Ce fut un morne septembre. Jacques et maman avaient le même âge et sont partis à cinq jours d’intervalle.
En revenant d’Ajaccio le jour des obsèques, j’ai vu ce coucher de soleil en entrant dans Propriano, je l’ai figé à la volée profitant d’un ralentissement sans aucune précaution. (Cliquer sur les photos)
Avec Jacques qui avait donné une direction à ma vie, nous sommes restés près de quarante-cinq ans sans nous voir. Je ne souhaitais pas le déranger. Je pensais secrètement qu’un jour nous nous reverrions.
Et cela se fit de la plus belle des manières chez lui.
Cet homme qui était parti conquérir Paris dans sa jeunesse, n’a jamais oublié son village de Lévie. Il avait une antenne dirigée sur son coin de l’Alta Rocca. Nous avions prévu de parcourir ensemble, les ruelles de son enfance et nous attendions ce moment avec une grande émotion. Hélas, la vie en a décidé autrement, elle a passé trop vite la main à l’autre, celle qui décide de tout arrêter sans aucun état d’âme.
Lors de nos retrouvailles, j’ai beaucoup appris de sa jeunesse et de celle de mon père qui était son cousin germain préféré. La réciproque était vraie aussi. Papa saluait ses élections parisiennes par des salves de mousqueton italien de la dernière guerre. Des coups saccadés tirés en l’air depuis la fenêtre de sa chambre qui annonçaient la bonne nouvelle à tout le quartier. Puis c’était la fête à la Navaggia et « i friteddi » y tenaient la vedette. Une réjouissance dont l’élu n’était pas informé, ici, l’allégresse voyage par-dessus les nuages…
Jacques et papa étaient aux antipodes l’un de l’autre. L’un instruit, devenu célèbre, l’autre avait eu son bac à la maternelle, seule classe qu’il fréquenta avant de courir après les chèvres. Des cousins qui s’aimaient et Jacques n’a jamais ignoré celui qui vivait comme un « pauvre Martin ». Sa mémoire était encore fraîche, il me rappelait leurs escapades dans les villages environnants lorsqu’il accompagnait mon père aux bals des fêtes patronales. C’est ainsi qu’il gagnait quelques sous en raflant concours de tango, de paso ou de valse. Il gardait précieusement sa chemise blanche et son pantalon noir dans une armoire et ne les sortait que les jours de compétition.
J’ai été très surpris d’entendre Jacques parler corse mieux que certaines personnes qui n’ont jamais quitté la région. Il s’exprimait en « lévianais » comme il disait, bien plus qu’en « ajaccien ». L’accent parfait, il n’avait rien perdu du vocabulaire comme s’il avait vécu en immersion permanente par ici.
Mon bonheur fut aussi, qu’il ait pu connaître mon fils qui porte nom et prénom de mon père. Je crois qu’il lui vouait une affection particulière et François aussi. Nous en parlions sur le trajet du retour au village…
Le même jour, j’ai vu le soleil couchant sur les villages jumeaux Petretu et Bichijà…
L’homme était vif, souriant et plein d’énergie. D’un optimisme peu commun tout en restant réaliste, il remplissait chaque minute de vie et savait faire compter le temps. Désormais, je garderai en moi, et la sortirai à bon escient, une expression découverte lors de notre dernière rencontre. Dans le fil des conversations, il lui arrivait d’écourter une phrase, de stopper une idée toxique d’un coup de balai verbal. C’est ainsi qu’il époussetait les choses inutiles, superfétatoires ou qui dérangent le moment joyeux. Il préférait basculer sur le bon versant des choses en écartant tout le reste d’un « Passons ! Passons ! » très révélateur de son caractère enjoué. Avec lui, le temps ne prenait que l’essentiel.
Puis, le soleil rasant sur Petretu…
Passons, passons ! Je ne passerai pas sur la dernière image. Tu étais fatigué mais gardais le sourire. Nous t’avions embrassé à la table pour que tu puisses te reposer. Lorsque nous étions en bas de l’escalier qui mène au garage, tu nous regardais en haut de la pyramide avant de nous rejoindre. Marie Chantal a placé une chaise à côté de la voiture, tu souriais encore en nous saluant de la main jusqu’à ce que nous disparaissions du champ de vision. Je n’imaginais pas que cet au-revoir était un adieu prémonitoire.
Lorsque je déambulerai dans les rues de Lévie en quête d’images, tu seras à mes côtés…Nos rencontres même tardives m’ont fait beaucoup de bien.
Nous remontions vers Lévie, Petretu allait s’endormir, tout un symbole.
J’ai encore les larmes aux yeux après avoir lu ce que tu as écrit . Beaucoup de souvenirs restent graves dans notre coeur. Ni l’eloignement ni le manque de communication ne feront oublier ces êtres chers à nos cœurs qui nous ont quittés pour toujours. Merci Simon pour tout ton savoir .