Mon ami Batti.

Je n’ai pas d’autre photo de ce temps.
L’armoire est celle où Batti avait fourré les habits, vous comprendrez en lisant.

Ce fut entre nous une amitié singulière, une amitié tacite de service militaire qui ne s’est jamais éteinte dans ma mémoire ni dans mon esprit.
Nous nous sommes retrouvés cinquante ans plus tard, par le plus grand des hasards, il se souvenait de tout, y compris de mon plan d’évasion via la Suisse et l’Italie avant de regagner la Corse.
Il ne se doutais pas que cette amitié atypique perdurait dans ma conscience.

Je viens d’apprendre son décès, je vais, ici, saluer sa mémoire.
J’avais pris l’habitude de dire Batti de Figari chaque fois que je racontais notre histoire

Je l’ai rencontré en Allemagne, on ne se connaissait pas avant.
Nous étions trois corses, on m’avait envoyé dans ce bataillon pour me redresser car les officiers des trois jours à Tarascon pensaient que je faisais semblant d’être sourd. J’avais écrit à ce propos un texte intitulé « Lorsque la grande muette fait la sourde oreille », beaucoup plus détaillé que celui-ci.

Batti était un inconditionnel de la Corse et de ses compatriotes.

Je vais vous relater deux ou trois anecdotes de cette période pour le situer, mieux encore .

Un jour, le petit état major local décida de me déboucher les oreilles, puisque, parait-il, je jouais au sourd.
J’étais convié à aller à l’infirmerie, je m’y suis rendu en capote et béret que j’ai accrochés à un porte-manteau dans le couloir.
Une petite bassine d’eau colorée en rose bonbon m’attendait.
L’infirmier de service était chargé de vider son contenu dans mes oreilles avec un siphon. Il se mit à l’ouvrage avec force conviction, de telle sorte que le liquide magique coulait par tous les canaux correspondants, Une fois la bassine vidée, je fus invité à regagner ma chambre.
Complètement abruti par la « karchérisation » auriculaire, j’avais oublié mes effets dans le couloir de l’infirmerie. Je m’y rendis aussitôt pour récupérer mes affaires, elles avaient disparu.
Je m’apprêtais à passer une nuit blanche car je n’avais plus rien à me mettre pour me rendre au rassemblement le lendemain matin.
Batti s’est aperçu que quelque chose n’allait pas. Il me questionna pour savoir les raisons de mon état soucieux et me dit sur le champ :
– Couche toi, j’arrive dans quelques minutes.
A son retour, il me demanda d’ouvrir mon casier, jeta des habits en vitesse, referma la porte et me dit :
– Il y a tout, tu peux dormir tranquille.

Au lever, je me suis habillé, le béret m’allait à la perfection mais la capote touchait par terre et les manches étaient trop longues, on ne voyait pas mes mains.
Au rassemblement, j’eus droit à la visite coutumière du sergent qui me demanda où étaient mes pieds… et crut, une fois de plus, que je le faisais exprès. Cela me valut une punition, plusieurs tours de cour, tout seul, sous les sarcasmes du bataillon.

Le jour de ma réforme, l’armée avait reconnu son erreur, défroqué de mes habits militaires, en pyjama, je fus la risée d’un autre sergent dit « de la semaine », qui tirait mon matelas pour me mettre à terre. Il le fit à plusieurs reprises durant quelques heures. Les cinq autres militaires de la chambrée avaient décidé de me tabasser. J’en avais informé Batti qui me demanda de regagner ma chambre. Quelques minutes plus tard, il se présenta avec d’autres militaires et lança à la cantonade :
– Si vous êtes des hommes, allez-y maintenant, nous serons à égalité !
Personne ne broncha, il mit ce monde en garde et le menaça de représailles si quelqu’un osait m’agresser.
J’eus la paix royale.

Nous étions toujours ensemble, il riait beaucoup avec moi, adorait l’humour de nos quartiers.

Notre plus belle anecdote fut celle d’un soir où nous étions sur une colline, à plat ventre dans la neige en surplomb de la ville de Radolfzell.
Il devait être près de minuit, nous pointions nos armes vers la ville assoupie, des fusils sans cartouches et nous n’avions pas de munitions dans nos poches. Je me suis tourné vers lui et je lui ai dit en Corse :
– Si i bosci ci vidini, c’hanna pidà à capiati, ema essa a risa.
(Si les allemands nous voient, ils vont nous prendre à coups de balais et nous serons la risée)
Batti riait les yeux fermés, nous n’avions pas remarqué que nous étions seuls dans la neige, tous les autres avaient disparu. C’est lui, qui avait bonne audition, qui les repéra en entendant les pas dans la poudreuse.
Le sergent nous donnait des consignes à voix basse, je n’ai rien entendu, je me suis perdu dans la nature, ils ont failli me retrouver en Suisse.

C’était, il y a plus de 50 ans, je n’ai jamais oublié ce court passage en compagnie de l’ami Batti.
Des moments communs encore bien vivaces dans ma mémoire.

Riposa in paci amicu ! Mi pari chi d’era arisera !
Si mumenti cummuni scaparani cù mecu, quandu saraghju chiamatu in altrò…
(Repose en paix mon ami ! Il me emble que c’était hier !
Ces moments communs se perdront avec moi, lorsque je serai appelé à me rendre ailleurs…)

3 Comments

  1. Très bel hommage que tu viens de f2ire à celui qui était mon cousin Batti. Ses obsèques célébrées ce 29 avril en l,église de l Annunziata de Figari, prouvent le respect qui lui était porté. Merci Simon.

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