Le petiot.

Je dédie ce texte à Patricia qui le cherchait. Il venait de l’autre blog, versé ici en triste état.
Je l’ai régénéré, il lui doit sa renaissance et moi la reconnaissance. 🙂

Aujourd’hui, je vais prendre mon temps.
Cette histoire que je n’ai jamais racontée, je crois, prend naissance au plus profond d’une vie qui s’est roulée dans la simplicité, jamais dans la farine…
La vie d’un rural soudain débarqué en ville.

J’étais tout neuf, innocent comme on peut l’être en quittant la Navaggia, Archigna, le Pinettu ou Savalè. Des endroits de vie rustique, courus et parcourus sans cesse durant une enfance en culottes courtes et spartiates, à s’inventer une existence. Certes, nous ne savions pas grand-chose, nous allions là où l’humeur nous conduisait pour trouver des frémissements.
La vie c’est ça, on ne sait pas. On va et on voit, parfois on comprend. Mais beaucoup plus tard seulement. La signification est toujours tardive après l’introspection.
Ah ! Je vois, je crois que c’était ça ! dit-on, plusieurs années après. Il n’y aucune certitude s’agissant d’impressions, de supputations, ou alors c’est que cela nous arrange. Allons-y pour cette dernière allusion, une pure illusion.  

Qu’ai-je bien pu comprendre si tard ?

Je sortais de mon Lévie natal, tout nu et un peu bronzé, pas beaucoup car je n’étais pas du genre à m’exposer aux rayons mais à vadrouiller, au passage, le soleil faisait son boulot.
J’avais sollicité un poste d’enseignant dans ma Corse d’origine sans succès et sans aucune réponse de l’administration. J’ai décidé de courir « fortune » dans la région parisienne.
Fraîchement mariés, nous voici, ma femme et moi, « lindaïsés » bien avant l’histoire de « de Suza » et sa valise en carton. Perdus dans l’aventure à Paname. Une période amusante mais pas trop car on se trouve rapidement démuni sans le revenu.

Par chance, l’inspection départementale de Versailles a bien voulu de moi.

Se fiant à mon cursus universitaire, l’Education Nationale me bombarda dans un grand collège tout neuf des Yvelines.
Vélizy, avec son millier d’élèves, accueillait un prof de hasard pour enseigner les sciences naturelles. C’était mon rêve. J’étais noyé dans l’infiniment grand en sortant de l’infiniment petit.
De quoi donner le vertige ou se perdre dans la masse écrasante.

Je n’étais pas habitué à cette immensité mais j’étais heureux. Un jeune « prof » parmi les chevronnés, un grand timide qui fuyait la salle des enseignants, préférant jouer au foot avec les élèves pendant les récréations. J’étais un enfant entouré d’enfants, tout naturellement, sans me rendre compte de rien. Ce n’était ni feint, ni recherché… pure nature !

Dans ma classe de 6e, il y avait un petit garçon dont j’ai oublié le prénom qui attirait mon attention. Une sorte de Poil de Carotte, un blondinet aux cheveux en bataille, le squelette frêle mais de l’énergie à revendre. Il remuait tout le temps comme un asticot de fromage corse, de sorte qu’on ne voyait que lui s’agitant à tout propos. Il s’annonçait comme le trublion de la classe, l’emmerdeur parfait dans toute sa splendeur. En outre, il tenait son classeur comme on nourrit une poubelle. Taches, gribouillages, écriture illisible, pages cornées, stylos et crayons mâchés, la panoplie parfaite de  l’élève inadapté. Fallait-il l’adresser à une quelconque instance rééducative ou « pédopsy quelque chose » ? J’étais loin de penser à cela, à mes tout débuts. Je l’ai simplement regardé puis écouté. Un espiègle en apparence, d’une vivacité d’esprit peu commune, réactif à bon escient, je veux dire qui pensait juste. Aujourd’hui on le qualifierait de surdoué en vadrouille.

Tel un clignotant rouge, il détrônait invariablement l’appel du ciel bleu qui se mirait dans les vitres.

