Un matin d’automne à la campagne.

C’était un jour radieux. Le soleil resplendissait de bon matin comme si l’été faisait un remplacement pour donner à l’automne sa journée de vacances afin de mieux préparer ses brumes et son crachin. Quelques moucherons égarés stationnaient au-dessus de la vigne vierge un peu rougie.
L’air déjà chaud comme une aube estivale promettait une journée à bras de chemise. Une fumée hésitante, presque nonchalante rasait le maquis, montait de la vallée. Des jardiniers invisibles pratiquaient un écobuage matinal pensant aux semailles printanières encore lointaines…

Ecobuage.

La maison était calme, la fenêtre de la salle à manger largement ouverte, offrait son bâillement à des fines particules qui dansaient dans un rayon de soleil. Une poussière s’échappait de la salle sous l’effet d’une brise légère entrée par la porte entrebâillée. Un petit courant d’air faisait le ménage dans la maison.
Soudain, une voix d’enfant jeta par la fenêtre quelques mots dansants qui rebondissaient sur les vitres cherchant un son sec et cristallin :

Un écureuil sur la bruyère,
Se lave avec de la lumière.
Une feuille morte descend,
Doucement portée par le vent.

Je m’étais adossé au mur de la maison pour entendre la chanson.
Un gobemouche rieur s’était posté sur la barrière.
Je devinais à ses hochements de queue inhabituels qu’il me regardait d’un air curieux presque moqueur, j’en ignorais la raison. Puis une nouvelle salve de mots rythmés s’échappa de la salle à manger :

Et le vent balance la feuille
Juste au-dessus de l’écureuil ;
Le vent attend pour la poser
Légèrement sur la bruyère,
Que l’écureuil soit remonté
Sur le chêne de la clairière
Où il aime à se balancer
Comme une feuille de lumière.

La voix se fit plus percutante et moins chantante comme une signature griffonnée prestement : Maurice Carême !

Anna Livia mémorisait sa récitation, elle y mettait toute sa mémoire, toute sa conviction avant de filer sous le noyer.
Elle attendait ce moment car dans la nuit, passablement secoué par un vent plus soutenu, l’arbre s’était délesté de ses premières noix. C’est le hérisson qui nous a raconté : « Ploc ! Ploc ! Ploc ! Les trois premières noix ont lâché prise et sont tombées juste sous mon nez. »

Il y a bien longtemps que je n’ai entendu la douce chanson d’un écolier qui repasse ses leçons.
J’ai fait un bond dans le temps des récitations.
C’est une vieille affaire, celles d’aujourd’hui sont moins poétiques et le cadre de moins en moins bucolique…

Et puis un autre, pour dire qu’il est encore temps :

Aux champs

Je me penche attendri sur les bois et les eaux,
Rêveur, grand-père aussi des fleurs et des oiseaux ;
J’ai la pitié sacrée et profonde des choses ;
J’empêche les enfants de maltraiter les roses ;
Je dis : N’effarez point la plante et l’animal ;
Riez sans faire peur, jouez sans faire mal.
Jeanne et Georges, fronts purs, prunelles éblouies,
Rayonnent au milieu des fleurs épanouies …

Extrait. Victor Hugo
Toute de La Lyre (1888-1893)

Ce texte s’adresse à des adultes, les mots expliqués plus bas, l’ont été à la demande d’Anna Livia pour éclairer les enfants. C’est elle qui a fait le choix.

*Un jour radieux = un jour souriant (beau soleil)
*Crachin = pluie fine
*Une journée à bras de chemise = Il fait chaud, on retrousse ses manches pour avoir moins chaud
*Nonchalant/Nonchalante = Attitude qui manque de vigueur, molle, qui traîne
*Un écobuage = On nettoie le jardin en brûlant les herbes sèches
*Semailles = semer des graines
*Des fines particules = de la poussière
*La porte entrebâillée = entrouverte
*Un son cristallin = comme un son de verre de cristal
*Adossé au mur = le dos contre le mur
*Une salve de mots = une rafale de mots, une série de mots répétés rapidement
*Bucolique = côté poétique de la campagne

2 Comments

  1. Petit, on parle surtout avec les gestes, avec le corps.
    Puis peu à peu les gestes s’aguerrissent et les mots s’enrichissent de nouveaux complices.
    Au début de l’âge adulte, les voix du corps et du verbe se complètent et se magnifient
    Point n’est d’ailleurs besoin nécessairement d’un registre savant.
    Souvenons nous pour l’illustrer de Gabin disant à Morgan « t’as de beaux yeux tu sais »,
    Puis le corps laisse peu à peu la place au verbe qui se polit et s’enrichit encore.
    Outre qu’on les utilise mieux, il semblerait même qu’ils aient plus de goût.
    Heureuse compensation à l’usure du geste.
    C’est pas mal non plus la caresse des mots, fussent ils dans un souffle.
    Ce texte « Gobe-mots » est un manifeste
    A te relire

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