Au-delà de notre lumière tamisée, derrière le rideau, d’autres rayons plus ardents, plus vifs, plus brûlants… (Cliquer sur les photos)
Lorsque j’ai tenté l’aventure Facebook, je me réjouissais d’aller à la rencontre d’amis connus et inconnus. L’idée me plaisait. J’étais tout en « candiditude » comme dirait Ségolène. Je m’apprêtais à donner le meilleur de moi-même, c’est-à-dire beaucoup de photographies pour évoquer la vie et partager quelques idées plutôt souriantes. Suggérer les risettes de ce monde puisque l’autre versant n’a pas besoin d’être exposé, il s’impose de lui-même.
Hier soir, je suivais un reportage sur la vie de bergers isolés qui se rencontrent lorsqu’ils tuent une brebis. C’est une occasion de faire la fête, une fois de temps en temps, avec brochettes et chants autour d’un feu. L’un d’eux disait à peu près ceci : « Vous vivez dans des villes, trop nombreux, les problèmes dus à cette proximité sont inévitables. Je préfère vivre seul avec mes bêtes, c’est beaucoup plus simple… »
C’est ainsi que j’ai pensé à tout ce monde qui grouille sur Facebook. Un monde qui dépasse bigrement les fréquentations habituelles. Soit vous êtes généreux en acceptant largement les demandes d’amitié facebookienne, soit vous faites un tri sévère et vous vous retrouvez en petit comité. Lorsqu’il y a foule au portillon, évidemment vous êtes exposé à tout, y compris aux malveillants qui cherchent à pirater votre compte pour soutirer quelque argent ou vous proposer des charmes douteux probablement accompagnés de monnaie sonnante et trébuchante, aussi.
Le monde de Facebook est un reflet de la vie avec une concentration et une mise en lumière plus vive encore. C’est un vaste confessionnal où nombreux sont ceux qui viennent déverser tous leurs ressentiments. Les mots sont pris au vol comme des éléments déclenchants pour porter quelques coups peu sympathiques. On y brandit allègrement des injonctions prêtes à l’emploi trouvées sur la toile, on y règle ses comptes facilement, plus facilement que dans la vie courante. Un confessionnal sans absolution le plus souvent. Certains, quelque peu frustrés, demandent un peu plus d’amour sous peine de rayer les récalcitrants de leur liste amicale. Bien entendu, ils se défendent toujours d’être en quête de quoi que ce soit… c’est juste pour voir qui sont les vrais amis, disent-ils. D’autres vous proposent d’aimer une page, de copier et coller une affirmation empreinte d’une vague commisération à l’égard d’une maladie… De plus en plus, l’étau se resserre, on vous laisse peu de choix. Tu viens ou tu viens pas ? Si tu n’adhères pas tant pis pour toi, tu t’exposes à un clic expulseur !
En période électorale c’est très symptomatique. Le confessionnal révèle tous les secrets de l’isoloir. Personne ne se gêne, on sait qui vote pour qui. C’est à se demander si les prochains candidats à la présidentielle ne devraient pas s’engager à supprimer les isoloirs qui servent juste à employer les services municipaux au montage et démontage des petites cabines. Aujourd’hui, les suffrages sont publics, il suffit d’aller sur une chaîne d’infos ou de faire un tour sur FB pour le savoir. Ce qui parait le plus extravagant, c’est de constater que les plus démocrates, ceux qui se disent les plus ouverts, sont les plus féroces pour dénoncer certains choix. La meilleure façon de penser c’est de penser comme eux, sans l’ombre d’un doute. C’est la seule pensée démocrate. Ils ne se rendent même plus compte que la violence gagne leur camp. Ils fustigent les citoyens en oubliant les vrais responsables de cette expression galopante vers l’ailleurs. Ils fondent sur les abstentionnistes en oubliant de penser qu’à force de les tancer, ils finiront, peut-être, par voter d’exaspération, à contrario de leurs attentes et recommandations sous-jacentes.
