La marelle.

Je vais bientôt retourner à la ville. Je me suis remémoré les jour PTH, Prothèse Totale de la Hanche, lorsque je déambulais dans les rues urbaines, une semaine plus tard, pour retrouver mon tonus musculaire perdu.

Le retour au bercail était tout proche.

Je m’étais juré, ou plutôt j’ai toujours pensé, que je ne m’habituerai jamais à l’urbain. J’ai failli me tromper mais c’était juste le temps d’une rééducation difficile à envisager à la campagne avec un suivi temporaire mais strict.

Mis à part le côté médical, le plus gros du programme nécessitait de nombreux pas journaliers. Déambuler dans les rues pour perfectionner la nouvelle mécanique en titane encore en rodage et renforcer une masse musculaire affaiblie.

Au début, c’était tout nouveau et tout beau. L’œil exercé à voir ce que le passant ordinaire néglige, je dirigeais mon petit compact de poche sur tout ce que mon imagination résumait en un mot ou en une très courte phrase. J’aime bien le mot qui synthétise et fait sourire si possible. J’avais l’impression que l’offre était inépuisable mais à force de passer et de repasser devant les mêmes murs, les mêmes vitrines, les mêmes crottes de chiens, on finit par se lasser.

Ce qui m’a le plus frappé ce sont les innombrables déjections canines qui jonchent les trottoirs. Il y en avait de toutes les couleurs, du brun pâle au noir foncé avec une curiosité surprenante : elles étaient presque toutes aplaties. Parfois, on devinait l’empreinte d’une basket ou celle plus fine d’un mocassin mais la plupart ressemblaient à des blinis pour les plus clairs ou alors à des « oreilles » en pâte frite à base de farine de châtaigne. Friteddi ciatti di farina castagnina* (beignets plats de farine de châtaigne). Parfois une tuile en chocolat fraîchement aplatie, non pas à la maryse, également appelée lèche-tout, mais d’une semelle frisant la glissade.
Il est très rare de tomber sur une pyramide en parfait état, encore toute neuve. C’est à croire que les passants marchent la tête bien haute, aplatissant, écrasant, glissant, sans se méfier. Il m’est arrivé de ramener à la maison un prélèvement, fortement malodorant, qui s’était logé dans les sillons de l’embout caoutchouté, antidérapant, de la béquille. Je peux vous dire que dans un milieu clos ça ne sent pas bon. On ne peut avoir l’œil sur les murs, les vitrines et slalomer entre les crottes concomitamment. C’est impossible sans l’œil attentif qui surveille les pas.

Ce matin-là, je m’étais arrêté un instant pour observer les gens. Je les imaginais dans quelques années, l’échine courbée, le regard rivé sur les pavés en train de jouer à la marelle sur les trottoirs.
Vus de loin, je devinais, le petit saut à droite pour éviter un caca tout frais, puis un autre à gauche pour contourner le suivant. Et plaf ! Sur les deux pieds écartés pour déjouer celui qui se présentait juste entre les jambes. Puis de temps en temps, une pause pour jeter un regard vers l’avant, cherchant désespérément le paradis. J’imaginais aussi, les nombreuses collisions frontales entre joueurs de marelle qui évoluaient en sens inverse. Il faudra un certain temps pour voir apparaître comme sur la chaussée carrossable, une ligne blanche avec circulation à droite afin d’éviter tout accident. Le plus triste dans cette affaire, c’est qu’on ne verra plus beaucoup de vieux papys ou de vieilles mamies sur les trottoirs, contraints de pratiquer un jeu qui n’est plus de leur âge. Il leur restera le souvenir de ce plaisir enfantin qu’ils appelaient dans nos quartiers, « u scagazzu » (la marelle), joué naguère avec un galet, aujourd’hui avec des crottes de chiens…

C’est bien dommage car la tendance est au vieillissement de la population.

Quant à moi, je m’en vais retrouver mes occupations rurales.

J’imaginais le scooter qui regardait le couple enlacé, avec insistance, déclarer : « Psitt ! Je vous embarque ? »
Les rues sont pleines de surprises, il suffit d’avoir l’œil exercé et l’esprit en alerte pour tout saisir.

*la recette est simplissime : De la farine de châtaignes tamisée et de l’eau, un peu de sel. Réaliser une pâte un peu plus épaisse que celle à crêpes. Plonger une cuillère à soupe de pâte dans l’huile de friture bien chaude, dans une poêle pour obtenir une oreille parfaite. Certaines personnes ajoutent du sucre mais ce n’est pas nécessaire la farine est naturellement et suffisamment sucrée.

J’ai eu pitié de vous, plutôt que photographier les crottes, j’ai préféré cette rue pas trop passante, vierge de tout excrément.

3 Comments

  1. Quelle délicate attention, merci Simonu 😉
    Nos rues sont dégoûtantes, c’est vrai, les mairies offrent des sacs gratuits mais certains se trouveraient déshonorés de se baisser et laissent le cadeau aux autres 🙁
    J’ai eu 2 chiens en ville et pas des petits, j’ai toujours ramassé lorsque il arrivait un accident parce qu’en fait ils attendaient d’être en pleine campagne ou dans le maquis, ils détestaient faire ça en ville sous les yeux de tous. C’est un peu comme les enfants, un chien, ça s’éduque si on ne veut pas emm… les autres.
    (photos superbes!)

  2. Merci pour les photos en décalage du texte 😀 comment dire….. euhhhhhhh, je venais de finir mon repas, frugal certes, lorsque j’ai lu cet article ludo-scatologique 😀
    J’habite une commune très propre et c’est une chance. Mais pour avoir vécu des années à Marseille, ce que j’ai lu m’évoque aussi des souvenirs qui ne sentent pas forcément bon

  3. Avec les choses de la vie mieux vaut lire à grande distance d’un repas, sait-on jamais 😉
    Merci pour le ludo. Cela me rappelle une demoiselle qui concluait son courrier à un ami par « Bonnes fêtes pascales »,( c’était la vieille époque) et ce dernier lui répondit : « Tu as dû te tromper, je ne m’appelle pas Pascal ». Vous avez compris, ludo (ludovic) m’a fait penser à cette anecdote. Je vais toujours chercher midi à quatorze heures 😉
    Merci pour vos commentaires, bonne soirée 🙂

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