PTH (2)

Rendez-vous avec le bistouri.

La soirée fut calme et la nuit n’avait aucune raison de porter conseil. J’étais totalement serein, hormis l’incertitude de l’intervention.

La seule ombre au tableau était cette chaleur étouffante qui nous obligeait à ouvrir fenêtre et porte fenêtre comme si nous nous étions en pleine canicule estivale. Tout personnel soignant qui entrait se plaignait de la chaleur mais personne ne faisait ou ne pouvait rien faire puisque un organisme privé était en charge du chauffage. De la sorte, à cause des fenêtres ouvertes, un bruit permanent de moteur de car ferry ronronna toute la nuit comme si nous avions pris le large pour une destination lointaine.

Le matin très tôt vers cinq heures, la ruche se mit à bourdonner. Le bourdon chargé de piquer se présenta à quelques centimètres de mon visage et je reconnus instantanément celui de Picasso en fin de carrière. L’homme était sympa mais pressé. Avec lui c’était, élastique, poc ! poc ! Deux chiquenaudes dans le creux du bras puis « tzang ! » il embrochait sans un mot, sans prévenir « je vais piquer ». Pas de temps à perdre, un, deux, trois flacons et s’envolait comme il était arrivé me laissant un joli tableau charbon jauni sur les bords, une vraie toile de sa période bleue. Il ne manquait que la signature sur le biceps. Après la prise de tension et de température, je ne vis plus aucune abeille dans les parages. L’attente fut un peu longue.

Vers 12 h 15, un tramway se gara près de la porte d’entrée, on me fit signe de monter à bord. Le voyage fut long dans les dédales d’un couloir sinueux qui semblait visiter tous les points cardinaux entre ascenseurs et virages nombreux. Le terminus se situait dans un endroit qui ressemblait à un hangar des Halles de Rungis avec ses séparations plastifiées que l’on ouvrait en poussant des épaules et totalement diaphanes.

A mon arrêt, une jeune et jolie personne attendait dans un fauteuil roulant mais j’ignorais s’il s’agissait d’une attente pour entrer ou sortir…

Assez vite,un autre bourdon au physique comparable à celui du matin s’affaira sur mon cas. Plutôt du genre poinçonneur des Lilas, il faisait des p’tits trous sur le dos des mains pour poser les cathéters. Il rata la première veine, la deuxième fut la bonne… et le voilà parti. Quelques secondes plus tard, une dame se présenta avec un classeur : « Bonjour monsieur, on vous opère de quoi ? La hanche ! Droite ou gauche ? Regardez, le chirurgien m’a signé un autographe hier soir, c’est la droite. Il faudra vous séparer de vos prothèses dentaires, auditives, lentilles. Je n’ai rien à vous proposer de tout ça mais tout à l’heure j’aurai sans doute une prothèse qui ne se met pas en dépôt ». Rien, pas une émotion, mission accomplie, elle fila.

Puis, ce fut la surprise du jour. Une autre dame se positionna à ma droite, s’accouda au brancard et toute proche de mon visage me dit : » C’est la bonne oreille ? » Ce fut un vrai bonheur. Le coutumier du quiproquo que je suis n’avais aucune chance d’en produire un dans ces conditions. Ne me demandez pas ce qu’elle m’a dit, je n’en sais rien, trop surpris et content qu’une personne me parle si distinctement, cela ne m’arrive pas souvent. Alors, j’étais aux anges, je les ai suivis et donc, je n’ai rien écouté.

Très vite, une personne attrapa le brancard côté pieds et nous pénétrâmes dans la salle d’opération. Un petit bloc. A la première impression, j’ai cru qu’on allait me « cryogéniser » tant il faisait froid. Trois personnes déjà présentes s’affairaient. Deux hommes portant ce qui ressemblait à une burqa verte se reconnaissaient à leurs yeux. L’anesthésiste se présenta par une tape amicale sur ma main droite puis me fit un sourire : « Tout va bien se passer » Dans un coin un peu en retrait, une femme en blouse bleue écrivait sur un cahier et donnait l’impression de finir des mots croisés ou de batailler avec un sudoku.

