La salle d’attente.

Je me trouvais dans la salle d’attente du centre médical villageois. Le genre de salle que l’on croirait inventée par les médecins pour faire patienter et bousculer les heures de rendez-vous. Il y a toujours un cas urgent, une connaissance qui passe à la sauvette. C’était le cas ce jour-là mais bon, que voulez-vous faire contre cela ? On patiente et on fait honneur à la salle si bien nommée.

J’ai connu l’endroit lorsque j’étais enfant. Une grande maison à la sortie du village, qui abritait une famille de parents. Des paysans qui cultivaient en métayage une étendue de jardins, élevaient quelques porcs, quelques poules, quelques chèvres et qui payaient quelques amendes à la maréchaussée lorsque les caprins divaguaient hors du champ qui leur était réservé. Ils rechignaient à peine, juste pour montrer qu’ils étaient vivants et s’acquittaient du billet en réprimandant la chèvre responsable, devant le chef de gendarmerie pour qu’elle ne recommence plus. «  Tu vois ce que tu nous coûtes ! Demain tu seras entravée, voilà imbécile ! » Le chef restait de marbre sans relever le trait d’humour qui lui était destiné plus qu’à la bête. Ils n’en pouvaient plus d’être constamment dans le collimateur des pandores. Bref une vie banale vue de loin mais très laborieuse et peu réjouissante vue de plus près. Des gens sans histoire c’est-à-dire avec une histoire cachée entre pauvreté et souffrance quotidienne. Le plus amusant dans l’affaire est que dans l’attente de la rénovation de la bâtisse, le cabinet médical fut installé dans le presbytère juste à côté de l’église comme si l’on avait voulu passer de la main de Dieu à celle de l’homme. Naguère le curé s’occupait des âmes, le docteur des corps. Une sympathique transition en attendant mieux et plus grand.

C’était la première fois que je me trouvais dans cet endroit flambant neuf.

Dès l’entrée, on découvre un mélange d’ancien et de moderne avec portes et fenêtres aux matériaux récents. On pénètre dans un vestibule semblable à un sas de banque puis dans un espace tout blanc qui trahit le médical à défaut de sous-préfecture nouvellement implantée ici. Une petite hésitation et on devine l’emplacement de la salle d’attente sans passer par le secrétariat très discret.

J’étais assis dans la pièce de patience. Outre le blanc éclatant neuf, j’avais remarqué un nombre impressionnant de prises électriques, onze, si j’ai bien compté. Sont-elles ici, si nombreuses, en prévision d’un monde muni de portables capables de vaciller sans prévenir ? On peut tout imaginer. Le temps perdu à attendre fait cogiter en ignorant si la direction est bonne, fallacieuse ou carrément absurde. Dans le coin qui me faisait face, une ouverture sans huis menait à une sorte de réservé comme une salle pour patient couché. Elle abritait un lit médicalisé sur roulettes, peut-être une table de massage, je ne me suis pas attardé pour en savoir davantage. Le mur de séparation n’avait rien d’une cloison. Il mesurait sans doute entre soixante-dix et un mètre d’épaisseur, c’était le seul indice intérieur d’une construction très ancienne.

A ma gauche, la fenêtre jetait dans tout l’espace une belle lumière d’un début d’après-midi largement ensoleillé. Les murs intérieurs avaient gardé leur rusticité d’origine. Aucun n’était lisse, le maçon de service était allé au plus simple en amplifiant tous les défauts existant pour mieux les camoufler. Les parois semblaient recouvertes d’une sorte de blanc d’œuf monté en neige ou de chantilly meringuée à très petite chaleur pour figer les pointes sans les brûler. Tout était gondolé sans fioriture calculée, comme ça venait, laissant çà et là des ombres plus ou moins portées selon l’amplitude des reliefs.

Depuis un moment, je fixais un endroit précis, n’ayant rien d’autre à faire, d’autant que les revues posées sur la table basse semblaient dater comme s’il s’agissait d’un transfert d’un cabinet à l’autre. Sur le mur, quelqu’un m’ignorait royalement, le visage tourné à l’opposé. Un minois qui dégageait une certaine tristesse, sans doute une âme qui rôde encore dans les parages, pas très heureuse de constater les changements. Cette blancheur uniforme ne paraissait pas lui convenir, habituée à l’obscurité et aux recoins.

J’ai sorti mon petit compact de poche (je n’ai pas de téléphone portable) qui ne me quitte jamais pour immortaliser ce regard dirigé ailleurs dans le temps. Lorsque la lumière se fit moins nette, le visage  disparut. J’ai fait le tour de la pièce, je n’ai pas retrouvé la moindre âme en peine…

Voilà comme une simple paréidolie (une apparence qui rappelle l’humain par un jeu de lumière) vous propulse à travers les ans pour que le temps passe plus vite…

M. Simon ! C’était déjà mon tour, l’attente m’a semblé de courte durée.

 

Voici deux autres clichés pour vous faire une idée.
(Cliquez sur les images)
 

 

 

2 Comments

  1. Cette salle d’attente ne donne pas envie mais quelquefois on est bien obligé….j’ai encore appris un nouveau mot ;c’est toujours un bon moment de lire ta prose ! Merci et bonne soirée

  2. Les salles d’attente sont en effet un lieu propice au vagabondage de la pensée. C’est leur seule vertu.
    Celle de mon village l’a perdue (la vertu). Dévergondée par la diffusion des émissions d’une radio démago-populiste qui y interdit toute autre réaction que l’irritation la plus vive. C’est si vrai que nous en sourions, mon médecin et moi, ayant constaté que ma tension a grimpé au plus haut après qu’il m’eut libéré enfin par son salvateur « c’est votre tour, Monsieur « .

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