Le retour de Francisco.

Les choses de la vie se déroulent parfois de curieuse manière.

Cela fait vingt-cinq ans que j’ai quitté la région parisienne.
Francisco et moi, nous nous étions perdus de vue.
Quelques nouvelles les deux premières années et puis plus rien.

En milieu de semaine, il y a juste trois jours, j’essayais de le retrouver sur la toile, en cherchant sur Facebook. Aucune trace de lui. J’eus alors l’idée de tenter ma chance en m’orientant vers son fils Alexandre avec probablement plus d’espoir de le croiser au coin d’une page FB.
Rien. Lui aussi semblait absent de ce réseau social.
En début d’après-midi du même jour, Alexandre m’envoyait une demande « d’amitié FB ».
Enorme coïncidence qui me laissa perplexe !
Il ne pouvait avoir eu vent de ma recherche puisque je ne l’ai pas trouvé.
Il est inscrit sous un autre nom.
Si j’ai bien compris son explication après coup, le matin même, il inscrivait son père sur le réseau social et ce dernier avait l’intention de me rechercher aussi.
Les retrouvailles intervenaient dans la soirée.
Pour moi qui ne crois pas aux signes, il y a de quoi s’interroger…
Je m’en tiendrai uniquement aux simples choses de la vie.

Francisco était mécanicien et bouliste passionné, le week-end. On aurait pu affirmer que la pétanque était son deuxième métier. Un loisir sacré, de la plus haute importance pour lui. C’est dans ce jeu que le lusitanien trouvait quelque gloire dans son adresse pour frapper les boules. Sa réputation de bon joueur de club dépassa le cadre local lorsqu’il devint champion des Yvelines du jeu en tête à tête.

Un homme chaud bouillant dans le jeu de boules, à la fois habile et fortement impliqué, parfois difficile à suivre tant il attachait grande importance à cette exposition qui le mettait en valeur.

Une amitié patiente allait naître entre nous, très progressivement.

Francis s’occupait régulièrement de notre véhicule. Il programmait, anticipait… bref, plus aucune panne ne pouvait survenir.
Je me souviens d’un soir, au sortir du travail, décidé à changer l’embrayage, il m’avait embarqué d’autorité au hasard du département pour échouer, en pleine nuit, dans un garage tenu par des portugais. La porte était grande ouverte. On nous attendait. Sans rien dire et sans perdre de temps, le moteur était sorti de son ventre pour se retrouver suspendu à un palan. Je me demandais comment ils allaient pouvoir le remettre en place.  J’étais inquiet. Le lendemain à l’aube, nous étions de retour et à midi tout était en place, le véhicule en parfaite santé tandis que des sardines grillées nous attendaient à quelques mètres de là. Je ne connaissais personne, nous nous sommes salués le plus simplement du monde et nous repartîmes sans que j’aie à débourser le moindre sou.

Lorsque mon fils a obtenu son permis de conduire, Francisco est venu m’annoncer à la maison qu’il avait acheté une 205 d’occasion dont il avait soigné le moteur et chaussé à neuf. « Tu payeras petit à petit mais il lui faut une voiture puisqu’il a son permis ! » me déclara-t-il. Tout était conclu entre lui et lui, je n’avais plus mon mot à dire.

Sa fille Agnès souhaitait qu’Annie mon épouse soit sa marraine de confirmation. Ce fut une journée mémorable dans l’église de Versailles avec un prêtre brésilien. Tout le monde parlait portugais, j’étais perdu. Je m’étais installé sur un banc juste derrière un pilier, Francis assis à ma droite. Je suivais le mouvement général. Je me levais lorsque tout le monde se levait, je ne me signais pas car je ne suis pas croyant… A un moment de la cérémonie, une dame se tourna vers moi et me tendit la main. J’ignorais pourquoi, c’était un rituel. Pris de court, je lui serrai la main chaleureusement en lui disant « Oh mi, vous êtes là, bonjour ! » Francis éclata de rire et Annie aussi. A la fin de la messe, le prêtre nous demanda des explications.
Le repas de midi, exclusivement portugais, fut pris dans un restaurant réservé pour nous, nous étions huit., la fête se poursuivit très tard chez notre ami friand de crevettes fraîches, il en servait plus que de raison. Son épouse Louisa excellait en cuisine, j’ai bien apprécié ses frites présentées en montagne avec de la morue, les moules marinières sautées avec du chorizo et accompagnées de vino verde…

Alexandre, se montrait très assidu à la pétanque, j’imagine qu’il est devenu bon joueur également, il était à bonne école.

Lorsque vint le temps de quitter la région parisienne pour retourner en Corse, c’est en lui disant adieu sur le terrain de pétanque que j’ai craqué et cela ne m’est arrivé avec personne d’autre. Nous étions devenus amis par la force des circonstances, presque sans le savoir. Une amitié réelle, finalement une amitié tacite. Ce sont ces moments de séparation définitive qui vous le révèlent.

Cela faisait 21 ans qu’il était à Versailles et ce jour, il me dit : « Que vais-je faire maintenant ? Puisque tu pars, je m’en vais aussi. »

Le soir, alors que nous nous apprêtions à dormir par terre, il n’y avait plus rien dans l’appartement, Francisco est arrivé avec des boissons et des couvertures : « Je veux rester encore un peu avec vous, avant votre départ ».
Il est rentré chez lui vers 3 heures du matin.

Un mois plus tard, Francisco et sa famille regagnaient leur Portugal natal.

Il y a bien plus à raconter de notre histoire, je voulais par ces quelques évocations, saluer le retour de Francisco. Je l’imagine en lisant ces lignes, le regard perdu dans le passé et le sourire aux lèvres…
Je te salue cher ami Francisco !

Image dans le titre.

Nous étions en demi-finale d’un concours et nous menions 12 à 8 lorsque le tireur adverse, sur une dernière frappe malheureuse, déplaça le bouchon qui nous offrait la victoire. Magnanime, Francis ne voulait pas gagner de la sorte sur un coup d’bol. Il demanda à annuler la mène et nous poursuivîmes la partie. Trois mènes plus tard nous étions éliminés.

T’en souviens-tu Francisco ?
Tu étais coutumier du fait, tu voulais toujours gagner à la loyale… 🙂

Magnanime = chevaleresque, qui a le caractère héroïque et généreux des anciens chevaliers.

1 Comment

  1. Belle histoire, il n’y a pas de hasard, vous deviez vous retrouver!
    Ma meilleure amie était portugaise, je reconnais en votre ami la générosité et la lumière de ce peuple courageux et brave.
    J’espère que la vie vous réunira vraiment un jour ou l’autre.

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