Vaincu par les broussailles.

La vie commence ici.
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Il y a les jours heureux et puis ceux qui vous disent le vrai. Je les désigne « mauvais jours » parce qu’ils ne trichent pas. Au fond, ils ne pipent mot mais sont lourds de paroles. On s’ouvre à l’évidence. La réalité n’a pas d’états d’âme.

J’ai réalisé mon rêve. Largement. Je l’ai réalisé parce que je ne visais pas les montagnes. Une pente recouverte de maquis de quelques centaines de mètres carrés seulement. Suffisamment pour comprendre ce que mon père a vécu en trimant dans le jardin des autres. Lorsque certains rêvent d’or, de maison plus belle que celle du voisin, de piscine presque olympique… je lorgne vers les bêches, les pioches et les râteaux. J’ai bataillé pour réaliser des planches cultivables, j’ai connu de belles récoltes. Mes figuiers sont adultes et me fournissent en fruits sucrés pour des tartes savoureuses sans édulcorant. Ma vigne regorge de raisin de table que je partage avec les guêpes et les oiseaux, avec « qui n’en veut ». Lorsque le brou n’en peut plus de vieillir et craque en ouvrant sa prison, mon noyer s’amuse, l’automne venu, à jeter ses coques dans le bassin : « Tiens, va chercher celle-là dans l’eau ! »

Cent fois sur le métier, j’ai remis l’ouvrage. Cent fois la nature a rechigné. Cent fois, j’ai insisté avec le goût de la belle ouvrage et l’envie de recommencer.

Quel plus beau plaisir que de passer à table avec une grosse tomate du jardin, fraîchement cueillie qui ne demande qu’un peu de sel et de poivre ? Qui dégouline, à la croque, sur le menton, qui éclabousse le palais de jets goûteux, et enchante les papilles. On ferme les yeux et l’envie de salades plus élaborées bondit à l’esprit. De l’oignon rouge doux coupé en cerceaux, du basilic, des olives, des œufs durs parfois, quelques anchois câprés ou non, et la bonne huile d’olive que l’on dit vierge pour apaiser les gourmands. Le concombre est jaloux, il veut sa place aussi. La courgette et l’aubergine au ventre bien rebondi vous parlent de farces, de gratins parmesans, de façon bonifacienne et lorsque le poivron et la tomate s’en mêlent, vous ratatouillez. Une ratatouille généreuse, sans trop d’humidité, bien sèche qui réclame d’être réchauffée, elle se sait meilleure. Quelques pommes de terre nouvelles, fermes à la cuisson, voisinant celles qui s’effondrent en purée, une courgette, pas trop, coupée en gros morceaux et des haricots mange-tout… Un petit monde potager qui poupoute dans une eau frémissante salée. Rien d’autre sinon l’attente d’une lente cuisson. Tous ces légumes ont fondu, quelques morceaux surnagent, on laisse refroidir. Ce soir à la Zinella, pour aiguiser l’appétit, une bonne sauce pistou, servie à convenance avec la soupe froide, aillera la langue pour préparer le moment des grillades. Le rosé et le rouge nous feront chanter à la belle étoile, ils nous raconteront le monde à leur façon pour que chacun y mette son grain de folie, sa vision subjective agrémentée de vapeurs… Un monde qu’il faudra refaire demain comme des Sisyphe sous la tonnelle.

Voilà mon bonheur, celui que j’offre à ceux qui veulent bien partager.

J’étais heureux.

Ce matin, je rendais visite à mes plantations, je suis passé à côté d’Ange, grand manieur de faucille et de serpe, autant que de plume en langue corse, il préfére travailler à l’ancienne pour être plus près encore des sensations. Il ne m’a pas vu, il avait abattu un travail colossal. L’endroit avait repris sa respiration. Une impression d’ouverture de poumons, les figuiers tondus de neuf à leur base, sauvageons sectionnés, le romarin rafraîchi. Le laurier sauce semblait plus élégant, plus élancé débarrassé de la vitalba et de la garance voyageuse lancées à sa conquête. A l’aube encore, il étouffait, pris à la gorge. Les cerisiers et le jujubier conversaient de nouveau. Pourtant voisins depuis belle lurette, ils s’ignoraient, voilés par le chèvrefeuille devenu envahissant. La vigne dressait ses tiges nouvelles vers le ciel en exhibant à qui voulait bien regarder, ses grappillons orgueilleux déjà prometteurs. Un jardin tout neuf débarrassé de ses tifs ébouriffés partis à l’assaut du potager.

L’endroit était transformé. Je me suis arrêté un instant, la nature presque sortant de chez le coiffeur, m’a fait comprendre sans rien dire : « Ô Simò se leccu ! » (Simon, tu es cuit !)

J’ai réalisé mon rêve et au réveil, le rêve est terminé. La solidarité n’est plus ce qu’elle était, le troc n’existe pas et plus personne n’ose affronter un terrain pentu. Même domestiqué. Les outils de jardinage font partie du passé, place aux engins thermiques. On ne connaît plus que la débroussailleuse qui rase tout et flagelle le tronc des arbres. Les hérissons et les tortues n’ont pas le temps de fuir, la faucheuse mécanique arrache tout sur son passage sans prévenir. L’herbe est rase, le merle ira nicher ailleurs…

Vaincu par les broussailles, je crois que c’est fini. La nature a horreur du vide et remplit inlassablement le temps qui passe.

Sans doute une autre vie m’attend. Je ne sais pas encore, il faut que je m’y fasse.

Je n’oublierai pas le temps des broussailles.

J’ai rangé la faucille et la serfouette,
La pioche, la houe et la serpette.
Arrivé au bout du temps des alouettes,
J’irai vivre en secret d’autres amourettes.

Fini ?
Non ! Merci !

Chats des jardins.
Une désignation toute personnelle et qui donc n’existe pas. Les chats harets devenus sauvages par marronnage, c’est à dire après abandon ou échappés, se sont reproduits en liberté donnant naissance aux chats des jardins (mi harets, mi sauvages) qui ne renoncent pas à la vie près des maisons.

2 Comments

  1. Parfois, nous lisons des réflexions, des témoignages qui disent nos états d’âme mieux que nous le ferions . En voici un. S’il traite de jardin et du travail de la terre il pourrait être la métaphore désespérante de nos engagements politiques, sociaux voire familiaux.
    Pourtant demain nous reprendrons la bêche, la parole, notre part des tâches domestiques, comme pour conjurer la camarde et célébrer la vie.

    1. Comme tu dis, Gaëtan, conjurer la camarde, célébrer encore la vie qui s’essouffle pourtant. Et puis l’indifférence ou les sourires narquois, ces autres encore jeunes qui ne savent pas que le temps les guette aussi. Ça va vite, on n’aura fait que passer… tout le monde passe. Dommage qu’on ne comprenne toujours que très, trop tard. Il y a tant de plaisir et d’amitié à se donner… Merci pour ton suivi.

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