Mon asticot, intenable, gesticulait, non pour faire le guignol, il claironnait son intérêt désordonné pour les cours. Des interventions intempestives qui demandaient à être disciplinées. Il semait sa joie de vivre et d’apprendre dans toute la classe. Ses productions étaient toutes exactes, son sens aigu de l’observation dévoilait la finesse et la sagacité d’un scientifique en herbe, aux cheveux ébouriffés.

Je le notais essentiellement sur ses productions que j’avais du mal à déchiffrer. Je prenais mon temps, parfois pour deviner, j’étais là pour ça. Nous dessinions beaucoup et ses croquis n’avaient souvent qu’une lointaine ressemblance avec la réalité suggérée, mais c’était juste. Toujours juste. Pour moi, ses résultats étaient excellents, je faisais abstraction des nombreuses scories qui l’auraient condamné, je grignotais quelques petits points, symboliquement presqu’à regret, pour l’inciter à faire des efforts de présentation. Mais le pouvait-il, intenable qu’il était, toujours prêt à bondir pour donner la bonne réponse ? Il était heureux comme un élu aux Oscars et surpris à la fois, tant on avait dû le sermonner sans obtenir le moindre effet. Je gérais un tempérament bouillant d’hyperactif.

Il m’a laissé un souvenir impérissable avec la certitude que l’on peut sortir quelqu’un de l’eau même si l’on ne sait pas trop nager. La bienveillance est bonne conseillère.

Je remplaçais l’enseignante titulaire pour une année entière. Elle assistait avec moi au dernier conseil de classe pour avoir une idée des enfants qu’elle suivrait l’année d’après. La maman du petiot, professeur de mathématiques dans un autre collège, déléguée des parents d’élèves, s’était longuement entretenue avec moi, exprimant sa satisfaction de voir son fils si heureux d’aller aux cours de sciences naturelles. Pour être plus complet, elle disait devant l’enseignante titulaire qu’elle ne connaissait pas : « J’espère que vous l’aurez encore l’année prochaine ! ».

Je n’avais aucune expérience, nous ne suivions que de vagues journées pédagogiques le mercredi. Le genre de journées qui généralement ne servent pas à grand-chose sauf lorsque l’exception nous conduit à rencontrer la vraie bonne personne au sens pédagogique infus ou acquis. Nous nous forgions à l’usage, sur le tas comme on dit. Je pratiquais une sorte de pédagogie intuitive qui ne s’apprend pas dans les livres.

Cet enfant, fors son prénom, je m’en souviens encore. Ce fut le début d’une synergie, chacun apportant sa contribution.
Il m’a appris à regarder autrement.
Aujourd’hui, je souris en pensant à lui et à tous ceux que j’ai rencontrés dans des conditions plus difficiles par la suite. Je regrette de ne plus me souvenir de son identité car j’aurais bien aimé savoir ce qu’il est devenu.

Quand je pense à nos quartiers, à Funtanedda, au lac di u Diavuli (du diable), aux trois « fauteuils » creusés dans le granit, à nos endroits intimes, à tous les « vieux » qui nous ont construits, je me dis que le bonheur est dans la simplicité des choses.
A l’ombre de Lévie, de la Piazzona, de notre école et notre collège rural, nous avons tant appris de la vie… parfois sans le savoir.

C’est au regard de l’ailleurs que j’ai compris que nous avions été à bonne école. 

Je suis venu, j’ai vu et ma victoire fut d’accompagner les autres sans me prendre pour un conquérant, pour un César.
C’est au ras des autres que l’on prend goût à la vie, s’enivrant de tous ses parfums…

Je viens de la basse Navaggia derrière les dernières maisons…
Je vis face à ce paysage, voilà pourquoi je vois la vie en couleur.

C’est à l’écoute des choses de la vie, presque en fusionnant au plus simple de la nature, que l’on chemine sagement… Voilà, ce que je crois avoir compris !

