Bonant, malant.

J’ai remarqué que ce texte qui date de 2013 est le plus visité du blog. Il revient chaque jour avec quelques lectures de plus au compteur. J’ignore pourquoi et comment cette attraction.
Peut-être ce titre est-il plus intrigant que les autres (?).

Durant mon activité, j’ai participé à de nombreuses animations pédagogiques que l’on nommait conférences.
Sollicité par mes supérieurs, il m’est arrivé de participer à quelques animations mais lorsque je pouvais m’en dispenser, je n’hésitais pas à me dérober. J’avais l’impression de perdre mon temps et d’apprendre davantage sur le terrain. Normal, je suis autodidacte, j’ai toujours fonctionné comme ça.

Ce passage obligé pour la formation dite continue me semblait du pipeau. A chaque fin de séance je redisais la même chose : : « Si l’on continue comme ça, je vous donne rendez-vous dans vingt ans pour exactement la même conférence ». Cela ne variait pas, on revenait inlassablement sur les mêmes thèmes battus et rebattus avec le triste constat de ne jamais avancer d’un millimètre. Nous avions l’impression que les grands manitous de la conférence pédagogique, plutôt grands remanie-tout, ne faisaient pas avancer les choses puisqu’on en revenait toujours à débattre des mêmes sujets.
La boutade du « rendez-vous dans vingt ans » est toujours d’actualité.

Je me souviens de la prise de conscience tardive d’une inspectrice qui tenait à ma présence et faisait des efforts désespérés pour que je dise quelque chose. Il était question de méthodes de lecture sans jamais tracer le moindre portrait d’un lecteur en progression ordinaire ou en difficulté… On ne parlait que de lecture et jamais de lecteur. C’est tout de même ce dernier qui affiche les carences. Pour la première fois, je sortis ma phrase assassine. Elle ne s’attendait pas à cela en me forçant presque à m’exprimer sur le sujet. Déçue de ma pirouette, elle me trouvait bien sévère et trop laconique. Il me semblait, pourtant, qu’en dire davantage reviendrait à repiquer du nez dans les mêmes polémiques.
Un an ou deux plus tard, nous nous sommes retrouvés dans une de ces réunions à tourner en rond, j’étais dans mon coin comme d’habitude muet. A un moment, nos regards se sont croisés. Elle ne m’avait pas encore repéré. Instantanément, elle a pointé le doigt vers moi et m’adressa un tonitruant « Vous aviez raison ». Ce fut le tilt de la journée. Elle s’est souvenue, en me voyant, que nous prenions allègrement la même direction de la stérilité.

Ce genre de réunion n’était pas ma tasse de thé comme faire partie du jury aux examens spécialisés. J’avais été bombardé dans le jury permanent sans qu’on prenne mon avis et cela m’ennuyait beaucoup. La seule satisfaction que je pouvais avoir, était que mon rôle consistât à défendre le candidat. J’avoue que là, je n’ai pas eu beaucoup de chance, les cas étaient désespérés comme si on les avait sélectionnés pour moi.
Je me souviens d’une bonne sœur déjà âgée qui présentait un dossier en béton, à ses yeux. Hélas, le béton n’était pas armé et s’effritait à mesure qu’elle le présentait. J’avais de la peine pour elle qui mettait tant d’amour à aider les enfants. Un amour de religieuse, préposée au sauvetage des âmes, elle alignait bêtises et maladresses pédagogiques en toute innocence.
Elle s’était empêtrée dans une explication de la multiplication à vous compliquer le plus simple raisonnement du monde. Certes, même très dans l’émotion, elle ne mettait aucun enfant en danger. Elle était incarnation de l’amour pour les autres mais ce n’était pas l’objet principal de sa formation, l’aptitude à la profession exigeait d’autres compétences.
J’ai fait des efforts pour trouver des points positifs afin de la défendre car mon rôle était celui d’un ange gardien. Elle avait bien la sainte vierge (c’était une école privée sous contrat) au-dessus de son bureau mais ce jour, elle ne pouvait rien pour elle. La pauvre dame éclata en sanglots, ne voyant rien venir. Elle était persuadée d’avoir réussi sa pratique. Des moments difficiles pour tout le monde…

J’étais rentré en Corse et j’avais oublié que ces rencontres dites de formation existaient encore. Je devais m’y résoudre, contraint et forcé alors que j’aurais préféré mille fois rester dans ma classe avec les enfants, je m’y sentais plus à ma place. A deux pas de la retraite, l’administration serait mieux inspirée de nous laisser utiles à livrer nos dernières pépites aux enfants.

