Toutes les photos qui figurent sur cette page sont de Gaëtan Calmes. (Cliquer sur les photos)
Je ne connais pas Gaëtan personnellement. Nous nous sommes rencontrés sur les pages du monde.fr lorsque nous écrivions des chroniques. Sans doute trop contraignantes pour la rédaction qui avait beaucoup à lire avant de valider puis éditer, ces pages ont été fermées.
Mes écrits étaient le plus souvent le récit d’expériences pédagogiques avec des enfants en grande difficulté scolaire. Je me souviens d’un commentaire marquant, il avait noté, grosso modo ceci : « Qui êtes-vous ? On aimerait s’asseoir sur un banc à côté et converser un instant avec vous. » puis le silence et les retrouvailles sur Facebook.
Tel un ami fidèle, il laisse un commentaire sympa à la suite des textes qui lui parlent. Vous l’avez sans doute remarqué.
Gaëtan, outre sa réflexion toujours bienveillante, est un photographe que j’apprécie. Ses clichés donnent à voir et à réfléchir aussi. C’est la marque d’un vrai chasseur d’images, de vie latente, qui montre et évoque sans commenter. Des images qui parlent toutes seules. A l’inverse, avec ma formation scientifique, je pratique la photo « sciences naturelles » que j’avive d’un petit mot pour l’humaniser avec un peu de poésie. L’âme est plus dans la parole que dans l’image.
Je connais un peu son potentiel niché dans ses photos et je m’étonne qu’il n’ait pas songé à réaliser une exposition. Ses clichés sont nombreux, les thèmes multiples, des champs à la ville avec la touche humaniste qui transparaît dans son regard à travers l’appareil photographique. Une variété qui suit constamment le même fil sans jamais lasser. Je pense qu’il est temps de partager ce regard autrement que sur Facebook.
Aujourd’hui, encore, je découvrais un cliché magnifique. Des lignes, une profondeur de vie et des idées qui fuitent naturellement. Un bâtiment et une fontaine qui datent, des vélos cadenassés, évoquent l’ancien et le moderne. Aucune âme qui vive et du monde pourtant. A chacun sa vision pour y trouver son compte. Pour ma part, la vue de pigeons indifférents à ce qui se passe autour d’eux, juste préoccupés à se nourrir quitte à s’abimer le bec sur le béton, m’avait renvoyé illico vers Alphonse Daudet. « Installation* », un texte qui me ravit parfaitement et débute par : « Ce sont les lapins qui ont été étonnés ! ». Un contraste vif avec ces colombidés tombés dans la civilisation humaine profitant de ses mauvais côtés. Je préfère infiniment ces chers lapins encore farouches toujours épris de liberté malgré la curiosité. Et ce hibou magistrat penseur et sinistre qui ne s’émeut pas devant l’impromptu. Lorsqu’une image vous propulse si loin dans l’évasion, qu’elle vous enchante et vous expédie dans un univers poétique au lieu de vous attrister sur les dégâts du présent, c’est qu’elle est forte et magique. Le regard l’oublie pendant quelques secondes pour voyager avec la pensée qui s’enfuit. Votre cerveau devient prisonnier d’une idée pour caracoler ailleurs, du côté du plaisir qui sommeillait dans un coin de votre esprit. Cette force, je la retrouve souvent dans ses photos. La présence de l’homme est partout, plus encore lorsqu’il ne figure pas sur l’image. L’empreinte humaine est omniprésente comme un Dieu invisible qui pèse de tout son poids, plus lourd encore parce qu’il est en filigrane.
Oui Gaëtan, il est temps, grand temps d’offrir ces regards au plus grand nombre.
S’asseoir un instant pour convaincre sera-t-il suffisant ? Chercher à convaincre c’est indiquer une voie parmi tous les chemins de la liberté, à cela se limite mon clin d’œil amical.
N’oubliez pas de cliquer sur les images, elles sont magnifiques.
INSTALLATION. Lettres de mon moulin. A. Daudet.
Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins… La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune… Le temps d’entrouvrir une lucarne, frrt ! voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l’air, dans le fourré. J’espère bien qu’ils reviendront.
Quelqu’un de très étonné aussi, en me voyant, c’est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. Je l’ai trouvé dans la chambre du haut, immobile et droit sur l’arbre de couche, au milieu des plâtras, des tuiles tombées. Il m’a regardé un moment avec son œil rond ; puis, tout effaré de ne pas me reconnaître, il s’est mis à faire : « Hou ! hou ! » et à secouer péniblement ses ailes grises de poussière ; — ces diables de penseurs ! ça ne se brosse jamais… N’importe ! tel qu’il est, avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée, ce locataire silencieux me plaît encore mieux qu’un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail. Il garde comme dans le passé tout le haut du moulin avec une entrée par le toit ; moi je me réserve la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent.
C’est de là que je vous écris, ma porte grande ouverte, au bon soleil.