7 Comments

  1. Posé à la suite de l’ancien texte qui avait perdu ses images, il y avait ce commentaire :
    Gaetan Calmes
    26 Avr 2017 à 10 h 38 min Modifier
    J’ai bien aimé cette histoire et à double titre. En elle même mais aussi car elle m’a renvoyé à ceux de tes écrits que j’ai lus en premiers : ceux de ton travail auprès des enfants, si proches des progrès que m’ont fait faire les adultes avec qui j’ai travaillé.
    Beaux clichés par ailleurs. Eux aussi, à plusieurs titre, en eux-mêmes et ce en ce qu’ils illustrent nombre de tes textes d’enfance. Résonnance avec mes fontaines et lavoirs.
    Bien à toi.

  2. Je ne connais pas Patricia mais merci à elle puisqu’elle est à l’origine de cette nouvelle édition.:)
    Belle leçon de vis, oui je crois que vous avez tout compris.
    Ce récit est très touchant, j’imagine bien ce que vous avez pu ressentir tous les deux, si loin de votre Cacareddu, petit coin de paradis. Mais vous avez su prendre et apporter le meilleur partout où vous êtes passés.
    Ce petiot ne vous a certainement pas oublié non plus 🙂

    1. Ce fut une année fondatrice.
      Une dame proche de la retraite, prof de français, me disait : « Mais que faites vous avec ces enfants ? En sortant de mon cours, ils disent dépêchons-nous, dépêchons-nous, on va chez M. Dominati ! »
      J’ai vécu une année merveilleuse, j’enseignais la musique aussi, il fallait le faire (je reprenais l’emploi du temps de la titulaire) ce fut rigolo, je n’y connaissais rien et bien, j’ai innové, des cours originaux jusqu’à démonter le piano pour voir tous ses composants… marteaux, étouffoirs, cordes frappées puis le parallèle avec le clavecin à cordes pincées (bec de cuivre) à partir de l’histoire du tympanon et de l’épinette… Les grands compositeurs au piano, au clavecin et leur musique…
      Tout ça sur le vif, sans rien connaître, à l’inspiration du moment… Qu’est-ce que j’ai ri de voir ces enfants qui me prenaient pour un vrai prof de musique. Je les ai embarqués, on ne s’est pas ennuyé, j’ai appris beaucoup de choses sur la disciple en même temps qu’eux 🙂 C’est fou, la vie ! et l’éducation nationale, donc ! 😉

      1. S’ils étaient tous comme vous, tous les gamins aimeraient l’école 🙂
        Attention ils sont capables de revenir vous chercher pour éduquer les gamins des quartiers chauds 😉

    2. Patricia est une lectrice que je ne connais pas non plus.
      Elle me signalait qu’elle cherchait « Le petiot » qu’elle avait aimé et souhaitait relire.
      D’où la deuxième vie.
      Ça m’embête un peu de reprendre d’anciens textes mais ils sont dans un tel état et puis, je n’ai pas envie de les perdre.
      1500 textes avaient été reversés dans le nouveau blog avec des fortunes diverses… souvent sans les images.

    3. Les quartiers chauds, j’ai eu ma part.
      Dans les années 80, j’étais membre du jury aux examens des rééducateurs en psychopédagogie (un peu comme des orthophonistes mais dans l’éducation nationale), un jour à Chanteloup les vignes, des « gardes du corps » m’attendaient devant la grille, ils m’ont escorté jusqu’à la salle d’examen sous les huées des excités qui ne me connaissaient pas, je venais de Versailles… déjà !
      Aux Mureaux, j’ai été le premier à mettre en place les groupes d’aide psychopédagogique, les écoles étaient composées d’enfants de l’immigration, les enseignants souvent dépassés… déjà !
      C’est juste une remarque objective. Je m’occupais des cas difficiles.
      Voici un exemple : https://simonu.home.blog/2016/05/21/tartarin-des-mureaux-2/

  3. Ha oui, Les Mureaux, Chanteloup, vous avez eu le dessus du panier 🙂
    Remarquez ça ne veut rien dire, dans ces années là, j’étais représentante, il m’arrivait de traverser des cours d’écoles, les seules où j’ai été agressée étaient des lycées des beaux quartiers, Stanislas entre autre dont je garde un très mauvais souvenir.

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