Lorsqu’on parvient à l’âge qui lorgne plus vers le passé que vers l’avenir, on devient plus libre. Ou du moins, si ce n’est qu’apparence, on y croit et c’est bien là l’essentiel. Le temps qui reste, de plus en plus proche de la fin, semble si précieux qu’on le gaspille sans remords comme les bulles de champagne filent vers la sortie. Elles font la fête et éclatent, puis d’autres moins vives poursuivent la farandole…. Au fond, je n’en sais rien, alors je voyage dans mes journées sans me préoccuper dans quelle extravagance je m’aventurerai demain.
Aujourd’hui, j’ai fait une découverte. Découverte ? C’est toujours magique de découvrir quelque chose mais là vous allez être surpris. Oh ! Ce n’est pas grand-chose, une de ces banalités qui courent la nature et vous étonnent parce que vous avez envie d’être ébahi sans aller jusqu’à la stupéfaction ou tomber à la renverse… un petit étonnement me suffit.
Il y a quelques petites années, j’avais installé un nichoir derrière la cabane bleue. C’était au temps de mes premiers amusements avec les oiseaux. D’abord avec le rouge-gorge qui se prêtait facilement à mes facéties allant jusqu’à poser sur une pancarte qui portait son nom. En fait, il se postait là en guettant le lombric qui venait gesticuler à la surface d’un labour, sous l’effet de la bêche. Il le sifflait comme un spaghetto puis regagnait l’observatoire fraîchement érigé par mes soins. Je composais ainsi mes scènes de photographie. Mon espièglerie de grand-père me poussait à confectionner des nichoirs avec des annonces bien ostentatoires pour que les passereaux des jardins et les rares personnes de passage par chez moi, ne puissent louper la lecture. J’avais inscrit en lettres capitales, c’est plus commode à lire lorsqu’on annone : « Couvaison 2001. A louer, 300 cm2 habitables »* C’était gratuit, je me payais en photographies avec les allées et venues en période de nourrissage surtout. Après avoir fait le tour de la maison pour changer les orientations des postes d’observation, je m’étais un peu lassé. Je crois que cette lassitude m’étais venue de deux années blanches. J’ai compris plus tard que ma dernière réalisation n’était pas convenable. N’est pas architecte en nichoir qui veut, il y a des règles à respecter.
Un jour, après Noël, il me restait la caisse d’un grand cru bordelais, un Graves, je pense. Sans doute un Château Lutèce ou Cadillac. Aussitôt, j’eus des idées de grandeur. Imaginez un nichoir estampillé « Château » ! Quelle fierté pour la mésange. Mais là encore, j’avais dû commettre une erreur. J’avais pensé trop bourgeois. Les oiseaux de la campagne, comme moi d’ailleurs, s’en fichent des tralalas. Cela ne me ressemble pas et ne peut donc coller. J’avais visé trop grand, un duplex avec deux entrées. Une au nord, l’autre au sud, deux pièces séparées par une cloison. Je voulais faire d’une caisse deux coups. Eh bien rien ! Depuis cette construction plus rien, pas un locataire en vue, c’était la faillite de mes idées. Bah ! Je m’étais résolu à l’affaire jusqu’à l’oubli. Le duplex prenait de l’âge comme moi. Il subissait les intempéries, son bois se voutait, se noircissait et les planchettes gondolées se disjoignaient. Il y a tout juste deux jours, en passant sous le forsythia, j’ai remarqué que la façade ouest de l’entrée nord avait été arrachée par le vent et la pièce complètement vide témoignait qu’aucun oisillon n’avait séjourné ici. Comme je suis un peu conservateur, je n’ai touché à rien. Je vous jure que j’ai pensé que peut-être un jour… sait-on jamais. Je me suis éloigné avec cette idée en tête.
Ce matin, je nettoyais le coin, désherbant autour de la cabane bleue électrique. J’entendais des piaillements de colère, insistants, parfois menaçants comme si ma présence était contestée. Je voyais bien qu’une agitation inhabituelle secouait les feuilles du forsythia. La mésange bleue tempêtait en voletant sur place, venait presque me réprimander sous le nez. J’ai compris la bonne nouvelle, je me suis posté un peu plus loin pour observer la scène. Sans trop attendre, le volatile à tête d’azur, s’est placé sur le perchoir et presque aussitôt s’est engouffré dans sa cabane. Après quelques allées et venues, j’ai compris que la vie était de retour derrière le forsythia et la maisonnette couleur ciel.
Probablement, les oiseaux n’aiment pas la cohabitation et boudaient le duplex. Ils ont un impératif instinctif, celui de disposer d’un territoire de chasse suffisamment vaste pour le nourrissage de la progéniture. Deux familles, c’est sans doute une de trop.
J’étais content comme un enfant qui découvre une leçon de choses, une leçon de vie ordinaire… la mésange semblait m’observer à travers son hublot, hésitant à sortir. Une nouvelle aventure commence derrière le forsythia. Cet hiver, la nichée viendra farfouiller dans les capsules sèches gorgées de graines de mes althéas. Je serai prêt pour une nouvelle séance de photos, bien à l’abri derrière ma fenêtre. Nous converserons ainsi, je rêverai encore un peu… Mais là, je ne commande rien, le temps aura effacé quelques mois de plus, il me dira…
*C’est un exemple d’écriteau, je ne me souviens plus ni de l’année, ni de la surface habitable.
Elle construit son nid, de belles images m’attendent…
Voici les tri et bisaïeuls des mésanges charbonnières qui nichent dans les alentours
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