Mon ambition en revenant dans ma région, il y a plus de vingt ans, était le retour à la terre. Je le redis pour la énième fois, aussi bizarre que cela puisse paraître, c’était bien une ambition, replonger dans la simplicité des choses de la vie.
Je rêvais de jardin. Le souvenir de mon père qui cultivait celui des autres pour gagner sa vie me poursuivait.
Beaucoup de temps avait passé entre l’expérience vécue avec lui et mes premiers contacts avec la bêche. J’avais quelques connaissances rationnelles piochées çà et là dans les livres et sur la toile pour cultiver un potager, très vite, j’en suis revenu à l’empirisme pratiqué naguère. Rapidement, j’ai renoncé aux divers traitements préférant affronter la réalité de la nature quitte à subir des pertes importantes pour la production. Je m’en fiche car le temps que je gaspille en manque à gagner, je le gagne en expérience comme un regard apaisé sur la petite faune et la flore des jardins. L’influence du temps météorologique est tout aussi instructive.
Pas de bêchage trop profond, pas de ceci, pas de cela… je n’en fais qu’à ma tête. C’est-à-dire que j’évolue en fonction de ce que je constate, perdre mon temps pour mieux apprécier sa valeur est ce qui m’importe le plus. Certes, il y a les fondamentaux qui sont immuables, pour le reste, je demeure archaïque. C’est à ma guise et cela me plait. Vous ne trouverez pas de tuteurs bien droits chez moi. Un jour, alors que deux amis venus d’ailleurs visitaient mon jardin, l’un d’eux touchait l’autre du coude pour faire remarquer que les tuteurs de mes tomates n’avaient rien de rectiligne. Des soutiens tordus comme la vie. Il profitait d’un moment où j’avais le dos tourné pour faire la remarque d’un coup de menton appuyé. Il a raté son effet. Ne vivant pas dans leur Castagniccia natale où les tuteurs tirés de rejets de châtaigniers sont du plus bel effet, je me contentais di « u scuponu *» des environs.
J’adore préparer la terre, la regarder, toute noire et féconde. Je la retourne puis la ratisse à la fin du mois d’octobre une première fois avec un premier apport de fumier. Les vieilles branches ont brûlé sur place pour que j’y disperse les cendres. Il me reste encore du vieux fumier de brebis, plus de six d’âge, où se mêlent poils et débris de cornes mais aussi de nombreuses graines clandestines qui devanceront les semailles. J’éparpille du terreau tiré du compost voisin qui commence à prendre de l’âge aussi. Dans un coin du jardin, le fumier de poules se repose. Le tas est déjà imposant puisque les fientes sont mélangées à la sciure qui facilite le nettoyage du poulailler comme à la paille du pondoir souvent changée. Les plumes s’y trouvent aussi en bonne quantité. Je choisis le plus vieilli pour remplir les sillons lors du repiquage des tomates, de toutes sortes de cucurbitacées et autres aubergines. Je l’ai même enrichi de crottin de cheval sauvage glané sur les hauteurs du Cuscionu. Un clin d’œil à la nature bien plus que l’assurance d’avoir bien amendé le sol. Je m’amuse.
Entre fumages et enfumages en tous genres des jardiniers informés par les rumeurs, j’ai choisi d’observer et de me faire une idée. Un cultivateur du dimanche se croyant de tous les jours, me conseillait de traiter les pucerons avec de la bouillie bordelaise. Radical ! M’assurait-il. Un fongicide utilisé comme insecticide sans doute les a-t-ils éliminés par noyade. Cela me rappela l’histoire du pou…. Je ne me trompe pas beaucoup et lorsque cela arrive, j’alimente « les choses de la vie » comme je le fais aujourd’hui. C’est ainsi que je cultive mes deux jardins, le potager et celui de mon vécu quotidien.
Le jardinage est un réservoir inépuisable pour y observer la vie. Je suis heureux ainsi, apaisé d’avoir accompli cette étape importante de mon existence. J’aurais vécu dans le regret si je n’avais connu cette expérience qui sommeillait en moi dans le plus grand secret.
Si le refuge des âmes existe quelque part, père doit bien rigoler, me regardant galérer sous le soleil de plomb qui surchauffe le jardin.
C’est lui qui devait travailler ces terrasses que j’ai créées en tentant d’horizontaliser le terrain pentu. Il devait imprimer sa marque avant de me passer le témoin. Hélas, il est parti avant mon retour sur la terre natale.
C’était lui qui bêchait à côté de moi les premières fois, je sentais sa présence avant qu’il ne s’éclipse en toute discrétion. J’essaie à ma manière de transmettre le témoin, je crois que c’est fait, la connexion est établie.
Eccu babbu, aghjiu fatu com’è tè !
Comme mon père bêchait le champ des autres, Ferdinand, ici, bêchait mon jardin dans les règles de l’art ancien. (Cliquer sur les images)
*Scuponu= scopa (bruyère), ici bruyère imposante déjà bien étoffée et solide.