Aujourd’hui c’était jour de ramonage.
Le hérisson frottait prestement le conduit de la cheminée, plus alerte que l’animal qui porte le même nom. La suie s’affalait dans l’âtre comme les grêlons s’abattent par saccades drues sur les champs. Des pépites de jais aux reflets métalliques sautillaient jusqu’au milieu de la pièce puis le rythme ralentissait, cessant progressivement son crépitement sec. Quelques granules de plus en plus isolés terminaient leur chute tardive, délogés de leur recoin presque inaccessible, enfin débusqués dans un angle impossible. Un voile gris-noir, prémonitoire, recouvrait ce qui d’ordinaire me sert de théâtre à la vie.
Une scène d’un feu toujours différent dans mon imaginaire et pourtant si ressemblant chaque soir.
Une atmosphère poussiéreuse de fond de mine flottait dans la pièce… Le grisou voguait partout, le soleil transperçait les vitres, spotait et animait un brouillard de particules en suspension. La nuée, dansant sous le projecteur céleste, s’évada prestement par la fenêtre lorsque j’ouvris la porte pour créer un courant d’air. Une valse d’abord hésitante, devenue ectoplasme affolé, cherchait la sortie de secours.
Volcan ! L’image s’imposa.
Volcan actif qui crache ses feux puis s’éteint progressivement.
J’avais encore, présente à l’esprit, l’arrogance d’un soleil de braise au-dessus de la mer, laissant croire à l’éruption d’un matin. Puis l’atmosphère d’un ramonage comme une vie qui s’éteint.
J’ai revisité le film de ma vie sur un rapide rembobinage.
Le souvenir d’un épicurien exacerbé, brulant sa jeunesse que seuls les vulcanologues avisés tentaient d’approcher. Tous les autres guignaient de loin s’épargnant les chaleurs trop vives. Des observateurs curieux, intrigués, parfois dubitatifs. L’image d’un homme qui jette sa vie en l’air comme une gerbe pyrotechnique, épatante, en sachant qu’un jour tout finira en fumée dans un dernier baroud. Les laves creusaient ses rides pendant que les cendres retombaient pour l’affubler d’une barbe blanche. Il savait qu’un jour…
Le cratère, dont le magma flapote encore, jette quelques geysers enflammés, de temps en temps. Ses pentes verdissent un peu, les visiteurs, plus confiants, s’aventurent à la conquête de celui qu’ils croient devenu sage. Il porte toujours son air sauvage mais semble plus rassurant et plus abordable.
Ce volcan qui vieillit regarde son monde avec bienveillance. Il ne dérange plus. On ne craint plus ses colères, ses intransigeances, ses raisonnements trop pointus, ses rancunes. Il faisait rire aussi lors de ses jaillissements, il fait rire encore avec ses mimiques adoucies. Le temps l’a calmé.
Il sait que le jour n’est plus très loin. Ce jour dont la barrière s’ouvre sur la sortie et sur laquelle on peut lire, sans en avoir toujours l’opportunité lorsque l’issue est soudaine, le mot FIN.
Il a beaucoup joué avec la vie, il a beaucoup demandé et beaucoup donné aussi. Il se souvient d’avoir distrait le temps qui s’amuse à son tour. Qui l’inspecte aujourd’hui et, patient, semble vouloir faire durer un peu. Un peu ? Très peu ? C’est lui qui connait le mystère ?
Non, il ne connait rien. Il est bête à mourir. Parfois il traine, parfois accélère le pas. Il ne sait pas ce qu’il fait. Il fuit. Tout le temps… la fuite du temps. Je ne bronche pas.
Vous l’entendez ?
Je l’écoute, il me souffle ses derniers mots. Je prends, encore et encore à la sauvette… je sais, c’est lui qui m’emportera et poursuivra sa course folle sans moi. Je ne saurai plus rien, lui non plus. Comme le chat en chasse, il trouvera d’autres souris et s’en amusera… c’est pourquoi, j’ai choisi de jouer avec la vie.
Ce passage semble si long, il est si court parce qu’il flotte dans la relativité des choses.
Les volcans ne sont jamais éternels, ils meurent un jour…
N’y voyez aucune mélancolie, ce ne sont que choses de la vie.
Difficile de dire un mot après ce texte profond, vrai et …flamboyant.
Superbe.
Bon samedi Al.
Merci. 🙂
La dernière fois que j’ai tremblé,
La dernière fois que j’ai perdu le nord un laps de temps,
La dernière fois où j’ai cru que c’était la dernière après que mes esprits soient revenus,
C’était à Naples un été,
À Naples il n’y a pas si longtemps,
Que sous les combles d’un vieux palais,
Les racines du Vésuve ont dansé.
C’était plus risqué 🙂
un souvenir quelque peu flamboyant et tellement finement évoqué ! merci Simonu
🙂