A l’oubli.
Pierrot a traversé le temps.
Encore mince et alerte, toujours ingambe, il courait la campagne, arpentait les champs, il y a juste quelques mois, seulement.
Le soleil d’automne l’a trompé.
La matinée était très chaude déjà, et la luminosité très forte. L’embobineuse clarté souriait.
Pierrot paraissait étonné lorsque sa femme ouvrit la fenêtre. Il ne comprenait plus. En quel mois sommes-nous ? Un matin de mai ?
L’herbe reverdissait dans cette humidité qui ressemble à la rosée printanière. L’homme est perdu, ses pensées flageolent, ses idées flottent dans le brouillard de sa mémoire défaillante. Il ne sait plus. Ses yeux errent dans le vague pour mieux croire ce qu’il imagine.
A-t-il encore des images ? Veut-il le printemps, cette jeunesse du temps qu’il n’a plus ?
A le voir sourire, à le voir regarder sans voir, on devine que ses idées ne sont plus des idées.
Son regard est dans la brume, il ne discerne plus rien et sourit aux anges, parfois il rit. Son sourire n’est plus une offrande à l’autre, il voyage dans une lointaine galaxie. Il vole là-bas.
Dans quel là-bas s’est-il égaré ? Je n’en sais rien.
Ses étoiles, peut-être son soleil ou simplement ses nuages agitent un rideau de bruine.
Je crois bien que ses idées sont parties visiter des mondes aux confins de l’homme, dont on ne parle jamais.
Son esprit s’en est allé.
Il ne dit rien ou mâchouille quelques mots inaudibles, insensés.
Lui seul voit ces ailleurs, lui seul leur parle en silence, lui seul sait leur offrir la douceur.
Il ne sait plus qui nous sommes et dans son monde secret, il semble heureux…
Dans quel univers s’est-il perdu ?
Sait-il toujours qu’hier encore, il nous aimait ?
Pierrot a oublié sa maison. Il s’assoit là où on le pose.
S’il se lève, il ne sait plus quoi faire ni où aller. Il promène ses pas, ou peut-être est-il déplacé par ses pas qui le conduisent au hasard, son esprit ne dirige plus rien, mu par une force invisible qui a pris le pouvoir dans sa tête.
Débranché.
Ses neurones sont en vadrouille, les synapses déconnectées, le sensé ne trouve plus le chemin. L’anarchie s’est installée dans son esprit, une autre logique, sans doute.
Pierrot est revenu à ses premiers balbutiements de tout jeune enfant mais sa marge de progression est nulle, plate.
Il progresse à l’envers, file vers la fin avec l’âme innocente d’un début de vie.
Il s’éteint sans le savoir et sans prévenir les siens.
A flanc de colline, sa petite maison est isolée.
Cet homme était paysan. Cet homme était écrivain.
La nature était son univers.
Il devinait le temps, il savait le champignon, il courait le maquis, photographiait le genêt, la bruyère, le ciste ou le lentisque.
Son jardin chantait et les oiseaux étaient ses amis. Ils gazouillaient pour lui.
Pour réussir ses plantations, il écoutait son amie la lune et respectait les saisons.
En ce matin d’automne, sous un soleil radieux, il a roulé sur la pente, cabriolant comme l’aurait fait un enfant.
Les pâquerettes d’une fin d’octobre encore chaud lui ont fait croire au renouveau du temps…
Missiau s’était perdu dans le paradis de l’oubli dont je tairai le nom.
Ce matin, Pierrot s’est trompé de printemps.
Je redoute qu’un jour, je me trompe de printemps.
Perdre le sens de la vie en entrainant celle des proches vers un enfer indomptable, m’est insupportable…
Ceci est une demande, je ne veux pas m’enfermer dans la vie qui n’existe plus et étouffer celle des autres.
Envoyez-moi dans les étoiles et si vous pensez à moi, de là-bas, je saurai vous parler.
Emmenez-moi au bout de l’ici pour rendre à mon entourage son maintenant tranquille.
Ne m’enfermez pas dans un EHPAD, vos risettes ne serviront à rien, je sais que vous ferez semblant espérant une lueur qui ne viendra pas…
Epargnez-moi l’antichambre de la mort, je la veux rapide puisque tout est fini.
Et… vivez tranquilles, un jour viendra, je vous attendrai là-bas.
Oui c’est triste, mais vous savez, même si cela fait de la peine à l’entourage, on s’adapte. Je peux en parler pour l’avoir vécu avec ma mère. Je la considérais comme différente tout simplement mais avec le droit de vivre, même si elle ne se ressemblait plus. Et quand j’arrivais à la faire sourire ne serait-ce qu’une fois dans la journée, j’estimais que ça valait le coup. C’est une autre vie qu’il faut accepter, d’abord parce qu’on ne sait rien de ce qu’il perçoivent de la réalité, de leurs joies et de leurs tristesses, ensuite parce qu’on continue à les aimer…
Intitulé « La froideur de l’océan » dans un premier temps.
https://simonu.home.blog/2019/09/30/une-fin-de-vie/
Oui, je comprends cela, c’est un point de vue respectable et qu’il faut respecter.
Avec mon goût pour la notion de temps, je préfère épargner cet épisode…
Sujet difficile. 🙂