Ou raccourci et regard simpliste sur l’éducation. (voilà c’est fait)
Il ne s’agit pas de la chanson interprétée par Jean Ferrat : « La mer sans arrêt roulait ses galets… » mais de deux enfants qui traînaient leur galère. Deux adolescents, un garçon, une fille en mal de vivre dans leur famille en partance pour Beyrouth , rejoignaient la capitale libanaise pour trouver un peu d’équilibre, de normalité.
En état de désadaptation dans leur famille et leur environnement social, ils se rendaient sans grande conviction voir ailleurs s’ils y étaient. Ces « sauvageons » comme les aurait qualifié J.P Chevènement, débarquèrent dans une famille de six personnes. Une famille unie, simple, normale. Là on y mangeait à table, écoutait, respectait l’autre. Dans un pays presque révélateur avec des lits pour dormir et des bancs pour s’assoir : le Liban.
Déstabilisée par le comportement de deux enfants accros à la cigarette, qui existaient sans savoir que l’autre existe aussi, cette famille a failli capituler dès le premier jour.L’école a vite recadré le garçon capable de désorganiser toute une classe : « on se passera de votre présence si… » lui dit-on élégamment. La société lui rappelait qu’elle avait besoin de règles pour fonctionner et entendait bien les lui imposer.
Chez nous les basta, ça suffit, stop, arrête, sont trop secs et trop stériles. Il faut chercher à comprendre des choses évidentes et ces quelques lignes seront vite taxées de simplisme.Au bout d’une semaine nos rebelles sont retournés dans leur famille, presque neufs. Leur trouble affectif revenu à la surface à la faveur d’un courrier maternel.
Ce retour au pays des Lumières, dans le foyer familial n’allait-il pas provoquer la rechute ? Une semaine, si peu de temps, les dégâts n’en paraissaient que plus inacceptables. J’aimerai bien connaître la suite.
Ce reportage mettant en lumière un autre mode de vie, a fait ressurgir de ma mémoire l’histoire du petit François.
J’ai été témoin de son évolution durant deux ans.
Il était « suivi » comme on dit, deux heures par semaine pour l’écouter et le comprendre, évoluant le reste du temps en liberté avec sa mère.Le suivi l’avait singularisé renforçant par contraste le goût de l’aventure.
Je l’avais nommé « le roitelet », voici une partie de son histoire.
S’il n’avait été si minuscule avec sa houppette blonde pour ressembler à son idole Tintin, on l’aurait appelé « le pacha » ou le « mandarin ». Tout se passait avec lui, comme si le temps était suspendu afin que ses bras et ses jambes restassent petits, inadaptés aux tâches profanes. Sa mère l’avait tant couvé pour en faire un objet de culte qu’il semblait fragile, presque transparent. Toujours à la dernière mode, pomponné, enjolivé, adoré, le roitelet régnait sur sa maman mais semblait complètement dépaysé, totalement inadapté face aux premiers apprentissages scolaires. Ses petites mains soignées n’osaient pas ôter le blouson qu’il préférait garder sur lui de peur de ne plus savoir le remettre. Ses petites jambes trottaient menu, juste ce qu’il faut pour se mouvoir utilement, habitué qu’il était à être transporté sur un plateau * jusqu’à la porte de l’école tel un apprenti pharaon. Lorsqu’il fallu tenter d’écrire des lettres, celles-ci avaient du mal à prendre forme car ses doigts ne parvenaient pas à faire danser le stylo au rythme de la farandole de l’écriture. Sa bouche habituée à gazouiller pour que mère puisse jouer pleinement son rôle de maman couveuse, avait gardé un « parler bébé » afin qu’aucun doute ne subsistât sur son statut de « bébé retard ». Pourtant son intelligence était certaine, son œil, tour à tour vif, inquiet, interrogateur éclairait tout ce que son corps ne pouvait exprimer. Quelque chose pétillait dans son regard comme un appel au secours car son corps carcan ne lui permettait que de voleter, alors que son esprit demandait plus d’espace pour s’envoler au royaume des oiseaux, là où l’on ne montre plus les roitelets du bout des rémiges.
· « Transporté sur un plateau » Sa mère le transportait sur un porte-bagages de vélo spécialement aménagé pour lui. Confortablement installé, François trônait à cette place, le buste droit, la tête haute, d’une immobilité pharaonique comme pour afficher la stabilité des choses. Elle le déposait devant la grille et suivait ses évolutions dans la cour, le tenant en laisse avec son cordon ombilical invisible mais d’une élasticité remarquable. Elle lui envoyait des baisers par la voie aérienne et ces derniers ricochaient sur la joue de son enfant jusqu’à ce que le rang disparaisse dans le couloir. Bien souvent François quittait ce rang précipitamment pour aller quêter un dernier baiser plus chaud dont l’effet ne s’estompait qu’à l’heure des mamans. Ainsi ce dernier tout frais puisque tout chaud, suivi d’autres plus chauds, tissait autour de lui un cocon toujours plus dense différant perpétuellement la mutation de notre chrysalide. Après un temps de gestation beaucoup trop long, un faux bourdon est sorti du cocon alors qu’on attendait un joli papillon.
Aujourd’hui François est un tyran pour sa mère.
Il a pris la trop grande place vide du père qu’il n’a pas eu… et la reine couveuse avance désormais au pas cadencé. J’ai connu le cas similaire d’un enfant unique qui faisait galérer sa mère sans que papa parvienne à contrôler la situation. Au bout de trois années de suivi, Euréka ! l’équipe de psys avait trouvé la solution : il devait partir en colonie pendant quinze jours. Ils allaient pouvoir souffler aussi. Mais ces spécialistes de l’observation et de l’écoute, n’avaient pas imaginé que c’était la mère qui aurait dû partir en colonie. Non pour se reposer, mais pour prendre de la distance, apprendre les règles de la vie en société et se construire enfin. L’enfant surfait sur cette facette savonnée.
Lorsque les flèches ratent la cible, notre ami de La Palisse affirmait qu’elles étaient passées à côté. Tiens ?
rester soit même et apprendre à lire…
Photo Simon Dominati.