Si j’étais…

Mimétisme. Combien savent que l’araignée crabe se fond dans son milieu ambiant pour mieux chasser ? Il en existe de différentes couleurs. Combien vont confondre cette abeille charbonnière avec une grosse mouche noire ? Bien camouflée dans la fleur de jasmin, l’araignée attendait son repas. « Il n’y a de science que du caché » disait mon ami G. Bachelard. (Cliquer sur la photo)

corneSi j’étais ministre de l’Education Nationale, parce que c’est plus facile de réformer dans sa tête qu’à la tête d’une institution, je ne réformerais pas grand-chose. Pas de grande révolution en vue, ça n’a jamais marché et ça ne peut pas marcher. Les grands Manie-Tout et grands Remanie-Tout, ministres de passage, n’ont pas arrêté de se faire les cornes comme refaire celles du totem Ecole aux couleurs politiques du moment. Cheyennes et Comanches des plaines centrales cherchent à déjouer les ruses des Sioux… Ça va, ça vient et ça ne reste jamais.

Il existe des fondamentaux comme le lire, l’écrire et le compter qu’il faut renforcer, intensifier sans chercher à employer les plus belles pirouettes qui font cacahuète. C’est-à-dire en écartant les moyens tarabiscotés qui séduisent les esprits embrumés, destinés à endormir la ruche plus qu’à la réveiller. Du simple, du simplissime quitte à y revenir inlassablement pour caler les connaissances de base et tout le reste se greffera au fur et à mesure. Le changement majeur consisterait donc à consolider ces notions coûte que coûte sans aller jusqu’à l’impossible. Il y aura toujours des réfractaires pour lesquels il faudra trouver une autre mesure, un autre tempo.

Cependant, j’envisagerais une grande réforme de l’état d’esprit dès les petites classes du primaire. Le bon sens commence à se raréfier. On ne prend plus de recul, on fonce, on dit, on juge à travers des prismes déformés, sur des impressions vagues que l’on prend pour raisons avérées. A aucun moment, on ne se demande si notre raisonnement est bien fondé. Le fond est en voie d’évanescence. D’emblée, on sait tout sur tout et cela nous autorise à porter avis sans l’ombre d’un doute. Cela devient inquiétant. Il suffit de lire les commentaires dans les réseaux sociaux pour s’en rendre compte. C’est tout de même sur ces réseaux que l’on rencontre le plus de communs des mortels philosophes par nature ou par le Saint-Esprit.

Dès les petites classes former à l’observation, à la prise de recul avant de se prononcer. Apprendre à se taire pour apprendre à écouter, à regarder, à tourner et retourner, à reconnaître ce que les évidences ne sont pas. Mettre l’accent sur des expériences simples qui visent à déjouer les apparences trompeuses du prime abord. Revenir sans relâche sur la nature, ses lois, ses leurres, ses certitudes cachées et combattre l’anthropomorphisme ravageur des idées. Le bon sens n’est pas la chose au monde la mieux partagée, on s’en éloigne de plus en plus car on fonctionne plus souvent sur le croire au détriment du savoir. Ne dit-on « Je crois que » plutôt que « Je sais que… parce que je l’ai étudié, expérimenté, lu… ». C’est moins fatigant de croire sur une impression séduisante que se compliquer la vie à chercher des éléments, des données tangibles, des preuves autour de ce qui concourt à produire un fait. La subjectivité est donnée à tous, l’objectivité n’est pas spontanée, elle demande effort, effort pour savoir.

Construire un tel état d’esprit demande beaucoup de temps. Il doit se poursuivre tout au long de la scolarité pour qu’il mûrisse, pour qu’il devienne conviction et s’installe dans l’esprit. Une attitude réflexe pour se poser les bonnes questions sans forcément accéder à la bonne réponse puisque la science comme la connaissance avance aussi à coups d’erreurs.

L’idée qui m’était venue consistait à interpeler ainsi les enfants : « Si quelque chose vous étonne, venez soumettre cette chose à toute la classe, ensemble, nous chercherons à comprendre. » Une démarche toute simple destinée à mettre sur le qui-vive pour éveiller curiosité et envie de savoir. C’était notre leçon de choses spontanée née d’un questionnement. Antoine était arrivé un matin avec un glaçon, type stalactite, prélevé sur le chemin de l’école en passant devant une fontaine un jour de février. Cette eau solidifiée emprisonnait une plante arrachée en même temps que la glace. Ce fut l’occasion d’étudier les différents états de l’eau et l’identification de la plante à travers sa feuille prisonnière. Cette simple curiosité nous a conduits aux ruisseaux… rives et méandres. Sur les sentiers du village, reconnaître les arbres, les différents types de feuilles. Une attitude de recherche qui ne se limite pas à la leçon traditionnelle de sciences naturelles, elle devient permanente sur les routes de la vie.

