L’étrange rêve.

« Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait ».

C’était une nuit tranquille, je crois.
Le temps était à peine frisquet.
La lune entamée par une nette morsure de loup hurlant jouait au clignotant. Les nuages la masquaient puis fuyaient donnant l’impression de l’allumer et de l’éteindre, Séléné s’amusait à « coucou c’est moi ».
Je m’étais longuement attardé sur une étoile, je m’imaginais là-bas dans une atmosphère mystérieuse, dans ma résidence d’outre tombe. J’avais l’impression de me fixer dans un coin du ciel pour exister encore, scintillant pour les miens avant de m’éteindre progressivement comme une étoile qui brille, longtemps après sa disparition.

Profondément endormi, je m’étais égaré dans un rêve étrange.

Je me trouvais sur le trottoir qui flanque la fontaine de Vichy dite « u funtanonu » (La grande fontaine). Juste en face, dans le court chemin pentu, un petit garçon descendait la ruelle qui mène à la maison de ma prime jeunesse. Je le fixais intensément. Il allait son chemin, la tête basse, sans jeter un regard dans ma direction, il filait. Il filait comme je filais lorsque j’étais enfant, presque indifférent aux autres, alors que rien ne m’échappait. J’étais timide et je fuyais. C’était ma façon de regarder sans en avoir l’air et d’être à l’écoute du monde environnant.
Comme moi, sans doute, sa grande timidité lui imposait cette attitude d’avoir l’esprit ailleurs, l’air perdu dans les nuages, mais en apparence seulement. Caché derrière son manque d’assurance, il était vif et observateur en faisant mine d’ignorer le monde.
Je me souviens du choc, de ce regard étonné, interrogateur, que je lui adressais pendant qu’il paraissait perdu dans ses pensées en cheminant distraitement.
Il passait sans me voir.

Personne autour de moi, ne semblait surpris. Chacun devisait allègrement, redressait les affaires tordues comme on le fait dans nos rues pour meubler le temps.
J’étais interloqué, quelque chose m’intriguait alors que je baignais dans un contexte ordinaire.
Je regardais intensément ce gamin passer, en réalisant que c’était moi, enfant.
Ce « moi jeune » et « ce moi d’aujourd’hui » s’étaient donné rendez-vous une nuit de lune mordue.
Cette idée s’imposa à moi et tout naturellement je lui fis signe de venir à ma rencontre.
Docile, sans hésitation mais sans précipitation non plus, il s’est approché. J’ai posé mon bras sur son épaule et j’ai demandé à mon voisin le plus proche de nous prendre en photo.
Clic ! Aussitôt, l’enfant repartit la tête basse, sans un mot et sans que nos regards se croisent un instant.
Il n’avait pas de passé, j’avais trop avancé en âge pour qu’il se reconnaisse en moi. Un long avenir devant lui, un long passé que j’ai traversé alors qu’il en était à ses balbutiements.
Je n’ai pas osé le déranger, je voulais simplement un cliché de nous deux, une image des « deux moi » côte à côte.
Il avait obéi à mon injonction comme naguère un enfant obéissait à son père, les yeux baissés.

Je regardais l’étrange cliché qui concentrait le temps.
Il unissait le même être à deux âges différents, très éloignés, enlacé avec lui-même sans aucun trucage.
Une étrange pose amicale d’un intime entre-soi.
Une rencontre insolite, totalement improbable, une rencontre pourtant, que seul l’onirisme est capable d’inventer.

Comment l’inconscient a-t-il organisé ce rendez-vous par surprise ?
Pourquoi maintenant ?
Suis-je à la croisée des chemins ?
Est-il retourné dans le temps pour me présenter à l’enfant que j’étais, pour lui rendre des comptes comme on fait un bilan ?

Les Freudiens y verront une blessure narcissique, ou le narcissisme secondaire qui donne rendez-vous au narcisse primaire pour faire le point. L’improbable rencontre entre hier et aujourd’hui en un même lieu, un même temps.
Que sais ? Que dis-je ?
Je ne m’en soucie guère, cela ne m’embarrasse pas et m’importe peu.
Je m’amuse et fais écriture de ce qui me traverse l’esprit.
L’émotion était bien trop grande pour m’enfermer dans un avis incertain que l’on croit réel.
Seuls, le vécu et le vivre m’intéressent.

Cet enfant demeuré enfoui au fond de moi avait besoin de savoir ce qu’il était devenu.
De savoir tout le chemin parcouru trop vite à la conquête de la vie.
Un chemin décevant qui donne l’illusion de construire et de comprendre, alors qu’il ne fait que courir désespérément vers la fin. Un chemin trop vite parcouru.

Que sais-je de plus ? Rien !
Un faible savoir qui mène à pas grand-chose d’autre sur l’essentiel :
Pourquoi la vie ? Comment la vie ? Pourquoi moi, ici et maintenant ? Pourquoi pas ailleurs et une autre fois ?

Lorsque l’on croit avoir appris à coups de « comment ?», le temps a passé, voilà qu’arrive le moment du « pourquoi ?».

Pourquoi ? La question métaphysique, celle qui n’a pas de réponse, se fait plus cruelle et se double de : Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je appris ? Où vais-je maintenant ?

Je suis devant la dernière porte. Elle va s’ouvrir bientôt.
Sur quoi ? Sur qui ?
A l’heure du dernier rendez-vous, on se demande ce qu’on a fait là. On ne sait pas qui nous attend.

Paradoxe, absurdité ou mystère ?

Le paradoxe ? Est-ce mon esprit cartésien habitué à chercher la certitude, qui se trouve à bout de souffle, au bout de sa logique sans aucune réponse ?
Suis-je un croyant refoulé, habitué à chercher des certitudes à l’insondable pour m’en aller serein ?

L’absurdité ? Toute une vie qui file sans rien dire ?

Le mystère ? Cette facilité de croire qui dispense de réflexion pour un dernier voyage tranquille, bercé par l’idée divine ?

La jeunesse part à la conquête de sa vie et du vent… quelle chance de ne pas savoir !
La vieillesse démunie, laisse sa brassée de questions sur le coin d’un mur pour que d’autres la reposent un peu plus loin sur le cercle vicieux qui mène vers le précipice des réponses perdues.

Quand la lumière s’éteint.

Dans la nuit qui n’existe pas
J’irai chercher la lumière
Qui mène de vie à trépas.
Mais je doute qu’une autre rivière
Coule ailleurs qu’ici-bas.
Ce n’est pas triste, mais sincère
Que je ne crois à un autre combat.
Heureux ceux qui espèrent,
Qui ont la foi
Et se tournent une dernière fois
Pour dire à leurs frères :
La vie c’est pas du vent,
J’aurai tout mon temps,
Je serai bien patient,
Là-bas, je vous attends.

Le paradoxe, voyez-le dans ce texte qui, pour moi, ne dégage aucune tristesse.
Je n’ai aucune mélancolie, aucun regret.
L’épicurien, l’agnostique qui a cru vivre sans entraves se trouve piégé au bord du gouffre.
Il n’a plus de choix…

Puisqu’il faut partir, j’y vais sans savoir… mais j’aurais voulu vivre encore tant de choses…
Vivre encore un peu.
Patatras ! Ce fracas que les anglophones nomment « The End ».

Ceci n’est pas un rêve mais une fiction qui interroge sur le réel.

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