été attiré par la fluidité de leurs gestes bien mécanisés, pleins de grâce.
Lorsque je débouchai derrière une voiture en stationnement, l’un d’eux eut une envolée sublime en retournant la poubelle verte pour la vider de son contenu.
J’y ai vu le geste auguste de l’éboueur comme celui du semeur.
Dans la foulée, parfaitement conscient de son basculement quasi artistique, presque un éclair de génie, il s’adressa à son coéquipier :
– T’as vu la classe !
En effet, il y avait de la classe dans son mouvement. Je le sentis un peu gêné en me voyant. Spontanément, je lui adressai un message de sympathie, doublé d’un sourire, en levant le pouce pour lui signifier mon adhésion à son expression sortie du cœur. Il a souri aussi, satisfait de ma réaction inattendue.
J’ai filé sans rien dire. C’est peut-être ce jour-là que j’ai compris que le beau était une affaire hors des canons. C’est une communion opportune, un ressenti soudain qui vous interpelle et vous montre les choses autrement, retient votre attention dans une fulgurance fragile et fugace qui passe comme une étoile filante s’imprimant dans l’esprit pour y poser le souvenir.
Ce beau-là, n’est pas celui de tout le monde, il ne se met pas en règles ni en vitrine. Il vous touche le cœur et reste en son écrin au fond de votre âme en attendant un autre coup de grâce…
Le beau se mire dans la simplicité des choses.
En regardant les éboueurs, j’ai vu le visage de mon père, u spazzinu, balayeur des rues du village.
Il avait ses fans, touristes venues du continent, sans doute y avaient-elles vu aussi quelque grâce, quelque beauté dans ses rapports avec Roland, son âne qui l’accompagnait en tirant le tombereau qui les conduisait à la décharge municipale.
Je les suivais parfois dans la montée de Pilili, ils s’en allaient vers le village où le labeur les attendait, presque tête contre tête, deux joyeux lurons lorsque Roland se mettait à braire et que père lui flattait l’encolure en riant aussi…
Il n’y a de beau et de subtil que ce qui touche l’âme !
Enfants et petits enfants se rendront-ils compte que la beauté qu’on leur avait préparée était au prix d’un labeur que je nommais « plaisir »… 🙂
Je partage entièrement, le beau est comme l’art, c’est ce qui touche l’âme et non la réponse à des canons de beauté qui du reste changent avec les époques et les modes.
« Il n’y a de beau et de subtil que ce qui touche l’âme »…
Juste et… beau,.. merci Simon. 🙂
🙂
Que la Grâce soit ; et la Grâce fut. Que de merveilles merveilleuses ! Rendu disponible, pénétrable ;
la beauté comme un hymne d’instants fugaces, intimes, la beauté comme énergie ;
communion avec le Tout, le Grand Ordre, l’infiniment petit, l’infiniment grand, sans fin !
Je suis heureuse pour vous, pour Annie, cher Simonu, vous avez là le bonheur de la Vie et vous nous le faites partager de bien belle manière, en cadeau si jamais l’un de nous avait oublié.
Merci Sylvie 🙂
Je continue, je vais préparer un récit pour ce soir, j’ai capté le thème, je lui cherche un titre.
D’ordinaire c’est lui qui s’impose et le reste suit.
Bonne soirée 🙂