Lorsqu’un enfant venait en classe avec une pelote de rejection de hibou… quel bonheur d’apprendre que ce rejet se fait par la bouche (le bec), que cette touffe de poils qui renferme tant de débris trahit le régime alimentaire du rapace nocturne. Des élytres de coléoptères, comme des petits os de rongeurs… quel étonnement et quel plaisir d’apprendre puis d’aller raconter aux autres, aux parents qui découvraient à leur tour. Le plus difficile dans cette affaire, c’est de gérer les demandes rapidement débordantes, j’en ai fait l’expérience. Tout s’explique et se tempère.

Les mathématiques sont également formatrices d’un tel état d’esprit. Au niveau élémentaire cette matière ne devrait poser aucun problème. Il faut casser cette idée que les maths c’est compliqué. Bien pratiquées ce n’est que plaisir, il ne faut pas se mettre martel en tête.

Evidemment, il n’est pas question de former une armée de scientifiques mais des personnes qui réfléchissent avant de parler, qui savent que derrière l’impression première se niche l’incertitude et l’erreur, que le doute n’est pas une faiblesse mais une qualité… Une qualité qui vous préservera des fadaises vite dites, avalées aussitôt.

Tout le reste suivra. La culture, la curiosité saine, le goût d’apprendre pour sortir de l’ignorance comme le pouvoir d’éviter bien des pièges de l’apparence née du spectacle souvent trompeur de la nature. Un bruit dans la nuit n’est pas un fantôme. C’est une feuille sèche que le souffle nocturne frotte sur l’asphalte, une souris qui grignote dans un coin du grenier, une montre qui se met à sonner sur une programmation oubliée, une tringle qui vient de lâcher prise ou une broche à côté de la cheminée qui vient de céder à un équilibre précaire.

Voilà ce que serait ma grande réforme. Elle ne coûterait pas grand-chose si ce n’est former le personnel enseignant à cet état d’esprit. Ce serait un grand pas vers la sérénité avant qu’un autre Grand Manitou ne vienne tout casser…

Je sais, je rêve et c’est bien trop léger même pour un ministère de la dérision.

Tous les ministres de l’Education ont rêvé. Se rêver ministre, sans avoir une chance de l’être un jour, est un rêve sans conséquences et plus doux encore … Hélas, le pouvoir vous tourne la tête et fait virer les idées. Entre esprit critique et esprit de critique, je sais de quel côté pencher… le côté de la pensée enfin libérée.

2 Comments

  1. Mes meilleurs maîtres du primaire puis du CGE pratiquèrent dans les grandes lignes ainsi que vous le décrivez. J’ai l’habitude de dire qu’ils nous auraient fait grimper aux arbres, tant ils savaient lier notre vie à des thèmes scolaires.
    Nous avons apporté à l’école des poissons du ru voisin, des ossements tirés du tas de décombres derrière le cimetière, des nids de guêpes abandonnés, des lapins à disséquer, des tranches de bois de la scierie, des pierres et fossiles des chemins de chez nous et des vacances, des fruits et légumes chapardés au compotier ou au verger, des vieux bouquins et revues dénichés au grenier … Nous avons fait des rédactions traitant du village et de ses événements, chanté Jeanne d’arc qui séjourna chez nous avant d’être prise à Compiègne, alimenté nos jeux des personnages historiques. Nous étions fiers de compter la monnaie chez les nombreux commerçants amusés, vérifié d’un œil le fléau de leur balance, compté les sacs de patates et d’épis glanés après les moissons. Vie scolaire et « vie civile » étaient mêlées. L’école nous accompagnait vers l’autonomie d’adulte et comme nous étions avides d’être des grands, nous étions mobilisés.
    Aujourd’hui on court après des programmes taillés pour préparer l’entrée en grandes écoles via les classes prépas. Encyclopédie et ésotérisme d’agrégé. La ville est aseptisée et anonyme. Les enfants ne participent plus aux travaux collectifs qui créaient un lien immédiat, tangible et mobilisateur entre le savoir et l’être, valorisaient toutes les compétences.
    Alors c’est vrai que vivre l’œil sur le rétroviseur ne fait pas vraiment avancer plus et mieux. C’est vrai que déjà il y avait des « classes de fin d’étude » pour les éclopés de l’apprentissage, basculés dans la rébellion ou l’abandon par trop d’échecs.
    Pourtant l’essentiel de notre génération trouva à s’intégrer à l’âge du travail d’adulte. Nous disposions à cet effet du minimum minimorum nécessaire : lire écrire et compter.
    Comme vous le dites : « Le reste suivit ». Pour ceux qui le voulurent et qui n’avaient pas trop de handicaps.
    C’est vrai encore qu’aujourd’hui nos « élites économiques » investissent à Panama Jersey et Singapour, ce qui ne facilite pas l’intégration par le travail, que l’on soit diplômé ou non.
    Ah Simon. On peut vraiment se sentir faibles et inquiets face à ces défis.
    Au moins peut-on encore en parler librement. On va faire avec.
    A vous relire.

    1. Bonsoir Gaëtan.
      « On peut vraiment se sentir faibles et inquiets face à ces défis », il nous reste le rêve comme celui qui vient de passer pour garder quelque espoir.
      J’ai bien d’autres rêves à raconter… Merci Gaëtan.

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