Tiguidou.

J’adore les expressions québécoises.
Aujourd’hui, c’était jour de cocagne, c’était tiguidou, parfait  toute la journée, de surcroît j’étais aux oiseaux. Deux expressions canadiennes pour dire que c’était très bien et que j’étais heureux.

Dès le matin, le jardin prenait allure de printemps. Le labour allait bon train, la terre bien noire et bien souple. On aurait dit qu’elle s’était vitaminée durant l’hiver pour accueillir chaleureusement les futures plantations. Le rouge-gorge se postait tout près sur un rocher comme un huissier en attente pour ponctionner son dû. Les lombrics se tortillaient et se dépêchaient de regagner leur biotope souterrain avant de cuire au soleil ou de finir dans le gosier de notre inspecteur au poitrail orangé.

Le contrôleur a changé d’observatoire.

Phébus dardait ferme ses rayons dans un endroit qu’il fréquente du matin jusqu’au soir sans jamais rencontrer le moindre obstacle faiseur d’ombre. Seulement contrarié par les nuages. Ce travail de la terre, ces gros cailloux qui vous viennent sous la main et trouvent aussitôt leur place sur le muret sans trop de manipulation, affaire de bon sens paysan, constituent pour moi un plaisir que vous ne pouvez imaginer.
Lorsque je suis bien fatigué, fourbu parfois, je sais que j’ai cultivé mon jardin, celui des contrastes et de la vie. En même temps que le labeur, mille idées font le tour de mes pensées pour les agencer comme les pierres qui trouvaient si bien et instantanément leur place sur le muret. Pendant que je laboure, tâte une motte de terre, m’attarde sur une larve inconnue, je cogite… Une vision toute simple d’ici bas m’expédie dans les étoiles. Je voyage, je vais et je viens sans savoir où et je découvre des endroits magiques…
Un plaisir qui se perd, la bêche est devenue synonyme de torture, la terre trop basse dit-on, on me prend pour un fou…
Alors, je souris en pensant que la récolte sera bonne.

Après le labeur agraire, l’après-midi bien avancée, je suis parti à la chasse aux images. Je n’imaginais pas qu’un autre plaisir très fort m’attendait. Je commence à être rompu à ce genre d’exercice. Sans tomber dans la routine, je ne suis plus très surpris car je pars souvent avec des intentions précises, tout en sachant que l’inattendu peut advenir aussi.
Je crois que c’est la première fois que j’ai ressenti une aussi forte émotion en visant un coin de paysage. Un coup au cœur avant de déclencher et une vive émotion en regardant l’image sur l’écran de mon appareil. J’ai cru que j’allais verser une larme, cela ne m’était jamais arrivé en prenant une photo. J’ai connu des satisfactions devant un coup de clic mais jamais une pareille émotion. Un vrai gamin qui fait une découverte après être passé mille fois au même endroit. Je chassais la lumière. Je sais que c’est elle qui préside, façonne, modèle, transforme un lieu commun en lieu magique.
Un endroit ordinaire, battu et rebattu qui se met soudain en beauté.
Qui sort son smoking « lumière de couchant » jamais rencontrée auparavant dans ce même endroit.

J’étais tellement absorbé par le paysage, cherchant des angles divers et des perspectives amusantes que je négligeais les crocus, les narcisses qui chantaient dans chaque coin traversé. J’étais aux oiseaux et je n’en voyais aucun.
Je n’étais pas là pour eux, mais bon, s’ils avaient manifesté une quelconque curiosité, je ne les aurais pas loupés, non plus.

Je vous assure, la journée fut belle. C’était tiguidou et j’étais aux oiseaux*.

*Tiguidou=parfait, très bien. 
Etre aux oiseaux=être heureux.

Et, ma cabane au Canada…


3 Comments

  1. Il y a en effet de quoi verser une larme pour tant de tiguidou à la fois!
    L’harmonie parfaite apparait parfois et vous racontez cela si bien qu’on est aux oiseaux en vous lisant.

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