Lorsque j’ai poussé la porte bleue de sa chambre tout était calme. La sérénité s’était installée dans une atmosphère paisible baignant dans des couleurs proches du pastel.
En fait, je ne suis pas certain de ma description car mes préoccupations étaient autres, l’hôpital nous avait annoncé une nuit difficile. On sait ce que cela peut signifier.
Le contraste était saisissant entre l’attente d’une scène torturée et l’image qui s’offrait à moi.
Elle était plaquée sur son lit, les yeux ouverts et pleins de vie. Le regard ne paraissait pas perdu comme la fois dernière. J’avais l’impression que la faucheuse, la folle, s’était installée dans son corps et dirigeait ce qu’elle voulait. La tête penchée sur son côté droit n’a pas bronché d’un millimètre, ni ses bras, tout le temps que j’ai passé avec elle. La vilaine au pouvoir malin guidait ses yeux tantôt sur moi, tantôt sur mon épouse. Un regard pénétrant, insistant, dans un éveil incroyable me transperçait, puis un léger rictus relevait les commissures de ses lèvres comme si elle m’offrait un imperceptible sourire. C’est arrivé quatre fois. Peut-être ai-je donné un sens à une réaction du visage qui ne m’était pas destinée. Pourtant, avec ce regard presque plein d’assurance, j’avais l’impression que ces micro-instants de conscience étaient bien réels. Je ne le saurai jamais, alors je veux bien le croire.
Elle cherchait sa respiration, moins profondément que la veille, plus espacée, à se demander comment un cœur peut résister si longtemps aux battements intempestifs, arythmiques. Elle était fatiguée sous l’effet d’une tachycardie anarchique. Et pourtant son visage demeurait d’une sérénité surprenante.
Pas le moindre souffle ni filet de voix, pas un geste, le visage toujours tourné vers l’ouest de son corps.
C’est difficile d’accompagner sans rien dire. C’est difficile d’interpréter des regards lorsqu’on les sait perdus, même s’ils paraissent vifs.
J’ai tourné la tête vers la fenêtre ouverte pour trouver un peu de vie. Des ouvriers casqués tambourinaient sur des pierres, le maquis environnant chauffait sous le soleil ardent et le vent passait par la fenêtre. Après avoir caressé les arbousiers omniprésents sur la colline qui fait face à l’hôpital, il venait déposer un peu de parfum autour du lit. Ma mère semblait indifférente à tout ce qui produisait un peu d’âme. J’imaginais que le ciste, le lentisque, l’immortelle, la bruyère et les arbousiers qu’elle a bien connus dans sa vie n’existaient plus, la rodeuse du silence lui avait interdit tous les sens. L’extérieur, c’était fini pour elle. Elle avait tout oublié.
La bête était bien tapie dans le silence, je la sentais rôder, presque marionnettiste sans faire souffrir, apparemment.
Dans un moment de faiblesse que j’ai senti venir, elle m’a plongé une boule au fond de la gorge pour étouffer mes émotions. Un sanglot s’est bloqué juste derrière la glotte. J’ai failli faire sauter bruyamment ce bouchon. J’ai réussi à le contenir tant bien que mal forçant sur les glandes lacrymales qui ont lâché une coulée irrépressible, dessinant un ru de tristesse le long de mes joues.
Comme une bougie qui s’allume ou une âme qui s’en va…
(Cliquer sur l’image)
Ce fut dur car je n’imaginais pas que la folle à lier allait jusqu’à jouer avec mes sentiments.
Je ne sais pas si maman passera la nuit… c’est l’autre, tapie dans le silence qui a pris le pouvoir.
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2 Comments
Des mots, des mots, si difficiles à penser et à mettre en ordre dans un moment d’émotions si intenses … nous sommes dans l’acceptation … aller contre nature, y gagnerions nous … ? c’est à ces moments qu’on saisit l’impuissance et la noblesse de l’Etat d’humain et que les mots nous servent à tacher d’être digne de l’être pleuré… car enfin .. c’est nous qui restons esseulés.. et l’on fait parfois un effort surhumain à s’incliner , pour ne penser qu’au bonheur à avoir quelqu’un qui nous a donné l’amour suffisant pour nous élever et nous rendre libres.. de sorte qu’on peut avec honneur dire par ces faibles mots que nous l’avons connu avec grâce..
Des mots, des mots, si difficiles à penser et à mettre en ordre dans un moment d’émotions si intenses … nous sommes dans l’acceptation … aller contre nature, y gagnerions nous … ? c’est à ces moments qu’on saisit l’impuissance et la noblesse de l’Etat d’humain et que les mots nous servent à tacher d’être digne de l’être pleuré… car enfin .. c’est nous qui restons esseulés.. et l’on fait parfois un effort surhumain à s’incliner , pour ne penser qu’au bonheur à avoir quelqu’un qui nous a donné l’amour suffisant pour nous élever et nous rendre libres.. de sorte qu’on peut avec honneur dire par ces faibles mots que nous l’avons connu avec grâce..
Grande noblesse et dignité dans ce très beau texte où l’émotion est omniprésente.
Merci Simon de nous dire la vie ….