Le soleil inondait le funérarium de sa lumière presque orangée d’un début d’hiver. L’air était légèrement frisquet. La pendule de l’établissement affichait quinze heures. Le cortège de voitures venait de démarrer en direction du village.
Après la traversée de la ville, le convoi s’engagea sur la route qui serpentait vers la région des châtaigniers. Le soleil déjà bas, pianotait sur les futs dépourvus de branchages, dressés comme des barreaux. Il jouait sa musique de lumière aveuglante et sans son, apparaissant puis disparaissant jusqu’au virage qui changea la direction du trajet. Nous étions passés de l’adret à l’ubac, les talus très humides vêtus de mousse épaisse s’étaient effondrés par endroits entraînant quelques arbres affalés dans le fossé. Une cheminée fumait, la porte close. Dans le jardinet proprement entretenu, aux planches labourées et ratissées de frais, de jeunes fruitiers étaient habillés de leur voile d’hivernage en prévision de frimas qui sévissent déjà dans les nuits d’un décembre en fuite. Quelques porcs désintéressés par notre passage, noirs pour la plupart, avaient entamé le jeu de la charrue se chamaillant ou se chahutant, le groin enfoncé dans le sol meuble pour déterrer quelques racines chargées de mycorhizes, sans doute alertés par l’odeur du champignon naissant. Un peu plus haut, un groupe de mulets ou de chevaux rustiques bais bruns, semblait étonné de voir passer autant de voitures sur cette route d’ordinaire peu fréquentée. Tous nous fixaient au passage, aucun n’osa lancer en notre direction le moindre braiement. Lorsque nous arrivâmes à hauteur du four à bois recouvert de lauzes, nous savions que le village n’était plus bien loin.
La place de l’église, bien trop grande pour les trois à quatre personnes qui vivent là l’hiver, sortit de sa torpeur malgré la luminosité déclinante d’une fin d’après-midi. Telle une vigie dans sa hune au bout du mat d’un bateau à voiles, le sonneur de glas s’était posté au dernier étage du clocher juste face aux cloches. Trois coups tintèrent, bien distincts, pour annoncer qu’un villageois venait de terminer sa vie. Un groupe de jeunes, sans doute ses amis, s’est approché des croque morts pour prendre le relais. Un jeune homme qui claudiquait et portait béquille s’approcha en surnombre, porta sa main sous le cercueil pour faire quelques pas avec ses copains. Le cortège s’ébranla sur un rythme lent en direction de la maison jusqu’à l’aplomb du jardin. La clôture grillagée avait été baissée, on hissa le cercueil sur le muret, la fosse était toute proche.
Les cloches tintèrent à nouveau sur le même rythme lent, les accompagnants se recueillirent un instant puis commença la longue valse des pelles. On entendait le bruit du fer qui s’enfonçait dans la terre, s’entrechoquait avec les cailloux puis les pelletées s’étouffaient les unes sur les autres. Un très long silence accompagna cette cadence jusqu’au dernier coup donné à plat sur le monticule qui recouvrait la dernière demeure.
Un homme qui porte le nom et le prénom de mon grand-père git là au pied du pommier. Son bisaïeul repose à l’autre bout de la Corse dans le cimetière de Lévie.
Le soleil déclinait derrière la montagne et tirait ses derniers rayons devenus faiblards. La nuit n’allait pas tarder à tomber sur Monaccia d’Orezza, le premier jour s’achevait ouvrant la voie à l’éternité.
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La fusion avec la terre qui l’a porté est désormais totale. Nous parlant d’elle, du village, des jeunes gens, tu nous a parlé de lui semble-t-il.