Marcelle.

Nous sommes du même village et j’étais loin de m’imaginer qu’un jour, on se rencontrerait par le plus grand des hasards très loin de chez nous.

C’était un de ces jours dits « Journée pédagogique » censés nous former au métier d’enseignant.
On nous réunissait certains mercredis, toute la journée, dans une école des Yvelines, parfois pour assister à un cours magistral avec une mise en scène digne d’une pièce de théâtre.

Je me souviens, d’une super enseignante qui nous avait émerveillés tels des enfants de maternelle.
La séance avait commencé dans le couloir.
Nous avions interdiction de pénétrer dans la salle de classe, nous devions nous mettre dans le rang des CP et suivre les écoliers.
C’était « Au théâtre ce soir » de bon matin.

Nous entrâmes dans la salle en même temps que les élèves qui avançaient à petits pas feutrés, le doigt sur le nez en soufflant un léger « chut », la tête enfoncée dans les épaules. Déjà, le suspense était à son comble avant la leçon. La salle de classe était plongée dans la pénombre presque absolue. Il y avait juste quelques rayons de lumière tamisée qui filtraient à travers des rideaux opaques. C’était le silence complet lorsque des petites lumières rouges, bleues, jaunes s’allumèrent et se mirent à clignoter au bout de quelques secondes. La maîtresse cachée derrière le tableau, lisait une histoire, une lecture tout aussi mystérieuse que le décor. Les enfants étaient émerveillés et nous, rompus aux brouhahas de certains amphis universitaires, étions redevenus des écoliers dociles.
A n’en pas douter nous assistions bel et bien à une pièce de théâtre, tenus en haleine.

Ce n’était qu’une mise en bouche, les rideaux s’ouvrirent et la leçon qui faisait suite à l’histoire put commencer. C’était du grand art.
Nous voyez-vous, débutants, commencer ainsi nos leçons ?
C’était comme si on nous demandait de réaliser un film à hauteur de M. Hulot en n’ayant jamais vu une caméra.

Un autre jour donc, nous nous rencontrâmes à l’une de ces journées.
Nous étions, à la fois, contents et surpris des ces retrouvailles villageoises dans un département de la région parisienne.
D’ordinaire, je me plaçais au premier rang, mais ce jour-là, je n’avais aucune intention de m’ennuyer. Je savais Marcelle très sensible au rire comme sa mère Nunziola.
J’allais lui en donner de la rigolade ! Afin qu’elle s’en souvienne longtemps.

Les inspecteurs, à cette époque, étaient très inventifs et très portés sur des dadas, chacun avait sa lubie, le nôtre, coutumier de la flute à bec, nous avait conviés à une leçon sur le beurre.
Avec crème et baratte, il était décidé à nous faire pénétrer dans les secrets de la confection d’un bon produit campagnard.
Pas très adroit et encore moins rural, il finit par se tacher le costume.
Une tache bien visible, bien grasse et bien méritée pour en avoir trop fait, hors de compétences.
Avec l’air pince-sans-rire de celui qui balance des bêtises sans broncher, j’ai fait force sketches sur cette affaire, qui réjouissaient notre Marcelle lévianaise.
Elle riait aux éclats, tonitruants et spontanés, de si bon cœur, que je me demande encore comment elle a pu s’éclater de la sorte sans être remarquée.
Seuls, elle et moi, nous nous imaginions devant la fontaine de Vichy, face au magasin de ses parents, forts réjouis d’entendre des sornettes « nustrales » délocalisées.

Era sbidicarata, sciacanaia, capulata, morta di risa, elle passait par toutes les nuances du rire corse en totale liberté.

Je crois que ce fut mon meilleur festival comique, j’avais envie de la faire rigoler, en mode pince sans rire, sans pousser le moindre gloussement, ni montrer la moindre risette sur mon visage.

Marcelle s’est longtemps souvenue de cette « risata » et en remettait une couche à chacune de nos rencontres.
Elle n’en était plus à quelques éclats près…
Sans doute, emplira-t-elle son paradis de bonheur éternel, je l’entends s’esclaffer en racontant cette histoire à travers ciel.
Tu t’en souviens Marcelle ?

Voyage, voyage encore au-dessus des nuages…
  

6 Comments

  1. Pour nous Marcelle, notre amie de Tizzano sera toujours la dame aux chapeaux ,parcourant les rues de Sartène toujours très élégante, nous ne prendrons plus un café au Bien Assis…
    Repose en paix Marcelle auprès de to cher Paul.

  2. Une dame d’une grande classe comme il en existe pratiquement plus … elle promenait tous les jours dans Sartene par tous les temps . Toujours le sourire aux lèvres , une belle personne. Je ne la voyais plus depuis quelques jours … reposez en paix Madame , vous resterez dans ma mémoire 🙏🙏🙏😞

  3. Merci de nous avoir fait partager ce souvenir qui lui ressemble tant et d’avoir si bien su associer tristesse et sourire. Elle aurait adoré cet au revoir.

  4. La meilleure des Maîtresse,
    Tout est résumé. Merci. Paix en s’en âme, qui restera toujours gravé dans nos cœurs.
    Richard Neuvillers Campagna.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *