Aujourd’hui, il me vient une idée.

Comme un musée, une mémoire du labeur de naguère et de jadis.
Une idée à la vue d’una rustaghja.
Une sorte de serpe avec un long manche pour s’attaquer aux ronces.
Les années soixante me sont revenues comme un boomerang.
Cela m’était déjà arrivé en regardant Paul qui se comportait exactement comme son père.
Je le rencontrais souvent en train de traquer les herbes et les ronces qui envahissaient les chemins. Après son passage tout était nickel, je me demandais comment il pouvait être aussi matinal et aussi assidu à rendre les endroits du village plus accessibles à ceux qui venaient se resourcer l’été et se promenaient en short.
Ils n’en savaient rien, déambulaient tranquilles comme si la chose était naturelle.
Que nenni, Paul était passé par là.
Cesaru, César en français, était son père.
J’ai compris que les choses se perpétuaient comme un atavisme, une sorte de transmission héréditaire secrète et tacite.
Enfant, j’habitais la Navaggia, nous étions voisins.
J’ai le souvenir d’un homme courbé coiffé d’une casquette toujours une faucille ou une serpe à la main. Il traquait inlassablement les ronciers que rarement il attaquait à a rustaghja car son labeur suivi ne leur laissait jamais le temps de s’étoffer.
Le chemin qui menait à l’oliveraie de Savalè avait des allures de boulevard. On y descendait en courant sans jamais rencontrer la moindre ronce. On aurait proposé un mariage du côté du fragnu (pressoir) du colonel, la mariée aurait pu s’y rendre à pied avec sa robe ample, et sa longue traîne, sans risquer de l’accrocher à un lamaghjonu ! ( roncier).
Funtanedda dont la résurgence déversait sans discontinuer son eau fraîche, comme sortie d’un frigidaire, était accessible sans encombres, le passage parfaitement dégagé des ronces et des fougères qui prospéraient facilement dans ces endroits frais et légèrement humides.
Tous les chemins, quotidiennement fréquentés par les habitants du quartier, étaient ouverts et facilement fréquentables.
Pourtant, il n’était pas en charge de ce travail, à ma connaissance. Il n’était pas rémunéré pour cela.
C’était un homme.
Un homme d’ici qui vivait en communion avec son environnement.
Très peu loquace, presque taciturne, juste un mot d’humour très bref, il avait le sourire accroché aux lèvres, s’arrêtait un instant pour vous regarder passer, vous qui ne faisiez rien d’autre que passer.
Avec le temps, il me semble que cet homme au fond profondément humain, savait la vie tranquille, sans amertume, sans jamais rechigner. Il donnait l’impression, ou le ressentait ainsi, d’être celui qui ouvre les chemins vers la vie. Vers les jardins en contre-bas, vers le ruisseau, vers les oliviers.
Aujourd’hui, c’est fini, tous ces chemins sont interdits, les ronciers ont tiré leur rideau, seuls les sangliers osent s’y aventurer en se frayant un passage pour se rendre au village. Ce sont eux qui labourent les jardins, désormais… mais hélas, ne plantent rien.
Cet homme, je l’ai connu courbé, c’est l’image qu’il m’en reste alors qu’il était encore jeune. Courbé comme sa faucille qui pendait à l’ancinu (une sorte de crochet placé à l’arrière de la ceinture pour transporter faucille, serpe et serpette, aujourd’hui on dirait un kit mains libres…)
C’était un homme, un pauvre Martin, pauvre misère comme mon père, un homme inlassablement tourné vers la vie des autres en oubliant qu’il vivait aussi.
Il y a longtemps que je songeais à écrire cette page, il était temps que je me décide.
O Cè ! Mi invengu bè di tè, ti vigu sempri in Ambruginu rustaghjendu ! Mi fighjulai sempri cu paci e serenità ! (César, je me souviens bien de toi qui débroussaillais inlassablement, tu me regardais, la paix et la sérénité dans le regard)
J’aime évoquer ces gens simples qui sont passés sans rien dire, trop souvent.
C’est silence alors qu’ils ont été un exemple ou qu’ils auraient dû être un exemple pour les temps présents et à venir…
Hélas ! On les oublie !
Ils sont passés en creusant eux mêmes leur tombe, sans rien dire, pour ne pas déranger les gens… comme le chantait l’ami Brassens.
Ave Cesaru !

Difficile de commenter après un si beau texte, je reste sous le charme, j’imagine Cesaru au bord du chemin que seuls ceux qui pouvaient comprendre voyaient et aimaient…
Il est passé sans rien dire, je culpabilisais presque de ne pas l’évoquer dans un coin de mon blog.
C’est fait, j’ai l’esprit tranquille.
Il suffit qu’une seule personne y pense, pour qu’un souvenir prenne vie, pour qu’un homme dans ce souvenir continue son labeur comme s’il n’était jamais parti.
César nous venons tous de le voir !
Bonne journée !
Voilà un homme qui méritait la lumière !
Je suis heureux d’avoir porté un petit éclairage. 🙂
Merci beaucoup Simon pour ce beau portrait de mon grand père que je n’ai hélas pas connu.
Porte ce texte à la connaissance de ton père 🙂