Je musardais à travers les prairies, les ruelles, d’un petit village lorsque je me suis arrêté en plongée sur un coin de jardin, allumé par le soleil en phase déclinante.
Un rayon encore vif éclairait cet endroit paisible. Il n’en fallut pas plus pour enclencher sur une suite à « Evora »*.
J’imaginais la croqueuse d’hommes devenue dévoreuse de romans.
Elle avait beaucoup changé depuis son séjour en gîte rural pour faire le point sur sa vie. Elle trimballait, alors, la quarantaine inquiétante, en pleine révolution des sentiments. Sa superbe en berne, incertaine, perdue, triste, moins conquérante, elle « bluesait » traînant sa cyclothymie derrière la vitre de la petite cuisine qu’elle embuait, floutant d’un jet de vapeur soufflée de sa bouche, tous ceux qu’elle regardait passer dans la rue. Tapie derrière un rideau transparent, elle jouait encore à gagner, tirant ses ficelles imaginaires, choisissant son amant fictif du jour. L’image forte de ses hésitations, des « oui » et des « non » qui se succédaient sans jamais se décider.
Torturée dans son indécision dérangeante.
Dans ce jardin, la cinquantaine bien sonnée, elle semblait plus apaisée. Toute vêtue de dentelle blanche, un chapeau vaporeux à large bord, très évasé, faisait une légère ombre sur son visage rosé sur lequel se mirait la couleur des fleurs des pommiers environnants.
Celles blanches du cerisier réfléchissaient une autre ombre qui l’inondait d’albâtre avec un mélange pâlot de cire et de craie naturelle. Elle avait mis des gants ivoire percés de petits trous, des escarpins à talons frêles qui s’enfonçaient dans l’herbe fraîche lorsque qu’elle déambulait parmi les arbres pour déclamer un passage plus vif qui demandait un peu d’animation. La glycine jetait des nuances pervenche sur son visage pour rendre son sourire plus doux et plus rêveur. J’avais devant moi, le tableau d’un impressionniste discret, à la fois distant et froufroutant dans ces frisettes aériennes…
Je la regardais, légèrement penchée en arrière sur sa chaise de jardin, belle, sereine en apparence, encore pleine d’envies. Elle puisait ses sentiments dans une lecture soutenue comme on va à la source fraîche remplir sa cruche.
La liseuse au chapeau dont le ruban noué à l’arrière flottait sous une brise caressante, presque musicale, divaguait entre passé et avenir. Elle ne savait pas comment affirmer et mettre de l’ordre dans ses émotions et ses envies. On ne sort pas facilement d’un champ d’atermoiements, elle n’osait toujours pas brouter sans faire la fine bouche. Sa cyclothymie embarrassante avait évolué en une sorte d’humeur saisonnière. L’hiver, elle se montrait exubérante, preneuse, enthousiaste, sans savoir de quoi demain sera fait. Elle promettait des lendemains enflammés mais se protégeait avec ce qu’elle appelait « sa liberté » et se camouflait en déclarant qu’elle avait l’oubli facile. Comme une excuse, une sorte d’avertissement qui trahissait encore une fois son éternelle indécision. La liseuse printanière avait revêtu son habit énigmatique. Lorsqu’elle retirait un gant pour en faire un marque page, sa peau presque diaphane laissait transparaître les veines de sa main nue aux doigts graciles capables de fouiner et d’explorer un corps. Ils demeuraient immobiles laissant apparaître les nœuds qui marquent chaque phalange.
La douceur et la sécheresse se trouvaient réunies sur une même incertitude.
En été, elle cogitera à l’ombre d’un tilleul attendant un automne pluvieux, à peine frileux pour se blottir dans un leurre. Encore une erreur de passage pour nourrir son embarras. Et puis l’hiver, plus docile, presque abandonnée, elle se donnera jusqu’au dégoût pour alimenter son cycle infernal.
Dans son coin de jardin, la liseuse au chapeau puise dans ses lectures fallacieuses un peu de rêve, une once d’assurance, des miettes d’espoir et puis sombre inlassablement dans l’ambiguïté et l’inquiétude masquée.
C’est ainsi. Il est des femmes belles, admirables, perdues dans leurs humeurs saisonnières. Elles rêvent de transport, voudraient être prises et ne savent pas donner…
Ah ! L’indécise ! La dame au chapeau s’est enfuie ne laissant aucun filigrane sur l’image… juste un parfum qui flotte encore sous les pommiers.
Ha ça c’est une surprise, j ne pensais pas que vous donneriez une suite au premier texte 🙂
Charmant tableau avec le cachet un peu désuet des impressionnistes, on l’imagine très bien, votre Evora. Je me demande s’il n’en est pas mieux ainsi, quel homme serait heureux avec elle? Je la crois très centrée sur sa petite personne et peu apte à la générosité…
🙂