Quand le BEPC faisait le gradé…

C’est une reprise.

Quelques années après « L’abeille dans la bibliothèque », la redoutable dictée pour entrer en 6e, je m’attaquais au BEPC.

La fameuse ouvrière qui bourdonnait dans la bibliothèque m’avait donné le tournis et bien plus, puisque le zéro en dictée fut rédhibitoire. Un mauvais souvenir de mon premier examen qui allait alimenter l’inquiétude en m’attaquant au nouveau monstre.

Rien que l’idée d’être mis en examen me mettais en supplice annoncé. Handicapé par une audition défaillante, je n’étais jamais certain de tout entendre, pour cette raison, j’étais le champion du quiproquo. Ce n’est pas facile à vivre. S’entendre dire que je prenais fausse route, à longueur de temps, rendait mon combat pour la vie bougrement difficile. En plus de l’incertitude ordinaire inhérente à tout examen, je devais redoubler de vigilance.

La période était plutôt favorable, j’avais bien progressé et rattrapé un bon pan de mon retard initial.
Mes profs de troisième ne se faisaient guère de souci pour moi, « BEPC » simple formalité, pensaient-ils.

Ce fut le cas, je décochai mon premier coup de maitre, j’ouvrais enfin mon palmarès scolaire !

C’était la joie dans toute la maisonnée, mon nom était dans le journal, grand-mère avait préparé les beignets et acheté le vin du Cap. Une sorte de vin cuit qu’elle proposait aux invités ou aux visiteurs occasionnels dans un petit verre à liqueur, toujours. Elle disait qu’à cette dose c’était un sacré remontant. Malgré la petite quantité de fortifiant, elle donnait le tempo en buvant à petites gorgées de moineau pour faire durer le plaisir.
Ah ! Ce vin du Cap, on y croyait ferme avec son petit goût de caramel au fond du gosier !
Si on nous avait donné une serpe juste après boire, je crois que nous aurions pu démaquiser sans fatigue. Cet élixir n’avait pas le temps de monter en cap, il donnait de la force puisque grand-mère le disait…
Les grands-mères savaient toujours le vrai, le juste et le sensé, alors aucun problème pour les croire sur le champ. Je n’y crois plus car on dépasse désormais largement la dose et la tête tourne plus facilement…

En ce jour de fête, de joie familiale répandue dans le quartier, Don Jacques de Martin qui habitait pourtant loin de la Navaggia, festoyait avec nous. Il était lumineux comme un lustre de cristal, il baignait dans le lux ambiant. Vous l’avez compris, je parle de lux, de lumière. Chez nous le luxe n’existait pas.
Très volubile en trempant ses lèvres dans le breuvage miraculeux, il s’était donné du courage car il ne pensait qu’à une chose, fumer sa cigarette au vu et au su de tous. Un jour de fête comme celui-ci, on fait vraiment la fête.
Ah le bougre ! Déjà petit malicieux avec son sourire espiègle, sourire parfois étonné qu’on ne le suive dans ses tentatives de séduction. Il commençait toujours par tâter le terrain, sondait son environnement pour savoir s’il allait poursuivre son approche ou l’abandonner momentanément.

Il s’était rapproché de ma grand-mère, fière d’avoir décroché son deuxième diplôme avec mon BEPC, mon frère m’avait précédé, nous obtenions enfin Brevet d’Etudes de toute la famille… Les sourires étaient de mise et les rires fusaient dans toute la pièce habituée à la grisaille.

Dans la confusion et le brouhaha, Don Jacques, pensant le moment opportun, se lâcha :

– Mi ! Fighjuletti o Za Batti ! U nosciu nommu nu ghjurnali ! » (Regardez Battine, notre nom dans le journal !)
Il lui montrait nos noms en soulignant avec son doigt pour qu’elle les visualise mieux. Hélas, grand-mère ne savait pas lire et disait :

–  A sogu !  (Je le sais !)

Puis sortant une gitane de son paquet, notre ami tendit une cigarette qu’il faisait dépasser des autres :

– Pidetti ! Oghji hè festa, si pò fumà ! » (Prenez ! Aujourd’hui c’est fête, on peut fumer !)

Don Jacques fit mouche, son stratagème avait fonctionné.
Grand-mère repoussa son offre en écartant le paquet de la main, mais comme il n’y eut pas de réprimande, il se mit à fumer avec ostentation et grand plaisir en envoyant volutes et volées de brouillard à la face de ses interlocuteurs. Le connaissant bien, je savais qu’il savourait pleinement sa tentative pour fumer sans se cacher. Il venait d’officialiser ce qu’il faisait en cachette. Son sourire malicieux bourré de satisfaction à peine contenue, en témoignait. Tranquille comme Baptiste, il n’hésita pas sortir sa deuxième cigarette, avec son BEPC en poche, le paquet de Gitanes s’ouvrait facilement.
J’ignore et je doute fort qu’il eut la même attitude chez lui…

Voyez donc, chers lecteurs, comment un simple BEPC, aujourd’hui pipi de sansonnet, revêtait la plus grande importance dans nos familles. Nous nous hissions au rang de gradés.
Comme à l’armée, à nous de poursuivre l’évolution pour viser plus haut sans jamais imaginer l’échelon de général étoilé… Dans ma famille, nous étions programmés pour voler en rase mottes.

C’était comme si nous avions accédé à de hautes fonctions, beaucoup de choses nous étaient permises, chacun en profitait à sa guise.

Au fait que signifie BEPC ?
Bien En Profiter, Cocagne ! 😉

Pour les gens du village, voici les noms des élèves sur la photo :
Accroupis de gauche à droite.

Don Jacques de Peretti dit de Martin, moi, Jean-Baptiste Nicolaï, Jean-Pierre Fornesi.

Rang des filles de gauche à droite.

Une jeune sarde dont j’ai oublié le nom (Fiori me semble-t-il), la sœur de Jean Camille du Giddu, Félicia Susini, Armelle de Lanfranchi, Lucie Pini, Marie Louise de Peretti, Palme de Lanfranchi.

Dernier rang.

François Boudnikoff, Charles Pietri, Jean Marc de Peretti (di Righetti), Alain Faggiani, Jean de Peretti (Fils de Zézé le boulanger) et Louis de Peretti (Caracas)

2 Comments

  1. Merci Simon pour ce beau souvenir .
    Don Jacques était mon ami et je le reconnais bien dans ce que tu racontes.
    Besogneux à l’école mais malin comme un singe.
    La sœur de jean Camille s’appelait Marie Liline elle était avec moi en 4eme.
    Au plaisir de te relire Simon.

    1. Bonjour Francis,
      Je t’ai envoyé un mail, si tu peux en prendre connaissance…
      De nombreuses personnes réclament des souvenirs, alors, je reviens sur ces écrits anciens.
      Je te remercie.

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