Juste en face de moi, le chirurgien procédait à des vérifications sur la radio. Il s’était lancé dans la géométrie comparative en présentant des gabarits de prothèses sur les images à dimensions réelles. Il cherchait l’analogie par superposition en transparence. Tantôt à gauche, tantôt à droite, il s’assurait que tout serait au mieux allant. Je ne perdais aucune miette de ce qui se jouait autour de moi. Une fois le choix défini, il prépara la prothèse adéquate. Il s’approcha de moi, me tapota le genou proche de sa main et me dit : « On y va ! » De l’autre côté l’anesthésiste procéda de la même manière : « On y va ! ». Un très court instant, j’eus l’impression que nous étions trois mousquetaires, j’ai nettement ressenti « tous pour un ». C’était magique. Puis l’homme du sommeil ouvrit les vannes des humeurs de Morphée qui se répandirent dans mes veines et très vite, je basculai dans un vide absolu. Le Néant tel que je l’imagine.

Je savais, pour avoir visionné le film de l’opération avant d’entrer en clinique, que le chirurgien allait jouer au forgeron avec scie, « érodeuse », marteau et pointeau…

Lorsque je me réveillai, j’eus l’impression que très peu de temps s’était écoulé pendant la phase d’endormissement. Tout était clair dans ma tête et je fus conduit illico vers la salle de radio. L’écran bien en vue, j’ai constaté que l’homme de l’art chirurgical avait réalisé une belle performance. Le profane que je suis, constatait la symétrie parfaite comme le placement bien équilibré de la hampe dans le fémur avec une masse uniforme de moelle de chaque côté de la prothèse.

De retour vers ma chambre, j’avais l’impression d’être heureux dans mon bus, presque en villégiature. Tout juste un vomissement intempestif, conséquence connue d’une allergie au produit antidouleur. Ce mal des transports fut vite évacué avec un changement de traitement.

Le soir, le chirurgien passa me voir. Je savais que cela se fait toujours en coup de vent, alors je surveillais le bon moment pour placer un mot : « J’ai vu les radios, c’est de la belle ouvrage, un travail d’artiste. » J’ai levé le pouce pour appuyer ma déclaration. Sans s’attarder, il m’a tamponné la jambe valide et j’ai senti qu’il était touché. En une seconde, il avait disparu : « A demain ! »

A suivre

dsc_9036Tout au bout de la ruelle, la lumière.

3 Comments

  1. Ainsi l’intérêt bienveillant porté aux gestes, attitudes, pratiques, comportement des autres contribuerait efficacement à repousser nos désagréables réticences, craintes, inquiétudes. Ainsi les signes de complicité, connivence, confiance, même contrainte induiraient-ils en retour les gestes similaires dont nous avons besoin ? Belle leçon. A te relire

  2. Très beau récit. Si Demain je dois subir , comme toi , une intervention je sais qu’il me suffira de te relire pour être moins angoissée.
    Merci Simon pour ta façon de nous décrire avec précision et une pointe d’humour les aléas de la vie.
    Je te souhaite un prompt rétablissement et un retour rapide chez toi.
    Je t’embrasse affectueusement.

  3. j’ai ri, oui j’ai ri en te lisant …juxtaposer ces deux mondes, celui où tout se fait rituellement de façon banale et mécanique, le monde ou celui  » d’en face » devient une chose « la » chose » à traiter.. et l’autre…celui qui appartient a l’autre monde…la proie! la vulnérabilité et peut être surtout le monde de celui qui à des émotions, le sens de l’analyse, de la poésie, de la réflexion…..tu me régales Simon!! vraiment!
    j’ai adoré le moment où tu relates la vision que tu renvoies à  » l’autre monde » ….c’est criant de vérité, d’autodérision, et peut être aussi d’un peu triste réalité.

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