La magicienne.

Un exercice de style. Un temps déjà ancien comme j’aime à le relater.
Le passé ne se regrette pas, ça se célèbre ou ça se tait.

Je vous parle d’un temps reculé. Aujourd’hui, on se ferait siffler, pis encore, on risque l’amende et la vindicte populaire.
A chaque époque son éthique et ses tics.

Je n’étais pas le seul. Nous sortions de notre trou, c’était le terme consacré, un coin de campagne perdu, pour découvrir le monde. C’était une autre fonction de l’aventure universitaire hors de nos bases, chacun en profitait largement pour s’éclater, une expression qui n’était pas encore commune à cette période.

Sous les lumières niçoises, le « Psychédélic » et le « Ranch’O » nous étourdissaient, puis nous allions pisser au Negresco dans la partie accessible au public tout venant. C’était le grand luxe et dès que nous entrions dans les toilettes immenses, d’une propreté irréprochable, nous marchions sur une dalle mobile qui actionnait instantanément des cascades le long des parois. Le décor lumineux de mille et une nuit nous impressionnait et nous amusait beaucoup, alors nous rebelotions volontiers. L’un d’entre nous avait trouvé incidemment cet amusement qui nous donnait soif souvent et l’envie de faire pipi tout aussi pressante. Nous y allions tant pour l’enchantement que pour fréquenter un milieu très éloigné du nôtre, infiniment lointain.

Notre petit secret, c’était l’initiation aux plaisirs de la chair. Tout neufs encore, totalement innocents, nous allions à bonne école. J’étais sans le sou et j’accompagnais mon ami qui de temps en temps me payait un tour de manège à condition de le laisser choisir d’abord. On finissait par se fidéliser, le temps de l’apprentissage, afin de monter en grade sans être intimidé à chaque essai.

Vous imaginez que je n’étais pas le fier à bras la première fois, ni les autres d’ailleurs. La jeune dame très haute sur sabots, la selle de cuir noir au ras des fesses, une magnifique jument baie brune, alors que mon ami avait choisi une alezane dont la crinière affichait une dominante blond pâle. A côté de ces juments racées, nous faisions figure de jockeys débutants aux casaques peu reluisantes. Le premier soir, j’étais dans mes petits souliers peu rassuré, presque sur le point de fuir. C’était elle qui prenait les choses en main dès la toilette et pour cela, elle était très experte. Nous étions son gagne-luxe mais elle n’avait pas l’intention de se laisser attendrir en perdant son temps avec les timorés que nous étions. Un peu perdu, je me laissais guider, la virtuose savait comment accélérer les choses. Sans attendre, elle avalait le chamallow tout mou de timidité et en quelques secondes, en ressortait un sucre d’orge bien droit, gorgé de liqueur prête à jaillir comme un geyser. Alors, elle se mettait à califourchon provoquant presque instantanément un feu d’artifice inouï qui giclait des étoiles partout, en visite au septième ciel. Elle sentait l’explosion imminente et réussissait son tour de magie à chaque fois, nous ne comprenions jamais comment elle s’y prenait pour nous transporter si loin en si peu de temps. Nous en parlions après coup, nous étions, quelques minots, dans le même cas de figure mais pas avec la même personne. Elles pullulaient dans la rue de France.

On cherchait la parade pour la fois suivante. Certains pratiquaient l’onanisme sur la plage, juste avant la nouvelle aventure croyant durer plus longtemps et finissaient toujours par renoncer car les batteries à plat demandaient à être rechargées pour retrouver l’envie et l’énergie. L’exercice était difficile et emportait la motivation au bout de l’effort. C’est ainsi qu’ils gagnaient de l’argent en s’abstenant… La meilleure solution était la fidélisation. Après deux ou trois tours de manège trop rapide, nous avions le courage de demander plus de temps. Alors, jouant le jeu, elle surveillait nos réactions et temporisait un peu, puis repartait en regardant droit dans les yeux : « Exprime-toi ! Je ne veux plus de ah ! ah ! ah ! timides, je veux des Ah ! Ah ! Ah ! de ténor ! » C’était impressionnant tout en rythme bien cadencé et bien maîtrisé.

La magicienne nous apprenait à nous contrôler et nous connaître mieux, sans avoir l’air de donner des leçons… A sa façon, une sorte de Laurette, notre Laurette à nous. Au bout de quelques séances, nous étions prêts pour les conquêtes et faire connaissance approfondie avec les copines… du moins le croyions-nous.
Leur conquête était infiniment plus difficile, plus longue mais moins onéreuse.

Finalement, la bohème n’était qu’un leurre, on s’imaginait des raisons pour justifier nos frasques, on se remplissait de hardiesse comme les jeunes coqs cherchent leur place dans la basse-cour en battant des ailes, se hissant plus haut que les autres et dressant les ergots.

Mais dieu qu’il était bon de chanter « cocorico » dans la nuit étoilée !

2 Comments

  1. Ha ha! Je rigole encore de vous avoir dit que j’avais rendez-vous avec la magicienne 😉 je ne savais pas de quoi je parlais.
    Vous faites partie de ces personnes qui peuvent parler de tout sans jamais être vulgaire, ce récit souriant, mine de rien est plein de tendresse et d’humour. Pisser au Negresco, j’avoue que l’anecdote est savoureuse.
    J’aime beaucoup votre phrase: « Le passé ça ne se regrette pas, ça se célèbre ou ça se tait ».
    Continuez à célébrer cher Simonu.

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