Canicule.

Il fait très chaud et cela dure.
Le soleil a trié ses plus ardents rayons pour nous bombarder de flèches brûlantes.
Dans les maisons, des bouffées chaudes surviennent par vagues que véhicule un courant circulant par portes et fenêtres entrebâillées.
Les volets sont mi-clos.

Sur la place du petit hameau, un vieux grand-père sommeille sous son chapeau noir à l’ombre du tilleul. Un vieil arbre aussi, qu’il a dû connaître lorsqu’il était jeune enfant. Son menton repose sur ses mains agrippées à la crosse de sa canne.
Ses paupières ont tiré le rideau.
Il dort, rêve peut-être, assis sur le banc de granit et voyage, voyage en images.

Le quartier est désert alors que nous sommes au tout début du mois d’août. Une légère brise est la bienvenue pour donner vie à sa mèche de cheveux blancs.
Une touffe plaquée sur son front se soulève au moindre frémissement pour me saluer.
Seul son chat habitué à la solitude fait acte de présence, recroquevillé à ses pieds. Les yeux mi-clos, il veille mollement.
L’homme flotte dans le temps. Allez savoir vers quel souvenir ancien vagabondent ses rêves, on dirait qu’il sourit sous cape, l’image doit être heureuse…
Peut-être est-il plongé dans sa jeunesse ou sourit-il à la joie de ses petits-enfants qui vadrouillent dans sa tête.

Son jardin est sec, les herbes grillées par le soleil. Le filet d’eau qui serpente sur le sentier n’a même plus la force de couler. Il hésite, freine. Absorbé par la poussière, il ne tardera pas à s’assécher.
Les merles, les moineaux et les mésanges ont déserté le coin. Seuls deux geais rageurs vandalisent le pommier dont les fruits attaqués par les larves des carpocapses ne sont plus que galeries farineuses prêtes à s’effondrer. Les pédoncules des reinettes, encore saines en apparence, menacent de lâcher prise. Le sol est jonché de pommes taraudées par la chenille ravageuse et fatiguées de recevoir des coups de bec.
Le noyer qui se dressait fièrement au bord du ru est taché d’encre noire le long du tronc, le brou de ses noix présente des plages nécrosées. Le feuillage d’ordinaire si vert se couvre de rouille et de pastilles charbon. La maladie est omniprésente. Cet endroit jadis verdoyant, rempli de vie, n’est plus qu’un désert sous la canicule et l’abandon.
Une poussière légère se soulève à la moindre respiration du vent, tourbillonne sur place comme un ectoplasme follet puis s’éparpille, jetée par le souffle parti dans les feuillages.
La terre est triste… mauvais signe des temps.

La porte d’une maison est ouverte. Les volets à jalousies des fenêtres n’ont plus rien à regarder. Clos. Leurs ouïes servent de ventilation pour apporter un souffle sur le visage d’une vieille dame tapie dans l’obscurité. Elle me regarde musarder, sans émotion, les yeux perdus dans ses pensées. Mon geste de salut est passé inaperçu, resté sans réponse. Elle m’a déjà oublié. Son esprit s’est habitué au silence en ignorant âme qui flotte devant sa porte.
Je n’ai pas osé réveiller le vieil homme. Je le laisse à ses souvenirs qui semblent le bercer dans un sommeil paisible.

Sans doute tirée de sa léthargie par un mouvement inhabituel, la grand-mère a penché sa tête hors de l’huis. Je reviens sur mes pas :
– Alora com’andetti ? 
– Di dù setti ? 
– Di Livia. 
– Beddu paesu… Quantu avemu badattu in San Larenzu… fallaiamu à peddi… Hè finitu stu beddu tempu. E pò s’invecchjia !

Quelques centaines de mètres plus loin, un jeune couple semble veiller sur eux. Ils prennent régulièrement de leurs nouvelles.

Un matin d’hiver, leur porte restera close.
Fatigués de vivre seuls, uniquement branchés sur leur passé à ruminer un temps perdu. Définitivement perdu mais un temps que l’on mâchouille comme une feuille de coca pour supporter le quotidien. Celui présent et à venir n’a plus tellement de souffle. Ils le supportent, ne se défendent même plus, ils subissent. Ils ont abandonné leur vie au temps en attendant qu’il décide de les oublier au passage, comme il sait si bien le faire… Sans le moindre bruit.
Il dépose les gens perdus et c’est fini.
Le premier qui partira donnera le signal :
– C’est le moment, allez viens ! On s’en va… 
L’autre accablé de solitude, amputé de sa moitié de vie ne tardera pas à lâcher prise…

Te souviens-tu de ces villageois qui couraient après les chèvres, vidaient le bassin pour que la vie remplisse leur jardin ? La tomate rougissait de plaisir lorsque l’eau circulant dans les sillons apportait un peu de fraîcheur à ses pieds. Les courgettes se faisaient concurrence en s’allongeant à qui mieux mieux. Le basilic bien caché sous les plants des solanacées était vite repéré lorsque le moindre frémissement de l’air faisait danser ses effluves, juste sous nos narines.
Le prunier et le poirier n’en pouvaient plus du « va et vient » des mésanges chapardeuses, avides de jus nouveau.
A la fin de l’été puis à l’automne, le raisin séchait au plafond, les figues sur la claire-voie, les châtaignes au grenier et les noix dans un coin de la cave qui sentait bon l’huile d’olive et le saucisson à la peau moisie, sans dommage pour la partie comestible.
Une odeur typique de cave et une fraîcheur censée préserver ce qui demande à vieillir au frais, me tamponnaient l’esprit.
Le jambon pendu à un clou de la poutre maîtresse séjournait avec le fromage piquant, dur, prêt à être râpé pà « a past’asciuta ». D’autres fromages, à l’écart, grouillaient d’asticots. Plus tard, ils seront placés sur le bord de la fenêtre pendant la nuit. Le lendemain matin, il ne restera plus qu’une pâte à tartiner que seuls les amateurs de piment fort, de fromage qui réveille les papilles en gratouillant le gosier, apprécieront… On l’appalera « casgiu merzu ». Tutti i saltuledda, petits vers blancs, se détendant comme des ressorts, se seront défenestrés dans leurs sauts nocturnes intempestifs.

C’est jour de canicule. Une chaleur qui fait remonter les souvenirs ruraux, rustiques et bucoliques.
Une vie paisible, qui savait prendre son temps, semble désormais perdue…
Même dans nos hameaux, elle n’existe plus.


2 Comments

  1. Et vous étiez là en pleine canicule !
    L’inspiration s’essouffle après des lignes et des lignes, des milliers de lignes…
    Merci, Almanito. 🙂

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