J’avais atteint un tel stade d’aversion que j’en avais provoqué très maladroitement l’inspecteur du jour. Je l’avais mis au défi, en filtrant les participants à la sortie pour les questionner, que sa réunion avait été inopérante et sans intérêt. Tout s’était déroulé sur un mode anarchique, décousu au point que personne n’était en mesure d’en donner le thème. Vous imaginez le clash entre nous. Il était tout rouge, je l’avais complètement déstabilisé. Je l’ai regretté car ce n’est pas dans mes habitudes de déranger les gens. Pour une fois, je me trouve des excuses, j’étais à saturation et personne n’écoutait…

La dernière réunion à laquelle j’ai participé a failli me rendre fou. Heureusement c’était bien la dernière. J’avais fait acte de présence par la force d’une obligation. Je n’ai rien dit, ni rien écouté. J’étais dans mes rêves. J’ai juste entendu à la fin : « Il faut rédiger un compte rendu de séance » pour l’Inspection Départementale. On a bien essayé de me désigner pour la rédaction, j’ai fait la sourde oreille, je n’avais pas la moindre idée du débat du jour.

Le résumé, bien rapide, a fait le tour de table pour que chacun prenne connaissance du contenu et apporte des modifications, éventuellement.
J’étais le dernier lecteur. Par politesse, je me suis penché sur une littérature plutôt courte. Et voici, le début du texte qui devait parvenir à l’Inspection Académique en dernière intention.
Bille en tête : « Bonant, malant, nous avons… ». Tout le monde avait avalisé, la missive était prête à partir.
J’ai failli lancer à la cantonade : « Bonant, malant, et surtout bonne santé à tous ! » Personne n’aurait rien compris avant que j’en fasse la remarque. Cela n’émut quiconque…
Quand je vous dis que ces réunions c’est du pipeau !

Je me suis souvenu d’une anecdote lorsque j’étais en troisième. C’était une fille qui faisaient des efforts pour progresser, sans grande réussite et qui se désolait. A la sortie d’un cours elle faisait des courses à l’épicerie voisine et lorsque l’épicier la questionna sur sa scolarité, elle répondit :

Ahou ! Chi Santa Lucia mi mantenghi a vista, chi u Signori mi doghi a saluta e u restu andara ! (Que sainte Lucie préserve ma vue et que le Bon Dieu me donne la santé et puis le reste ira !)

Le hasard malin a poussé, juste après elle, le principal du collège jusqu’à l’épicerie et récit lui en fut fait.
Le lendemain, il rendait les copies de maths gardant la dernière pour notre camarade :

Que Sainte Lucie te préserve la vue, que Dieu te donne la santé et pour les maths, un 4 te suffira largement !

Bon an, mal an, il était temps de rentrer chez moi et oublier bien vite ce mauvais rêve.

Vous avez remarqué que « bonant, malant » a eu du mal à accoucher ? Cela me rappelle l’histoire d’une marque de lessive. Un comité s’était réuni pour trouver un nom à poser sur la boîte. Les gens se perdaient en apartés et bavardages lorsque l’animateur tapa dans ses mains pour revenir au thème du jour : « Allez ! Allez ! Assez bavardé, il faut en venir au mot ! » c’est ainsi qu’est née la lessive Omo.

2 Comments

  1. Excellent, j’étais prise par le texte et avait oublié le titre qui m’a déclenché un fou rire quand il est apparu. Gonflé mais parfait, c’est dingue qu’il n’y ait pas eu de réactions 😉
    Quant à vos gentils petits ânes, ils sont bien plus heureux sans tous nos soucis!

  2. Nous étions une dizaine, tout le monde avait lu et personne n’a rien relevé.
    Quant au contenu, il était d’une telle indigence que je me demandais à quoi servaient ces résumés de séance.
    Sans doute à justifier que le « ainsi font, font, font… » avait bien eu lieu. 🙂

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