Parfois, la malveillance est sournoise. On ne voit rien venir, sans même comprendre au bout du compte ce qui s’est passé. Un groupe qui semblait évoluer joyeusement autour des plantes de Corse a subit une attaque sans que les adhérents comprennent quelque chose. Des frelons sont passés par là semant la zizanie et l’affolement dans le groupe. Pendant un temps on ne parlait que de cela en oubliant l’objet de ce regroupement de personnes. On se perdait en palabres interminables à la suite du départ de la fondatrice du projet. Je suis parti aussi, j’ignore ce qu’il en est aujourd’hui…
Et puis les autres. Ceux qui proposent des choses simples à voir ou à penser qui passent plus inaperçus comme une caresse de brise légère, beaucoup trop douce face à la bise cinglante et aux bourrasques sifflantes… Aujourd’hui, il faut que ça claque, que l’on sente passer la soufflante.
Alors, que faites-vous encore sur FB, puisque vous dénoncez toutes ces dérives ? Eh bien, sans doute ai-je besoin d’exister aussi. J’ai tant de photos à montrer sur les choses de la vie… à quoi serviraient-elles autrement ? Je me tiens à l’écart de toutes ces diatribes plus ou moins moralistiques… cela ne met pas à l’abri de quelques épines au passage. La coupe n’est pas encore pleine, je m’en irai si elle déborde. Bon voyage me direz-vous ?
Trouverai-je mon havre de paix ? J’en doute fort, il n’est pas de ce monde car même en partant avec des chèvres comme ce berger solitaire, on file vers d’autres tourments. Le salut réside dans sa capacité à encaisser et à rebondir sous les effets de tous les vents.
Pour une triste solitude…
Justes observations. Typologie intéressante d’une partie des motivations à facebooker et à ne pas le faire.
Parfois et certainement pour un bon nombre, qui sait, les motivations sont plurielles, voire contradictoires. Il me vient une petite histoire pour l’illustrer. Comme il pourrait y en avoir tant d’autres bien différentes.
Allons-y :
En ce temps là un groupe d’amis se réunissait pour jouer aux boules, ou peut-être bien encore pour animer la bibliothèque municipale ou une oeuvre philanthropique ou encore partir chevalet sous le bras, faire de l’aquarelle . Je ne sais plus mais peu importe pour la suite. Il était convenu implicitement entre eux de ne pas aborder de sujets qui fâchent, de prendre chacun tel qu’il était sans essayer de le redresser pour tordu qu’il soit, de se centrer sur ce qui fait grandir et se réjouir, laissant la violence hors de leurs rencontres. On l’aura compris, ils n’étaient ni sourds ni aveugles au monde. Bien au contraire, leur lucidité les avait conduits à chercher d’autres compagnies pour les choses pénibles. Ils s’en trouvaient tous ensemble, individuellement et collectivement bien.
Pourtant, l’un d’eux semblait flétrir. Son teint grisaillait. Sa conversation se faisait rare et sans initiative. Ses amis s’en vinrent à le questionner. « Que se passe-t-il ? » Il éludait, niait même cette mue progressive puisqu’il était convenu de n’être ni le pisse-froid ni le va-t-en guerre au sein de ce cénacle. Les autres, avec le temps insistèrent délicatement mais fermement « Bon sang, même silencieux, tu parles, et nous te perdons peu à peu. Que t’arrive-t-il ? ». Leurs bons sourires et moult tapes cordiales sur l’épaule aboutirent un jour, enfin.
« Mes amis je ne voulais pas troubler notre entente, le plaisir de nos retrouvailles et la bonne humeur de nos travaux. Mais je n’arrive pas à commander mon corps. Or depuis quelques mois, ce qui n’était que réflexions personnelles et intimes face aux événements qui nous entourent a franchi la frontière de la pure spéculation pour atteindre mon équilibre somatique. Je ne veux pas vous contaminer. Mais si ma volonté veut le taire, votre aimable sagacité a perçu mon malaise. J’ai peur du monde qui se prépare. Cette peur me ronge au quotidien et votre compagnie apaisante est insuffisante à la calmer ».
Je ne sais pas ce qu’est devenu ce groupe ni ce compagnon..
Dire ce qui devrait être fait par les uns et les autres dépasserait mon propos
Et puis vraiment, je ne sais pas.
Bien à vous.